Il y a un an, quelques jours à peine après l'invasion du territoire ukrainien par les forces armées russes, le président Volodymyr Zelensky appelait les «étrangers désireux de défendre l'Ukraine» à rejoindre les combats. Selon le ministre ukrainien des Affaires étrangères, deux dizaines de milliers de ressortissants étrangers s'étaient présentés. Alors qu'un Français a trouvé la mort début avril (le huitième officiellement), combien d'étrangers combattent encore aujourd'hui en Ukraine? Les autorités ne communiquent pas sur ce point géopolitiquement sensible, tandis que les médias anglo-saxons assurent qu'ils seraient désormais moins de 3.000 sur place. Il semble pourtant difficile de valider cette hypothèse très basse.
Avant tout autre constat, la ventilation des effectifs empêche de pouvoir établir un décompte précis. Simple devanture d'accueil et de promotion, la désormais célèbre Légion internationale de défense de l'Ukraine (ILDU) n'a pas de réalité concrète sur le terrain. Les volontaires étrangers se dispersent entre une dizaine de formations internationales et ukrainiennes dont les implications dans les combats sont très variables. Ils appartiennent à quatre groupes distincts.
Le premier est composé des volontaires issus des pays limitrophes qui s'estiment directement menacés par la Russie. Ils ont le plus souvent un contentieux historique et une mémoire douloureuse associés à l'ère soviétique, comme l'atteste la présence de nombreux volontaires baltes, polonais, tchèques et slovaques. Dans le cas des Géorgiens en particulier, il s'agit d'un combat par procuration, d'un engagement qui s'établit dans la continuité d'un conflit en suspens ou par anticipation.
Le deuxième groupe provient de la diaspora historique ukrainienne, notamment présente depuis longtemps au Canada. Cette mobilisation communautaire associe des descendants et des double-nationaux.
Le troisième regroupe les transfuges. Russes, Biélorusses ou Tchétchènes combattent en Ukraine, parfois depuis 2015, contre un régime honni, dans une perspective de libération nationale. L'association au conflit en Ukraine repose dans ce cas sur des affinités circonstancielles.
Le quatrième groupe est le plus divers. Il appartient à une forme politique du volontariat très ancienne que je qualifie pour ma part de «brigadiste». Ce volontariat occidental puise ses racines dans un grand récit historique et culturel éminemment libéral: défense d'un peuple, de la liberté, lutte contre la tyrannie. Venus parfois de très loin, c'est l'indignation, le refus de l'expectative et le désir d'être utile qui les ont portés vers l'Ukraine, pour «être à l'événement» et modifier son cours. Il s'agit traditionnellement d'un groupe versatile et fluctuant.
Bien que la grande majorité soit des hommes, on observe en Ukraine la continuité de la féminisation du phénomène initiée durant la guerre d'Espagne. Les volontaires venues de l'étranger et décédées en Ukraine, comme la combattante brésilienne Thalita do Valle ou la chirurgienne Natalia Frauscher venue d'Autriche, bien que dans les deux cas du fait d'accidents, l'attestent incontestablement.
On a beaucoup reproché à certains de ces volontaires occidentaux leur démarche de posture, à l'instar du petit-fils de Bob Kennedy ou de quelques célébrités numériques. Souvent qualifiés de «touristes armés» –l'expression est de Winston Churchill à propos de la guerre d'Espagne–, ces volontaires photogéniques sont en réalité de leur époque; ils ont participé pour beaucoup à la popularité de la cause ukrainienne sur les réseaux sociaux tandis que la propagande russe avait une longueur d'avance.
Après un puissant élan émotif, une «levée en masse» au printemps 2022, la dynamique du volontariat international se limite un an plus tard essentiellement aux trois premiers groupes; les engagements occidentaux de type brigadiste semblent avoir pratiquement cessé à l'automne dernier. C'est ce tarissement qui a influé sur les dénombrements très pessimistes des études anglo-saxonnes. Et, prévisiblement, beaucoup sont revenus déçus. Puisqu'ils s'expriment en l'absence de leurs camarades et font volontiers part de leurs déboires, ils constituent une source disponible régulièrement interrogée. Au printemps 2023, les volontaires internationaux en Ukraine n'ont plus cette dimension picaresque initiale, comme cela est généralement le cas dans ce type d'engagement.
Ici encore, on retrouve les topiques du phénomène: l'automne dernier fut marqué par une série d'offensives ukrainiennes. Or, le volontaire international se détermine en défense de la cause rejointe et dans un engagement inscrit sur le temps court, à rebours de la guerre longue et indécise qui s'annonce. Mais il suffirait d'un retournement, d'une nouvelle indignation internationale face à l'impuissance apparente des États occidentaux pour que l'élan reprenne, comme cela s'était produit lors des sièges de Madrid, de Vukovar ou de Kobané, puisque l'opportunité de l'engagement demeure.