Livy, 32 ans, ne va pas bien. Elle souffre d'anorexie et d'un trouble anxieux généralisé diagnostiqués par son médecin traitant ainsi que par un psychiatre. Si elle s'est vu prescrire un traitement médicamenteux, ses médecins lui ont très clairement recommandé de suivre une psychothérapie –ce qui va dans le sens des recommandations de la Haute Autorité de santé concernant la prise en charge de ces troubles.
Seulement, Livy se heurte à un problème de poids: la psychothérapie dès lors qu'elle est assurée par un psychologue libéral coûte cher et n'est pas remboursée par l'Assurance maladie. À raison de 50 à 80 euros la séance, une par semaine pendant plusieurs mois sinon années, c'est un sacré budget que la jeune femme aura du mal à assumer avec ses revenus de graphiste indépendante –d'autant que l'impact de la maladie l'a contrainte à réduire ses missions.
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Comme Livy, de nombreuses personnes atteintes de dépression, de troubles bipolaires ou de la personnalité borderline, de TOC ou encore d'addictions se retrouvent dans une situation où une prise en charge psychothérapeutique est inabordable ou demande d'importants sacrifices financiers. Le fait est qu'elles sont dans une espèce d'entre-deux. D'une part, leur état ne justifie pas une hospitalisation où elles pourraient bénéficier d'un suivi auprès d'un·e psychologue. D'autre part, il ne suffit pas d'une thérapie de soutien chez le médecin traitant (remboursée par la Sécurité sociale), de psychotropes prescrits par ce dernier ou par un psychiatre (également remboursés) et de respect de règles hygiéno-diététiques («dormez bien, faites du sport et mangez équilibré») pour aller mieux.
Pour appréhender la complexité du problème, une mise au point sur l'écosystème de la prise en charge des troubles psys s'impose.
Des consultations non remboursées
Reprenons l'exemple de Livy. Après que ses proches l'ont alertée sur sa perte de poids et sur son obsession pour la nourriture et la balance, la jeune femme a pris conscience de son trouble du comportement alimentaire. Elle a également réalisé à quel point l'anxiété et les attaques de panique nuisaient à sa qualité de vie. Elle a donc décidé d'en parler à son médecin traitant, qui lui a prescrit des anxiolytiques pour un mois et recommandé un de ses confrères psychiatres afin de vérifier la pertinence du traitement et l'ajuster si besoin.
Le psychiatre –qui est donc un médecin et dont les consultations sont prises en charge par la Sécurité sociale– a posé le diagnostic et a prescrit des médicaments plus adaptés –médicaments destinés avant tout à «tamponner» un peu la situation afin que Livy puisse engager une psychothérapie.
À ce point, se pose la question de qui sont les psychothérapeutes. Comme l'énonce clairement le site spécialisé Psycom, «il n'existe par de diplôme de psychothérapeute mais un titre. Une personne peut utiliser le titre de psychothérapeute lorsque sa formation et son expérience répondent aux exigences qui ont été fixées par l'État en 2010.»
Le décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 pose ainsi: «L'inscription sur le registre national des psychothérapeutes [...] est subordonnée à la validation d'une formation en psychopathologie clinique de 400 heures minimum et d'un stage pratique d'une durée minimale correspondant à cinq mois [...] L'accès à cette formation est réservé aux titulaires d'un diplôme de niveau doctorat donnant le droit d'exercer la médecine en France ou d'un diplôme de niveau master dont la spécialité ou la mention est la psychologie ou la psychanalyse.»
De fait, le ou la psychothérapeute peut être psychiatre, médecin non psychiatre (les consultations chez ces deux derniers sont prises en charge), psychologue ou psychanalyste (à condition de détenir un master), ayant complété si nécessaire sa formation initiale. Mais concrètement, la grande majorité des psychothérapeutes sont des psychologues.
«Les psychologues [...] ne disposent pas du statut de professionnels de santé, ce qui me semble une aberration.»
C'est là que le bât blesse car contrairement, par exemple, aux kinésithérapeutes, ils ne sont pas considérés comme des professionnels de santé par le Code de la santé publique –c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le médecin ne saurait faire, en principe, d'ordonnance ou de lettre d'adressage pour consulter un psychologue et que tout un chacun peut consulter en accès direct.
Dans son livre Vivre avec un trouble de santé mentale, Mickaël Worms-Ehrminger, docteur en santé publique et recherche clinique lui-même concerné par des troubles psychiques, résume: «Les psychiatres sont des médecins et, à ce titre, leurs consultations sont remboursées par l'Assurance maladie et les complémentaires santé dans la limite des contrats. Ils gèrent la partie médicale et biologique de la maladie mentale, notamment les traitements médicamenteux et les éventuelles conséquences somatiques des troubles. Peu de psychiatres pratiquent des thérapies complètes. De fait, ils y sont assez peu formés. Les psychologues, malgré leur place dans le parcours de soin en santé mentale prévu par le Code de la santé publique, ne disposent pas du statut de professionnels de santé, ce qui me semble une aberration. Leurs consultations en secteur libéral ne sont donc pas prises en charge par l'Assurance maladie. Il est possible de consulter gratuitement un psychologue à l'hôpital en cas d'indication particulière ou dans certaines structures spécialisées, aussi les délais d'attente sont longs et le choix du psychologue est souvent impossible.»
