Une bombe H sur la Lune: c'est le projet qu'ont nourri, un temps, les États-Unis, dans le cadre d'un dossier top secret connu sous le nom de Projet A119. Cette bombe à hydrogène, ou bombe à fusion, est réputée pour son potentiel de destruction bien supérieur à celui de la bombe atomique. Et Leonardo Reiffel, l'un des pontes américains de la physique nucléaire durant les années 1950, en avait évidemment conscience.
Travaillant avec Enrico Fermi, connu comme l'«architecte de la bombe nucléaire», Reiffel était le rapporteur en chef du Projet A119. Sommé par l'US Air Force de faire de ce projet une priorité, il a produit de nombreux comptes-rendus sur le sujet entre mai 1958 et janvier 1959, explique la BBC. Objectif: donner son estimation de la faisabilité d'une telle opération.
Le but premier de ce projet de bombardement de la Lune à l'hydrogène ne fait absolument aucun doute: il s'agissait avant tout de réaliser une démonstration de force à destination de l'Union soviétique. Si la mission avait été menée à bien, il était prévu que la bombe explose au niveau de la «terminator line», nom donné à la ligne de séparation entre la face cachée et la face éclairée de la Lune. Le choix d'un tel emplacement ne doit rien au hasard: il n'y avait pas de meilleur choix pour que la déflagration soit visible à l'œil nu depuis la Terre –e't en particulier depuis l'URSS.
Dans un contexte de guerre froide, il s'agissait uniquement d'impressionner un ennemi soviétique de plus en plus performant. En 1952, les États-Unis avaient utilisé leur première bombe H, avant d'être imités trois années plus tard par l'URSS. Et en 1957, drame pour les Américains: le lancement de Spoutnik 1, premier satellite artificiel de la Terre, leur donnait alors l'impression d'être distancés par leurs adversaires en matière de technologie de pointe. Il faut dire que dans le même temps, le plan de lancement d'une lune artificielle monté par les États-Unis se soldait par un échec en forme d'explosion.
Marquer son territoire
C'est à ce moment qu'apparaît le Projet A119, qui ressemble à une tentative désespérée de reprendre le dessus sur l'Union soviétique: mener ce projet à bien aurait surtout été une façon de marquer son territoire. Fort heureusement, la mission a fini par être laissée de côté, et qui sait quelle escalade elle aurait entraîné, car l'URSS n'en serait certainement pas restée là.
En tout cas, selon Leonardo Reiffel, qui s'est exprimé sur le sujet en 2000, ce projet visant à faire exploser une bombe H sur la Lune était en tous points réalisable: sur le plan technique, tous les voyants étaient au vert, et l'explosion aurait bel et bien été visible depuis la Terre –pas sous la forme d'un champignon atomique, en raison de l'absence de l'atmosphère sous la Lune, mais sous celle d'un vif éclat lumineux.
Historien des sciences et technologies nucléaires, Alex Wellerstein affirme aussi à la BBC que parmi les autres projets un temps envisagés par les États-Unis, il y eut celui du bombardement de Spoutnik 1. Finalement, une option plus raisonnable fut choisie: les Américains lancèrent leur propre satellite artificiel, comme pour recoller au score.
De nombreuses informations liées au Projet A119 manquent toujours à l'appel, ce qui laisse un bon nombre de zones d'ombre. Selon les spécialistes, une quantité importante de documents aurait été détruite afin que les États-Unis aient la certitude que leurs projets les plus insensés ne tombent jamais aux mains de leurs pires ennemis.