Parents & enfants / Société

Qu'est-ce qui fait vibrer les couples sans enfant?

Temps de lecture : 6 min

Encore aujourd'hui, les personnes étant ensemble et n'ayant pas d'enfant (d)étonnent.

Un point commun à ces rebelles de la parentalité: le besoin de liberté. | Caleb Ekeroth via Unsplash
Un point commun à ces rebelles de la parentalité: le besoin de liberté. | Caleb Ekeroth via Unsplash

Être en couple et ne pas avoir d'enfant n'est pas chose courante. Seules 3,5% des personnes en couple âgées de 18 à 50 ans affirment avoir l'intention de rester sans progéniture. Ce chiffre, stable depuis 1995, montre donc que le premier enfant fait partie du parcours conjugal attendu.

Comme il existerait une injonction à la conjugalité, il en existerait une à la parentalité. «Il n'y a pas une seule fois où on ne me demande pas “et vous c'est pour quand?” C'est insupportable», témoigne Émilie, 40 ans, en couple depuis douze ans avec Noémie. «Avant, je contournais la question et aujourd'hui j'assume. Je réponds: “Nous, c'est pour jamais. On est bien toutes les deux.” Il y a toujours un petit mouvement de surprise. On ne comprend pas qu'en tant que femme, je puisse ne pas vouloir d'enfant.»

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Charlotte Debest, docteure en sociologie, autrice de Le Choix d'une vie sans enfant, confirme: «Dans la première mise en couple, il reste cette idée encore très prégnante de l'enfant comme révélateur de l'amour du couple.» La chercheuse, une des rares à s'être penchée sur le sujet, s'est aperçue très vite qu'il n'avait jamais été réellement étudié. «Quand c'est ainsi invisibilisé, c'est que cela pose problème et que c'est potentiellement tabou», analyse-t-elle.

Soif de liberté et d'autonomie

Qui sont ceux qui «osent prendre à revers l'évidence du faire famille pensée comme épanouissante», selon les termes employés par Charlotte Debest dans son ouvrage? D'abord, ils sont, rappelons-le, peu nombreux, et leur profil reste éclectique. Il diffère selon si l'infécondité est voulue ou subie, s'ils ont déjà des enfants issus d'une autre relation… Autant dire qu'il est difficile de brosser un portrait-robot.

Néanmoins, la sociologue a tenté de dégager quelques traits communs en ne se focalisant que sur les «SenVol», les sans-enfant volontairement. Pour ce faire, elle a interviewé cinquante-et-une personnes. Conclusion: «Tout le monde n'est pas capable de questionner une norme, et de ne plus considérer le désir d'enfant comme une évidence. Cela suppose avoir d'autres outils pour se valoriser, se sentir utiles autrement.» Pour faire court, il s'agit plutôt des catégories socio-professionnelles supérieures.

Le travail peut par exemple être un moyen de se distinguer. Ce fut le cas de Dorothée, l'idole des bambins pendant plusieurs décennies. «C'était la carrière ou la vie de famille. J'ai privilégié la première», confiait l'animatrice star à Gala en janvier 2022. «Je ne pouvais pas avoir les deux. Et ce qui ne s'est pas fait ne s'est pas fait, je l'accepte.» Charlotte Debest rappelle: «Ce désir ou non d'enfant est quand même une représentation de soi dans le monde. Certaines trouvent dans la maternité un statut social, un moyen d'émancipation vis-à-vis par exemple de leur famille.»

Autre point commun à ces rebelles de la parentalité: le besoin de liberté. Cela se traduit dans leur parcours professionnel loin d'être linéaire et dans lequel on retrouve une certaine aversion pour les contraintes horaires et le poids de la hiérarchie. Charlotte Debest a décelé trois maîtres-mots chez les femmes pour expliquer l'infécondité choisie: «autonomie, conjugalité diverse et profession»; chez les hommes: «liberté, amis, loisirs». Et Émilie d'évoquer cette indépendance: «Chacune a ses loisirs et son activité professionnelle, mais cela ne nous empêche de nous octroyer des moments à deux.»

Matthieu, un quadragénaire un brin fêtard, affirme: «Ne pas avoir d'enfant, ça nous permet de ne pas vieillir. Tu peux sortir toute la nuit si tu veux. Nous sommes libres de changer de pays, de boulot…» Sans oublier la liberté de s'affranchir de toutes les normes, outre celle de la parentalité. «Avoir un enfant suppose une forme de stabilité financière, émotionnelle, ou même de l'habitat», expose Charlotte Debest, «mais si le projet d'enfant n'a plus cours, alors toutes les normes peuvent être elles aussi questionnées. Le couple relativement traditionnel, c'est-à-dire cohabitant, peut adopter de nouvelles formes.» Pour être plus clair, aucune obligation de vivre ensemble, d'être fidèle, de n'aimer qu'une seule personne… Tout est possible, tout est ouvert.

