Égalités / Société

Quelque chose est en train de changer chez les Maghrébins de France

Temps de lecture : 6 min

[TRIBUNE] Alors que notre pays s'enfonce dans une culture du rejet de l'autre, pourquoi ne pas rendre hommage à ces étrangers qui nous apportent tant?

Les Maghrébins de France se sentent réduits à leurs origines et soumis à une injonction permanente de devoir choisir une culture par rapport à l'autre et de répondre aux stéréotypes que l'on a définis pour eux. | Tom Barrett via Unsplash
Les Maghrébins de France se sentent réduits à leurs origines et soumis à une injonction permanente de devoir choisir une culture par rapport à l'autre et de répondre aux stéréotypes que l'on a définis pour eux. | Tom Barrett via Unsplash

Quand le Maghrébin passe pour un fraudeur social, quand l'immigré devient bouc émissaire, c'est que la France file un mauvais coton. Cette atmosphère xénophobe et asphyxiante est épinglée par des organismes nationaux aussi bien qu'internationaux, mais aussi par des élus. Pourtant, si les personnes ainsi visées et humiliées expriment une réelle souffrance face à cette situation, je sens monter la tendance lente et sûre d'un changement de posture.

Il s'agit aujourd'hui de ne plus accepter les mensonges et les diffamations. Contrairement à leurs parents primo-arrivants en France, ces personnes décident aujourd'hui de porter avec fierté les deux cultures, maghrébine et européenne. Lorsque la question identitaire est omniprésente, elle met en danger la communauté nationale une et indivisible comme la République.

Les diasporas maghrébines du monde se parlent et comparent leurs vécus. J'ai moi aussi voulu interroger des expatriés maghrébins du monde entier pour comparer leurs expériences. Ce sont des femmes et des hommes éparpillés sur les cinq continents, bien loin des stéréotypes entretenus dans l'Hexagone. Elles et ils travaillent dans la médecine, la finance, la fonction publique, les mathématiques ou la gastronomie, elles et ils sont ingénieur, chercheuse ou banquier… Partout, le constat est le même: l'immigration, pour les sociétés qui l'accueillent, n'est pas un problème, mais bien une partie de la solution face à la crise que vit la planète.

La première idée qui émerge, c'est que la question identitaire pèse bien moins, au quotidien, sur les Maghrébins quand ils ne vivent pas en France, où les Africains du Nord portent cette assignation comme un boulet. Même si la résistance s'installe très clairement, les Maghrébins de France se sentent réduits à leurs origines et soumis à une injonction permanente de devoir choisir une culture par rapport à l'autre et de répondre aux stéréotypes que l'on a définis pour eux.

Ceux qui vivent ailleurs sont bien moins préoccupés par la question identitaire. C'est une forme d'émancipation qui leur permet d'exprimer sans tabou leur singularité. Leur rapport avec leur culture d'origine est bien plus apaisé et leur liberté est telle qu'ils ne craignent pas de paraître trahir ou négliger leurs origines lorsqu'ils apprécient et sont curieux d'autres civilisations. Sans avoir à se justifier dans leurs pays d'accueil, ils aspirent davantage à sensibiliser leurs enfants au monde qu'à les restreindre à une ou deux cultures. Ils revendiquent, par exemple, de pouvoir plus vibrer au son de la soul qu'à certaines musiques maghrébines.

Une d'entre elles voudrait être considérée avant tout comme une femme libre, mère de famille, compétente dans son métier et ayant de nombreux centres d'intérêts. Dans le même esprit, une autre souhaite qu'on la considère plutôt comme une jeune mathématicienne féministe et progressiste. Pour autant, tous sont fiers de présenter leur culture au pays d'accueil. Leurs enfants veulent apprendre la langue de leurs parents, puisqu'ils vivent dans des pays où «Arabe» n'est pas un gros mot. Ils sont attachés aux souvenirs d'enfance, à la famille, à la nourriture et à la démonstration des affects. Certains, expatriés dans des pays qu'ils ressentent comme froids, météorologiquement et émotionnellement, sont en manque de chaleur humaine.

«Les Maghrébins sont tout-terrain», me dit l'un d'eux. Leurs témoignages montrent une capacité d'adaptation incroyable, considérée par leurs pays d'accueil comme une force nouvelle utile au développement, et non comme un problème. Cet étudiant en sociologie marocain est parti rejoindre celle qui deviendra sa femme en Autriche, mais il devra se convertir en magasinier pour survivre. Jamais résigné et faisant toujours les bons choix, il finit sa carrière comme banquier dans une banque internationale, malgré une hostilité importante dans un pays peu habitué aux étrangers dans les années 1980. Aujourd'hui, il résume son parcours par «Je suis devenu le bon Arabe qui sort promener sa chienne».

