Culture

La rocambolesque histoire de «La Dame à la licorne», la «Joconde» du XVe siècle 

Temps de lecture : 4 min

Comme l'énigmatique portrait de Mona Lisa, la série de tapisseries datant du Moyen Âge fait l'objet d'un culte.

Rescapée d'un château creusois, la tenture a connu un parcours étonnant. | Hillary via Flickr
Rescapée d'un château creusois, la tenture a connu un parcours étonnant. | Hillary via Flickr

Dans le cadre de la Nuit des musées, découvrez, en deux volets, l'histoire mystérieuse et mouvementée de la mythique Dame à la licorne, conservée à Paris au musée de Cluny.

Ce samedi 13 mai 2023, que diriez-vous de passer la soirée en tête-à-tête avec un animal mythique? Il n'y a pas que dans la Silicon Valley, la chambre de votre fille ou les manifestations LGBT+ que les licornes caracolent. La Dame à la licorne, plus célèbre tenture au monde, a récemment fait son grand retour au musée de Cluny, rouvert après un «lifting» à 23 millions d'euros.

L'œuvre date de la fin du XVe siècle, mais n'est jamais passée de mode. Au cinéma notamment, c'est une guest-star particulièrement prisée. Elle s'est invitée dans La Belle au bois dormant de Walt Disney en 1959, par exemple, puis à Poudlard au cours des réunions d'Harry Potter et de ses copains, colorant les murs de la salle commune des Gryffondor, ou encore dans le film d'animation Hôtel Transylvanie 2.

La tenture a aussi inspiré nombre d'écrivains, de René Barjavel (ses Dames à la licorne vivent dans l'Irlande du XIXe siecle) à Tracy Chevalier (l'autrice de La Jeune Fille à la perle imagine une épopée romancée dans La Dame à la licorne en 2003), en passant par Rainer Maria Rilke ou George Sand (l'œuvre figure dans son roman Jeanne, paru en 1844). Cette dernière a justement joué un rôle décisif dans la destinée de La Dame à la licorne.

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Dans chacune des six tapisseries de style mille fleurs figure la fine silhouette d'une jeune femme blonde et richement vêtue, entourée d'un lion et d'une licorne. Les foules qu'elles ont attirées à Paris, mais aussi à New York, au Japon ou en Australie, se sont extasiées devant la précision de la réalisation, la finesse des détails: reflet des étoffes, éclat des bijoux, transparence des voiles, réalisme des représentations animalières… Pourtant, il s'en est fallu de peu pour que ce chef-d'œuvre ne finisse découpé en serpillières ou au sol de la niche d'un chien chanceux.

​L'œuvre date de la fin du XVe siècle, mais n'est jamais passée de mode.​ | Joe deSousa via Wikimedia Commons

George Sand à la rescousse

Les versions de l'histoire de sa redécouverte diffèrent. On ne sait vraiment qui de George Sand ou de Prosper Mérimée a le premier repéré la tenture dans le château de Boussac, dans la Creuse. L'auteur de Carmen ou de Mateo Falcone était aussi inspecteur général des monuments historiques. Il aurait aperçu les tapisseries lors d'un séjour à Boussac au début des années 1840. À moins que George Sand, son amie et ancienne amante, ne l'ait averti en 1841 de l'existence des œuvres: le château, devenu le siège de la sous-préfecture, hébergeait régulièrement l'écrivaine.

La tenture comptait alors, d'après son témoignage, huit tapisseries, au lieu des six désormais accrochées à Cluny. Dans L'Illustration du 3 juillet 1847 elle écrit: «Sur huit larges panneaux qui remplissent deux vastes salles (affectées au local de la sous-préfecture), on voit le portrait d'une femme, la même partout évidemment, jeune, mince, longue, blonde et jolie, vêtue de huit costumes différents, tous à la mode de la fin du XVe siècle.» Où sont donc passées les deux autres?

Dans la lettre qu'elle envoie à Prosper Mérimée en 1841, elle évoque même l'existence d'autres tapisseries «plus belles, me dit le maire, mais l'ex-propriétaire du château [...] les découpa pour en couvrir des charrettes et en faire des tapis». À Boussac, utilisées pour isoler une pièce de la froidure hivernale, les tapisseries sont l'objet des théories les plus romantiques –celle qui désignait comme commanditaire de l'œuvre un infortuné prince ottoman emprisonné dans la Creuse semble la moins probable.

Si elle est classée au titre de monument historique par Prosper Mérimée au début des années 1840, il faut attendre 1882 pour que la tenture soit vendue par la ville de Boussac au musée national du Moyen Âge. En quarante ans, l'état des tapisseries ne s'est pas amélioré: leur partie basse s'est délitée sous l'effet de l'humidité et doit être retissée.

Un détail de la première tapisserie, représentant le goût. | TimeTravelRome via Wikimedia Commons

Des tapisseries plus coûteuses qu'un château

Aussitôt exposée, l'œuvre et son histoire exaltent l'imagination. S'il ne s'agit du prince ottoman, qui a commandé cette tenture? À l'époque, les tapisseries sont un symbole statutaire fort. Et d'après Nancy Wu, spécialiste de l'art du Moyen Âge interrogée par Artsy, le prix d'une série comme La Dame à la licorne pouvait s'avérer plus élevé que celui de la construction d'un château.

L'étude du blason révèle qu'il s'agissait de la propriété d'une famille d'origine lyonnaise fortunée, les Le Viste. La tenture aurait été réalisée d'après un carton du peintre parisien Jean d'Ypres, à la toute fin du XVe siècle. C'est à ce même artiste et à son atelier qu'on doit la réalisation des vitraux de la rose de l'Apocalypse de la Sainte-Chapelle, à Paris, ou le livre miniature, manuscrit et enluminé, des Très Petites Heures d'Anne de Bretagne (vers 1498), conservé à la Bibliothèque nationale de France.

Mais au juste, que raconte la tenture? Au début du XXe siècle, une interprétation est communément admise: les cinq premières tapisseries (qui mesurent plus de 3 mètres de hauteur, pour des largeurs d'environ 3 à 4,7 mètres) seraient une représentation allégorique des cinq sens: le goût, l'ouïe, l'odorat, la vue, le toucher. Quant à la sixième, elle porte une inscription: «Mon seul désir». Trois mots qui vont déclencher les passions et donner lieu à de nombreuses exégèses.

À venir: «La Dame à la licorne, manifeste féministe et érotique pionnier du Moyen Âge»

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