Si les attributs du pirate sont pour la plupart fantasmés, de la jambe de bois au perroquet sur l'épaule, il en est un particulièrement qui a la vie dure. Dans l'imaginaire collectif, il est indissociable de son trésor, amassé au fil de ses conquêtes maritimes et constitué de milliers de pièces d'or dormant dans un coffre enfoui sur une île déserte. Des idées reçues qui reposent sur quelques vérités et sur beaucoup d'inepties.
Contrairement à ce que la légende raconte, les abordages ne permettaient que rarement de se remplir les poches. D'abord parce que les pirates s'attaquaient principalement à des petits bateaux, plus accessibles et plus faciles à assaillir sans risque de pertes, mais dont les cales n'étaient évidemment pas remplies d'écus. Surtout, si quelques exemples de grands exploits associés à de riches prises existent, c'était loin d'être le cas dans le quotidien des pirates.
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«Souvent, le pirate est relativement pauvre, démystifie ainsi Jean Soulat, archéologue et auteur de Archéologie de la piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. La plupart du temps, il ne récupère pas grand-chose en mer. On a d'ailleurs des inventaires après décès de pirates et de flibustiers qui disent qu'ils n'ont accumulé que quelques vêtements, quelques objets divers, et c'est tout.»
Selon le chercheur, le véritable trésor consistait à attaquer un bateau sans faire de dégâts, afin de le récupérer et de saisir tout ce qui était marchandable à son bord. «La vraie prise, c'est l'artillerie, les canons, les effets personnels de l'équipage et les marchandises transportées. Il y a des épices, du tabac, du coton, des étoffes exotiques ou encore de la porcelaine chinoise qui va facilement être revendue. Les pirates sont des opportunistes qui prennent des bateaux pour s'enrichir, mais qui ne chassent pas forcément des coffres remplis d'or et d'argent.»
Maladies et partage de richesses
Malgré tout, le mythe n'est pas entièrement faux. Il a bien existé des butins faits de métaux précieux, à l'image de celui du pirate anglais Samuel Bellamy dont les cales remplies de centaines de milliers de pièces d'or furent prises dans une grande tempête en 1717 au large du cap Cod. «Ça existe, mais à la marge, précise Jean Soulat. Ces grandes fortunes n'existent pas pour tous, il faut relativiser ce phénomène. Sur 1.000 pirates, il y en a peut-être 50 qui vont devenir riches parce qu'ils ont effectué les bonnes prises.»
Des coups extraordinaires ont aussi pu être réalisés, notamment par des flibustiers comme Henry Every ou des pirates comme Bartholomew Roberts. Mais faut-il pour autant imaginer qu'ils disposaient de trésors fabuleux? «Non c'est absolument impossible, tranche Philippe Hrodej, maître de conférences en histoire moderne à l'université Bretagne-Sud. Le butin est systématiquement partagé avec l'équipage. Le capitaine prenait peut-être un lot supplémentaire mais c'est tout. Il devait partager, sinon, vous imaginez bien qu'on l'aurait écharpé.»
Une autre légende très populaire consiste à croire que les pirates enterraient leur butin, souvent sur une île déserte. Une théorie qui ne tient pas, selon les historiens et les spécialistes du sujet. En admettant qu'ils auraient pu disposer d'un pécule important –et ce n'était pas souvent le cas, on l'a vu–, ils n'avaient aucun intérêt à le dissimuler ou l'enterrer quelque part.
En effet, l'espérance de vie des pirates était faible –quelques mois voire quelques années d'activité. Les conditions de vie en mer étaient éprouvantes et ces hommes étaient souvent malades, quand ils ne mouraient pas prématurément, tués au combat ou perdus en mer. «Les pirates vivaient peu de temps, ça n'avait donc pas d'intérêt pour eux de cacher un trésor quelque part, sur une île déserte par exemple, puisqu'ils n'y retourneraient probablement jamais, affirme Jean Soulat. En plus d'être très peu à s'enrichir, il fallait aussi qu'ils puissent en profiter.» Sans oublier que la majorité des prises étaient constituées de marchandises impossibles à enterrer, telles que des étoffes précieuses ou des épices.