Cette universitaire algérienne aux États-Unis a commencé sa carrière de chercheuse en France et s'est confrontée à un système qu'elle considère comme injuste et verrouillé. Qu'à cela ne tienne, rien ne l'arrête, elle débarque du jour au lendemain au fin fond d'une Amérique inconnue. Elle y prend rapidement du galon et se sent très bien dans ce pays qu'elle vit comme celui de toutes les possibilités sans pour autant être dupe de ses injustices.

Lui, suivait des études scientifiques en Algérie, mais a dû fuir avec sa femme pendant la guerre civile. Il n'a pas pu poursuivre son parcours en France pour des raisons d'équivalence et de subsistance. Sa résilience lui a pourtant permis de se reconvertir et d'être maintenant à la tête d'une structure administrative.

Venu d'Algérie, ce chef cuisinier a commencé au bas de l'échelle en France. Il a vécu de nombreuses humiliations, mais a toujours su apprendre auprès des bonnes personnes. Aujourd'hui il représente la gastronomie française à Tokyo.

Cette médecin spécialiste, partie au Canada, a connu un parcours professionnel et personnel semé d'embuches. Elle a dû reprendre ses études de médecine, entourée d'étudiants de l'âge de sa fille. Maintenant qu'elle exerce, elle ressent tous les jours la gratitude de ses patients, conscients de son dévouement.

Eux, connaissent des environnements de travail très cosmopolites et sont des fervents défenseurs de la globalisation, au sens de l'importance du mélange des peuples et des points de vue. Ils ont souvent été étrangers avec de nombreux autres expatriés quelque part et décrivent une conception du monde sans frontières. Ils semblent très libres et sans préjugés et se sont toujours sentis utiles là où ils passent.

Certains expliquent cette capacité d'adaptation incroyable par l'héritage multicivilisationnel, d'autres y ajoutent le sens de la débrouille avec lequel nous avons tous grandi.

La comparaison entre le système communautariste anglo-saxon et le nôtre, républicain et égalitaire, revenait souvent dans nos échanges. Pour les uns, le fonctionnement anglais permet des libertés au sein de son propre groupe, qui ne se mélange pas avec les autres. L'immigration y est traitée autrement: par exemple, les fêtes de chaque communauté sont célébrées en Angleterre. Les Anglo-Saxons sont vus comme pragmatiques: ils embauchent pour les compétences et le potentiel, sans chercher à connaître la nationalité des diplômes ni l'origine des gens. Des discriminations institutionnelles peuvent exister, mais les règles sont annoncées dès le départ, il n'y a aucune entourloupe. Cette façon de concevoir la société poserait une limite aux propos ouvertement racistes, puisque tout le monde se retrouve au travail avec un même objectif: la performance.

D'autres pensent qu'en France, les personnes se mélangent davantage, ce qui créerait des frictions suivies de polémiques parfois houleuses mais instructives, contrairement aux société anglo-saxonnes où le politiquement correct ne permet pas de dialogue public et entretient probablement un racisme sournois.

Aucun ne juge un système meilleur qu'un autre, mais s'ils avaient à choisir beaucoup se décideraient pour la France, plus inclusive, même si le traitement actuel des Maghrébins les inquiète. Malgré les dérives actuelles, certains voient encore la France comme un pays d'égalité. Ceux qui connaissent bien notre pays ne le trouvent pas plus raciste qu'un autre, mais ils s'insurgent contre l'incitation au repli sur soi qui alimente les haines entre deux cultures qui se fréquentent pourtant depuis des siècles.

Les Maghrébins du monde et de France n'ont plus peur. Ils sont déterminés à lutter de toutes leurs forces contre le racisme, en sensibilisant les personnes aux stéréotypes et aux préjugés négatifs qui les ont humiliés jusqu'à la détresse psychique. On doit cesser ces stratégies vouées à l'échec, le déni face à l'histoire et aux conséquences d'une discrimination anachronique qui divisent, qui font mal aux concernés et à leurs amis, et qui occupent une place disproportionnée dans le débat national.

Dès les origines les plus lointaines, les immigrés ont participé au destin commun de la France. C'est une image positive des Maghrébins qu'il faut imposer envers et contre toute tentation raciste. Pour aider à sortir la France de son marasme actuel et d'une culture du rejet qui nous pétrifie, pourquoi ne pas rendre hommage à tous ces étrangers qui nous apportent tant et permettent à la France de retrouver la vocation universaliste des Lumières? Déclarons un jour national en hommage aux immigrés.

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