Autrement dit, Livy pourrait, dans un monde où l'écosystème de la santé psychique dans le public se porterait bien, bénéficier gratuitement d'une psychothérapie auprès d'un·e psychologue au sein d'un Centre médico-psychologique (CMP). Mais, comme en témoigne Camille Mohoric Faedi, psychologue clinicienne, psychothérapeute et cofondatrice du collectif #Manifestepsy, il s'agit de structures plus que sinistrées et fortement impactées par l'actuelle crise de la psychiatrie: «Il y a un vrai manque de professionnels et les délais d'attente peuvent parfois dépasser trois ans! On constate une vraie fuite des psychologues du public vers le privé. En cause? Des conditions de travail devenues insupportables. Alors, désormais, il est quasiment impossible de bénéficier directement d'un suivi auprès d'un psychologue en s'adressant directement à un CMP et les patients ne peuvent que se tourner vers le libéral.»
Le poids du tabou et de la stigmatisation
Pour ces patients comme Livy atteints de pathologies psychiques modérées à sévères et auxquels des médicaments sont souvent prescrits, c'est une espèce d'impasse pour peu qu'ils n'aient pas les moyens de payer un psychologue. D'autant plus qu'ils sont exclus du dispositif «Mon parcours psy» lancé en avril 2022. Celui-ci vise à permettre à des patients en souffrance psychique de bénéficier de huit séances de suivi psychologiques remboursées par la Sécurité sociale sur adressage d'un médecin.
Sans revenir sur les très nombreuses critiques adressées à ce dispositif, parlant d'«ubérisation» ou de «fast-food de la psychothérapie», et sur son échec relatif, il faut noter que ses critères d'inclusion des patients sont stricts. Seules les personnes présentant des symptômes «légers à modérés» peuvent y rentrer et toutes celles dont l'état justifie un avis auprès d'un psychiatre en sont exclues. Devraient-elles être intégrées dans ce dispositif bancal («maltraitant» pour reprendre le terme de Camille Mohoric Faedi)?
«Dans les recommandations de bonnes pratiques [...], c'est la psychothérapie qui est recommandée en première intention [...]. Or, ce sont les médicaments qui sont remboursés.»
Rien n'est moins sûr, car les psychologues partenaires sont rares et ne sont pas tous psychothérapeutes –ce qui réduit l'offre de soin. En outre, la limitation à huit séances rend le dispositif insuffisant pour des patients qui ont besoin d'un suivi au long cours. Comme le souligne Mickaël Worms-Ehrminger: «Que se passe t-il ensuite lorsque le nombre de consultations est atteint? Rien, on jette à nouveau les personnes dans le vide et la solitude face à la maladie. Si elles souhaitent poursuivre la psychothérapie, elles le peuvent à leurs frais. Aberrant. Si l'efficacité de la psychothérapie est reconnue dans le cadre d'un remboursement de quelques séances, pourquoi pas sur le long cours comme c'est le cas de la kinésithérapie? Les kinésithérapeutes ne déterminent-ils pas eux-mêmes le nombre de séances nécessaires?»
Pour sortir de l'impasse, un changement de paradigme serait nécessaire. «Il faudrait interroger la réponse toute médicamenteuse aux problèmes de santé mentale», insiste Aude Caria, psychologue et directrice de Psycom. «Dans les recommandations de bonnes pratiques, par exemple, pour la dépression ou les troubles anxieux, c'est la psychothérapie qui est recommandée en première intention, non les médicaments. Or, ce sont les médicaments qui sont remboursés.» Reste que selon elle, le poids du tabou et de la stigmatisation pèse encore sur les prises en charge en santé mentale, affectant par là même la place et l'expertise du psychothérapeute dans le parcours de soin.
Aujourd'hui, les initiatives se multiplient pour peser sur la balance et permettre une prise en charge conjointe Sécu-mutuelle de toutes les psychothérapies, quelle que soit leur durée et sans discriminations envers les patients. C'est notamment ce que fait le collectif #ManifestePsy en proposant la participation d'une caisse indépendante des soins psychiques, hors parcours CNAM, ainsi qu'une revalorisation et reconnaissance des soins effectués par les psychologues cliniciens par les mutuelles. De son côté, le mouvement Psychodon annonce lancer très prochainement une pétition nationale dont l'objectif est d'appeler les Français à s'engager en faveur de l'accès gratuit, remboursé et accessible pour tous à un psychologue ou psychiatre.