J'ai toujours eu un rapport compliqué avec mon anniversaire. Même lors des fêtes de mon enfance, la retombée du pic d'adrénaline lié au trop plein d'attention et à la consommation excessive de sucre se traduisait inévitablement par une crise de larmes. L'âge n'a rien arrangé. Et depuis que je suis adulte, je trouve encore plus gênant de m'attribuer le mérite de quelque chose que mes parents ont accompli grâce à leurs organes génitaux. Sans la promesse d'un gâteau, je me passerais bien de le fêter.
Mais même si j'accorde peu d'importance au mien, je sais ce qu'est un mauvais anniversaire. J'ai vu des amis et des connaissances entamer de violentes disputes, se faire larguer, se friter avec des barmans et perdre leur téléphone, tout ça parce qu'ils passaient le cap de la trentaine. Un jour, j'ai vu un homme sangloter au Kingston Mines, un club de jazz de Chicago (Illinois). J'ai regardé son pote, qui a haussé les épaules et m'a dit: «C'est son anniversaire.»
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J'ai compati. Les anniversaires sont l'un des rares moments, paradoxaux, où on est censé être heureux, mais où on a aussi le droit de piquer une crise et de pleurer si on le souhaite. En 1999, la chanson «It's My Party» de Lesley Gore, sortie en 1963, a été utilisée dans une publicité pour le menu à 99 cents de Burger King. Il s'agissait d'inciter les personnes qui dépriment à l'occasion de leur anniversaire à manger un burger. Des décennies plus tard, on continue d'écrire des chansons d'anniversaire tristes, sur des personnes qui vivent mal cette soi-disant journée de réjouissance.
Il est difficile d'évaluer la fréquence des anniversaires «difficiles», car les enquêtes indiquent que la plupart des adultes aux États-Unis traitent le leur avec indifférence. Cela dit, il s'agit d'un phénomène bien connu. Rachel Green, dans la série Friends, est célèbre pour avoir mis fin à sa relation avec son petit ami lors de son 30e anniversaire. Dans Harry Potter à l'école des sorciers, le jeune héros de 11 ans écrit tristement «joyeux anniversaire» dans la poussière à sa propre intention.
Esseulée, Lisa Simpson se chante à elle-même «joyeux anniversaire», comme une obligation auto-infligée qui semble trouver écho chez des centaines d'internautes sur YouTube. Avec tous ces mèmes de chat qui vous invitent à méditer sur votre «existence vide, faite d'échecs et de mauvaises décisions», la culture pop est là pour rappeler que les anniversaires sont parfois durs à encaisser.
Coups de blues et risque accru de passages à l'acte
Ces moments sont si durs qu'ils peuvent parfois conduire à ce qu'on appelle la «dépression d'anniversaire» ou le «Birthday Blues» («blues d'anniversaire»). Il ne s'agit pas à proprement parler d'un diagnostic médical, mais les experts affirment qu'il peut s'agir d'un problème psychique sérieux.
Les signaux d'alerte sont souvent les mêmes que ceux de la dépression: troubles du sommeil et de la concentration, rumination et anxiété accrues, manque de confiance et d'estime de soi. La seule différence est que ces sentiments s'intensifient à l'approche de l'anniversaire et coïncident avec une anxiété liée aux fêtes, à la réalisation de soi, au fait de vieillir, à la solitude et à l'idée de la mort.
Selon Stacey Freedenthal, psychothérapeute, suicidologiste, autrice et professeure associée à la Graduate School of Social Work de l'université de Denver, ce phénomène pourrait être le résultat de la pression à laquelle sont soumis les individus à partir d'un certain âge, concernant la réussite et le statut social. Comme elle me l'a dit, «certaines personnes ont tendance à faire le bilan le jour de leur anniversaire, de même qu'on prend la résolution de changer ses habitudes au début d'une nouvelle année».
Cela peut être particulièrement difficile pour les personnes déjà en proie à des sentiments d'inadéquation ou de dépression. Comme l'ont montré de nombreuses études, le risque de suicide d'une personne peut augmenter de 6 à 40% le jour de son anniversaire. Cet effet est particulièrement prononcé lors d'étapes marquantes, telles que les 30 ou les 50 ans –c'est à ce moment-là que les gens ont tendance à faire le bilan et à considérer ce qu'ils ont (ou n'ont pas) accompli. Le risque est encore plus élevé pour les hommes de plus de 35 ans, qui sont déjà quatre fois plus susceptibles de mourir par suicide [aux États-Unis, ndlr].
C'est ce qui est arrivé au chanteur de country Mel Street, qui est mort en 1978 d'une blessure par balle auto-infligée le jour de son 43e anniversaire. De même qu'au journaliste sportif Martin Manley, qui s'est suicidé en 2013 le jour de son 60e anniversaire, non sans avoir auparavant expliqué en détail son projet sur son blog.
En avril 2020, Drew Robinson, joueur de baseball des San Francisco Giants, a tenté de se suicider, quatre jours avant son 28e anniversaire, mais il a survécu. Sur les soixante-quatorze joueurs de la Ligue majeure de baseball décédés par suicide [jusqu'en 2005, ndlr], dix-sept ont tenté de se tuer dans les vingt-huit jours qui ont suivi leur anniversaire.