S'il est vrai que des butins ont pu être dissimulés par des pirates, il n'étaient aucunement destinés à dormir dans leur précieuse cache. «En attendant de pouvoir l'utiliser, ils n'allaient effectivement pas se balader avec leur butin. Donc oui, ils le cachaient, le dissimulaient, mais simplement à titre de dépôt, en attendant de l'écouler, recontextualise Philippe Hrodej. À l'époque, il n'y avait pas de coffre-fort, donc il fallait bien le stocker quelque part, parfois en l'enterrant momentanément.» Si un pécule était ainsi enfoui, c'était donc pour être rapidement récupéré.
Un butin rapidement dépensé
Quand les pirates amassaient quelques richesses, ces dernières ne restaient, de plus, que très peu de temps entre leurs mains. «Ils étaient souvent endettés auprès de tavernes, donc une partie de leur butin disparaissait dans le remboursement de leur dette, rappelle l'historien, co-auteur du Dictionnaire des corsaires et des pirates. Ensuite, ce sont des gens qui jouaient beaucoup, donc ils perdaient aussi beaucoup aux jeux. Enfin, il fallait bien qu'ils s'achètent des vêtements, des armes, le nécessaire pour vivre.»
En parallèle, les pirates écoulaient leurs marchandises auprès de receleurs, pour ensuite bénéficier de l'argent récolté. Ils se rendaient donc dans des zones de relâche ou dans des villes portuaires des Caraïbes. «C'est de l'investissement, tout simplement, constate l'archéologue Jean Soulat. Ils vendent leurs marchandises, puis placent leur argent en achetant du commerce, des filles pour des bordels ou en faisant de la traite négrière, etc. Ce sont des opportunistes prêts à tout pour l'argent.»
Les butins des pirates passaient enfin dans le financement de leur amnistie. Les conditions de vie difficiles de ces bandits des mers les incitaient en effet à revenir dans le système dès qu'ils le pouvaient. «Quand la prise en mer était assez riche, ils essayaient de négocier leur retour dans la vie civile, souligne Philippe Hrodej. Les gouvernements proposaient aussi des amnisties aux pirates, à condition qu'ils dépensent leur fortune dans la colonie. Dans tous les cas, le butin était directement dépensé.»
Là où sont les véritables trésors
L'origine de ce mythe du pirate au trésor se trouve d'abord dans la fiction, de l'ouvrage à prétention historique Histoire générale des plus fameux pirates, attribué à Daniel Defoe et paru en 1724, au roman L'île aux trésors, de Robert Louis Stevenson sorti en 1883, en passant, plus récemment, par la saga Disney Pirates des Caraïbes. Mais la légende a aussi été renforcée par des histoires de trésors mi-fabuleuses mi-authentiques, à l'image de celle du pirate La Buse.
«C'est un personnage qui a existé et qui a vraiment pris un navire avec beaucoup d'argent, ça, c'est attesté, confirme Jean Soulat. Mais ce qu'il aurait dit concernant son trésor, son cryptogramme, etc., on n'en sait rien.» En 1730, au moment de sa pendaison à La Réunion, le pirate français Olivier Levasseur, dit «La Buse» aurait jeté un document crypté à la foule en criant «Mon trésor à qui saura le prendre!». Depuis, des centaines de chasseurs de trésors s'évertuent à déchiffrer le mystère et à mettre la main sur le butin. «On ne sait pas s'il a vraiment accumulé des richesses ni ce qu'il en aurait fait, précise Philippe Hrodej. Ce qui m'étonne, c'est que s'il avait eu un trésor, il aurait pu le monnayer pour garder la vie sauve.»
Si des trésors ont bien été mis au jour, ils n'étaient pas dans des coffres enfouis sous terre, mais sur des épaves qui ont coulé avec leurs pièces de monnaie à bord. «Il n'y a aucune preuve archéologique ou historique de trésors enterrés ou cachés», insiste Jean Soulat, également responsable du projet «Archéologie de la piraterie».
Lancé en 2019, ce programme de recherches consiste à explorer et valoriser les sites archéologiques pirates, sous l'eau et sur terre, en se basant sur les archives existantes. «Le vrai trésor, c'est ce que l'on trouve! Des vestiges archéologiques, des pièces incroyables, des objets venus du monde entier... Pour nous, le véritable intérêt historique réside dans la compréhension de la vie des pirates, leur réalité, pas seulement leurs dépôts.»