Matthieu, 44 ans, a néanmoins adopté un schéma plus classique. Il a épousé Stéphanie après douze ans de vie commune. «Le mariage a créé un lien dont elle avait besoin. Cela a solidifié ce qu'on avait déjà, et cette union ancre notre histoire. Ça donne aussi une affirmation sociale», explique-t-il avant d'ajouter: «On a décidé de le célébrer tous les cinq ans en organisant une grosse fête.» Évidemment!

La clé de la réussite? Valeurs communes et projets

Certes plus libre, leur couple est-il plus solide que ceux qui pouponnent? Comme le rappelle Isabelle Tilmant, psychothérapeute clinicienne, autrice de Épanouie avec ou sans enfant, «la venue d'un enfant est tellement idéalisée que cela met à mal les couples. Ce n'est plus l'élément qui rapproche, mais éloigne.» Mais attention, pas de jaloux dans les obstacles de la vie. Les couples sans enfant ont eux aussi leur lot de fragilités.

«Si le couple échoue à être un “révélateur de soi-même”, les SenVol n'hésitent pas à quitter le partenaire d'autant que l'enfant n'est pas là pour les retenir, écrit Charlotte Debest. Ils veulent les avantages du couple sans les inconvénients du quotidien.» Et Vincent, en couple depuis vingt ans avec Karen, d'observer: «Ne pas avoir d'enfant met une pression supplémentaire sur l'autre parce que tu ne dépends que de lui pour trouver ton équilibre. Il y a sans doute davantage de tentations à changer de partenaire, je pense.»

«Le liant le plus solide reste l'envie et l'intérêt d'être ensemble, ainsi que l'estime, le soutien de l'autre.»
Isabelle Tilmant, psychothérapeute clinicienne

Effectivement, rien et surtout personne ne les oblige à rester ensemble. «Ma seule obligation, c'est juste que j'ai envie de la voir», atteste Émilie. Et l'un et l'autre n'imposent sa présence que dans des moments choisis. «On ne se donne pas de mal pour que cela fonctionne, affirme Matthieu. Et quand on a besoin de temps pour nous, on le prend.» À se demander comment ils font pour rester ensemble.

Leur ciment est le même que pour ceux qui ont des enfants. «Les valeurs communes, c'est ça la clé», assure Isabelle Tilmant. Émilie confie: «Avec Noémie, nous parlons énormément. Nous essayons de nous faire évoluer l'une l'autre. Elle m'apaise, moi qui ai tendance à être tout feu tout flamme et de mon côté, je lui apporte cette énergie. Les opposés s'attirent, mais je dois dire que sur les principes de vie ou comment nous imaginons l'avenir, nous sommes d'accord.»

Elles ont donc tout compris, car à entendre la psychologue, «le liant le plus solide reste l'envie et l'intérêt d'être ensemble, ainsi que l'estime, le soutien de l'autre». Les projets communs sont eux aussi des moyens de renforcer le lien. Ça tombe bien, Matthieu et Stéphanie en ont. Le quadragénaire explique: «D'ici deux ans, nous nous voyons quitter nos boulots respectifs pour aller monter un genre de maison d'hôtes.» Ça donnerait presque envie de ne pas procréer.

Des voix qui commencent à être entendues

Si le phénomène semble ne pas prendre d'ampleur, ce choix trouve une nouvelle motivation. D'après Charlotte Debest, les moins de 30 ans évoquent le réchauffement climatique comme raison à leur infécondité volontaire. Une nouveauté. L'actrice Laure Calamy avait même joué les porte-paroles en 2018 dans les colonnes de Paris-Match: «Je trouve qu'on rend service à l'humanité en n'ayant pas d'enfants. Il y a trop de monde sur cette planète. Alors, arrêtez de nous emmerder.»

L'autre changement notable depuis l'étude de la sociologue il y a dix ans réside dans le fait que l'on en parle davantage, et peut-être plus facilement, à l'instar de Valérie Lemercier qui a raconté en 2021 que «cela n'a pas pu se faire et ça n'était probablement pas vital pour moi» ou encore de la très directe et sans filtre Béatrice Dalle, qui déclarait dans le podcast Paradoxe mon amour sur France Culture: «Ma vie, elle est trop importante, comme la vie de tout le monde, mais je n'ai pas du tout envie de partager, d'être dépendant de quelqu'un et de prendre la perpétuité.»

La preuve que le non-désir sort un peu de sa clandestinité, c'est ce sondage réalisé par le magazine Elle, paru en septembre 2022. Il révélait qu'en France, parmi les femmes sans enfant en âge de procréer, c'est-à-dire entre 18 et 49 ans, 30% déclaraient ne pas en vouloir. Et Charlotte Debest de faire le constat: «Dans les enquêtes généralement, ceux qui affirment fermement “non, je ne veux pas d'enfant ni maintenant, ni plus tard”, on les retrouve dix ans plus tard, sans enfant. En réalité, seulement 30% changent d'avis.»

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