Politique

La malédiction des seconds mandats présidentiels

Temps de lecture : 6 min

Depuis le début de la Ve République, tous les présidents ont eu un problème avec leur second bail élyséen... quand ils ont pu l'effectuer.

Emmanuel Macron prononce un discours en hommage au leader de la Résistance française Jean Moulin, à la prison Montluc de la Seconde Guerre mondiale, à Lyon, le 8 mai 2023. | Laurent Cipriani / POOL / AFP
Emmanuel Macron prononce un discours en hommage au leader de la Résistance française Jean Moulin, à la prison Montluc de la Seconde Guerre mondiale, à Lyon, le 8 mai 2023. | Laurent Cipriani / POOL / AFP

Emmanuel Macron a-t-il fait une funeste erreur en ne faisant pas ouvertement campagne pour le renouvellement de son mandat présidentiel? En ne donnant pas d'impulsion à la réélection qu'il visait en mai 2022, le président de la République sortant a-t-il compromis son second bail à l'Élysée?

Volontairement ou involontairement, le chef de l'État a transformé le quinquennat qui avait commencé en 2017 en un mandat de dix années ininterrompues. Un tel schéma est long, trop long. Et ça ne correspond pas à l'esprit et à la lettre de la Constitution... sans respiration intermédiaire.

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Cette respiration, que constitue une campagne électorale, les électeurs la lui ont imposée à l'occasion des élections législatives, en ne lui donnant qu'une majorité relative à l'Assemblée nationale. En quelque sorte, il a dès lors donné aux oppositions des verges pour se faire fouetter.

Impression d'immobilisme législatif

Il se trouve que la France n'est pas l'Allemagne, où des majorités alternatives et à géométrie variable peuvent se constituer. Il se trouve aussi que les deux principales forces d'opposition –l'extrême droite avec le Rassemblement national (RN) et la gauche de la gauche avec La France insoumise (LFI)– ne sont pas très enclines à chercher des solutions de compromis.

Si l'on ajoute à cela que le parti Les Républicains (LR) –qui traverse, par ailleurs, une grave crise d'identité depuis plusieurs années– ne montre pas une fiabilité à toute épreuve dans ses propositions de compromis, on obtient un cocktail qui fabrique des alliances de circonstances surréalistes entre ces différentes oppositions et, par voie de conséquence, donne l'impression d'un immobilisme législatif et d'une paralysie institutionnelle. Même si des textes sont, malgré tout, votés.

De là à imaginer que le second quinquennat n'a jamais vraiment commencé et part en vrille, selon le souhait ouvertement exprimé par Jean-Luc Mélenchon à travers la campagne bruyante engagée depuis la promulgation de la très controversée réforme des retraites, il n'y a qu'un pas facile à franchir. D'autant qu'à l'autre bout de l'échiquier politique, Marine Le Pen attend patiemment que le fruit lui tombe de lui-même dans le bec.

La constance d'une malédiction

Cette incapacité de Macron à faire démarrer correctement son second quinquennat est-elle définitive? C'est évidemment le souhait des oppositions, surtout chez LFI. Les insoumis espèrent que l'intense campagne d'empêchement qu'ils conduisent depuis la validation de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel aboutira à une dissolution de l'Assemblée nationale. Et donc à de nouvelles élections législatives générales.

L'Élysée voit probablement les choses autrement. Tant que la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) reste en état de marche (si l'on peut dire), malgré des soubresauts récurrents entre les partenaires des gauches (sur l'Europe, sur Poutine, sur l'aide à l'Ukraine, sur l'attitude du régime chinois à l'égard des Ouïghours, sur les élections européennes, etc.), le chef de l'État n'a aucun intérêt à procéder à une telle dissolution.

Sur le fond, la situation actuelle n'est pas tout à fait nouvelle, même si elle prend des formes inédites et exacerbées dans la violence et la haine, faisant naître des interrogations sur l'état de notre démocratie. Il y a même une sorte de constance dans la malédiction sur tous les seconds mandats présidentiels depuis le début de la Ve République. Examinons cela.

Le général de Gaulle abrège son mandat

Élu par un collège de grands électeurs en 1958, le général de Gaulle a été réélu au suffrage universel en 1965, après la réforme constitutionnelle de 1962 approuvée par référendum. Chacun sait que ce second mandat n'est pas allé jusqu'à son terme puisque le père fondateur de la Ve République a quitté volontairement le pouvoir, comme il l'avait préventivement annoncé, à la suite de l'échec de son référendum sur la régionalisation et la disparition du Sénat, en 1969.

Dès l'origine, le second mandat élyséen était-il maudit? On ne le saura jamais pour Georges Pompidou qui, donc élu en 1969 à la suite du Général, a été emporté prématurément par la maladie à l'âge de 62 ans, pendant l'exercice de son septennat, en 1974. En revanche, on sait que son successeur, Valéry Giscard d'Estaing (VGE), n'a pas pu exercer ce second mandat présidentiel.

Vainqueur de la présidentielle de 1974 face à François Mitterrand, VGE, premier président libéral qui rompait la chaîne gaulliste installée aux commandes de l'État depuis une quinzaine d'années, fut à la fois victime, en 1981, de «l'affaire des diamants» (un cadeau offert par Jean-Bedel Bokassa, un empereur d'opérette de Centrafrique), de l'explosion du chômage et de l'inflation consécutive à la crise pétrolière du milieu des années 1970, et d'une revanche mijotée par les néogaullistes sous l'impulsion de Jacques Chirac et de ses influents conseillers, Marie-France Garaud et Pierre Juillet.

Deux cohabitations pour Mitterrand

Il fut battu par Mitterrand, le 10 mai 1981, et ne put donc exercer un second septennat. À l'inverse de ses prédécesseurs, le premier président socialiste de la Ve République gaullienne –régime qu'il n'avait cessé de combattre et de dénoncer sous le vocable de «coup d'État permanent» a réussi à renouveler son septennat, en se faisant réélire pour un second mandat, en 1988.

Cette réélection est intervenue après une période de deux années de cohabitation (1986-1988) avec Chirac à Matignon et trente-cinq députés du Front national entrés à l'Assemblée nationale grâce à l'instauration du scrutin proportionnel... pour sauver les meubles d'un mandat présidentiel devenu chaotique après cinq ans d'exercice.

Le second septennat mitterrandien (1988-1995) n'a pas laissé un souvenir de grandeur aux analystes politiques tant il a été marqué, notamment, par les affaires politico-financières de financement du Parti socialiste, la révélation des rapports troubles du chef de l'État avec Vichy et une nouvelle cohabitation (1993-1995) qui vit Édouard Balladur (Rassemblement pour la République, RPR) devenir Premier ministre.

Chirac se tire une balle dans le pied

Écartés de l'Élysée depuis vingt-et-un ans, les néogaullistes y sont revenus avec Chirac en 1995. Le chef de la droite française y est entré à sa troisième tentative. Mais il s'est tiré lui-même une balle dans le pied, en 1997, en pratiquant une dissolution dite «de confort» de l'Assemblée nationale sur les conseils bien peu avisés du secrétaire général du «Château», Dominique de Villepin.

Cette dissolution, qui ne se justifiait pas sur le plan constitutionnel, avait pour but caché de donner une majorité à la main du président de la République qui craignait d'avoir à affronter une cohabitation avec la gauche aux élections législatives normalement programmées en... 1998. Résultat de l'opération: Chirac s'est offert cette cohabitation redoutée avec un an d'avance.

Chef d'un PS qui dominait encore la gauche, Lionel Jospin est appelé à l'hôtel de Matignon après la victoire de l'opposition aux législatives anticipées. Il va gouverner à la tête de la «gauche plurielle», qui inclut les communistes et les écologistes.

Le second bail du «roi fainéant»

Parmi les mesures emblématiques du gouvernement, il y a la mise en place des 35 heures et de la Couverture maladie universelle (CMU), l'instauration du Pacte civil de solidarité (PACS) et la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans renouvelable une fois. Cette dernière mesure institutionnelle est adoptée par référendum (73,2% de «oui» et 69,8% d'abstention), en 2000.

Malgré de bons résultats économiques et une conjoncture mondiale favorable, Jospin qui se présente contre Chirac à la présidentielle de 2002 n'arrive que troisième au premier tour. Le «coup de tonnerre» du 21 avril voit Jean-Marie Le Pen prendre la deuxième place derrière le président sortant. C'est le premier coup de semonce de l'extrême droite au plus haut niveau de l'État.

Facilement réélu face à Le Pen père, Chirac effectue le premier quinquennat de la Ve République (2002-2007). Mais ce second mandat ne restera pas, lui non plus, dans les annales de l'histoire présidentielle. Pour preuve, l'allusion au «roi fainéant» de son successeur à l'Élysée, Nicolas Sarkozy, en 2009. Tout le monde avait compris qu'il visait son prédécesseur avec lequel il avait eu des relations conflictuelles.

Pas de renouvellement pour Sarkozy et Hollande

Mais Sarkozy lui-même (2007-2012), tout comme son successeur, François Hollande (2012-2017), n'aura pas l'occasion de passer un second mandat présidentiel au banc d'essai. Le premier sera battu par le second en 2012 et le second, conscient de son impopularité abyssale en fin de mandat, renoncera à briguer un second bail élyséen.

Tous les prédécesseurs de Macron ont eu du mal avec leur second mandat... quand ils ont pu l'effectuer. De Giscard à Hollande en passant par Sarkozy, ils n'ont même pas eu le loisir de l'obtenir. La situation difficile dans laquelle se trouve l'actuel locataire du «Château» n'est donc pas vraiment une nouveauté. Comme si une malédiction chronique s'abattait sur les présidents au fil des années. Macron prolongera-t-il l'histoire écrite avant lui? Défiera-t-il, au contraire, le temps? La question reste ouverte.

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