L'ère industrielle a démocratisé les fêtes d'anniversaire
Cela est dû en grande partie à l'importance que nous accordons aux anniversaires, en particulier aux États-Unis. Dans un essai publié dans la revue Time & Society, Hizky Shoham, professeur et responsable du programme d'herméneutique et d'études culturelles à l'université israélienne Bar-Ilan de Ramat Gan (dans la banlieue de Tel Aviv), postule que la cause serait la révolution industrielle.
À l'ère préindustrielle, les anniversaires étaient une tradition païenne, observée dans l'Égypte, la Grèce et la Mésopotamie anciennes, qui ont été parmi les premières à adopter des repères temporels et à créer des calendriers. Ces premières célébrations ont été essentiellement réservées à la noblesse jusqu'au IIIe siècle, époque à laquelle les Romains ont incité tout un chacun à marquer l'occasion avec des gâteaux, du vin et de l'encens. Les Allemands du XVIIIe siècle ont par la suite adapté cette tradition aux enfants en créant la Kinderfest, ou «fête des enfants».
Les anniversaires ont fait leur apparition aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, à la suite du déclin de l'influence puritaine, qui avait découragé les célébrations d'une certaine ampleur. À cette époque, on s'est mis à apprécier les enfants moins pour leur potentiel économique (des bras supplémentaires à la ferme!) que pour leur valeur affective (oh le joli bébé!) et les familles aisées ont donc commencé à fêter leur anniversaire.
Peu de temps après la création de la chanson «Happy Birthday to You» au début du XXe siècle, les fêtes d'anniversaire pour les enfants ont fait des émules dans la classe moyenne et se sont généralisées. À la même époque, l'utilisation d'horloges et de fuseaux horaires, qui s'était répandue tout au long du XIXe siècle, est devenue la norme. Les gens ont développé leur conscience du temps, ce qui les a incités à considérer avec davantage de sérieux –peut-être même un peu trop– l'importance des anniversaires.
Notons que certains experts font également remonter à cette période de l'histoire du monde anglo-saxon l'origine de problèmes de santé mentale, tels que l'anxiété, la dépression, les troubles psychotiques, la toxicomanie et les addictions. Ces troubles sont associés à l'isolement social dû aux autoroutes, à l'étalement urbain et à la dispersion des personnes, en particulier dans les régions où l'on a procédé à une extraction massive des ressources –l'exposition aux produits chimiques résultant de la révolution industrielle est également considérée comme un facteur de détérioration de la santé mentale.
Mais si la dépression est vue comme une «maladie de la modernité», les anniversaires semblent être le côté festif d'une médaille instable –une façon de réunir les gens dans un monde qui les éloigne de plus en plus les uns des autres.
Poids social et annulations
La fête n'était cependant pas du goût de tous. Au début du XXe siècle, certains chrétiens américains se sont opposés à la généralisation des anniversaires, craignant que cette coutume ne transforme les enfants en avides consommateurs. Ils n'avaient peut-être pas tort: de l'autre côté de l'Atlantique, un parent moyen dépense environ 400 dollars pour fêter l'anniversaire de son enfant.
Mais leurs protestations n'ont pas tenu compte d'un élément essentiel: personne, pas même eux, ne s'est vraiment inquiété du fardeau psychologique que ces célébrations obligatoires faisaient peser sur les adultes. Ce n'est que dans les années 1970 que des chercheurs ont pris conscience de la corrélation entre anniversaire et suicide, et commencé à mettre en garde contre les graves conséquences du «stress de l'anniversaire».
Après un rendez-vous chez le psy, Josh, 33 ans, a passé le reste de sa journée à regarder du catch. «Mon meilleur anniversaire jusqu'à présent.»
Les réseaux sociaux n'ont fait qu'aggraver la situation. S'ils sont le seul moyen pour la plupart d'entre nous de se souvenir des anniversaires, ils nous poussent également à nous comparer à tous ceux qui nous entourent. Étude après étude, il a été démontré que ce phénomène favorise la dépression et l'anxiété en confirmant la crainte la plus partagée, à savoir que tout le monde s'en sort mieux que moi.
Si un nombre croissant d'organisations préconisent d'adopter un meilleur usage des médias sociaux pour préserver sa santé mentale, il n'existe pas de mouvements comparables qui se mobilisent contre cette tradition. La résistance anti-anniversaires reste un phénomène très marginal, initié par les individus qui ne fêtent plus le leur depuis des années. Sur le forum Reddit, on trouve un nombre croissant de fils de discussion émanant de personnes qui renoncent à ces célébrations, beaucoup invoquant comme motifs le coût, le stress et les tensions psychiques.
C'est la décision qu'a prise Josh, un électricien de 33 ans vivant dans le quartier de Brooklyn, à New York, lors de son dernier anniversaire. Sa famille n'avait jamais eu les moyens d'organiser des fêtes lorsqu'il était enfant, il avait donc essayé de rattraper le temps perdu à l'âge adulte. Mais à chaque fois qu'il a tenté d'organiser sa propre fête, il a été déçu. «Il y avait très peu de monde, m'a-t-il confié. Et me sentir obligé de marquer le coup ne m'aidait pas psychologiquement.»
Cette année, il n'a rien prévu pour son anniversaire, à l'exception d'une séance de psychothérapie dont il avait grand besoin. Après son rendez-vous, Josh s'est acheté un bureau d'occasion sur le site de petites annonces Craigslist et a passé le reste de la journée à regarder du catch. «C'était mon meilleur anniversaire jusqu'à présent», affirme-t-il.
Une date critique, mais qu'il ne faudrait pas zapper
Bien entendu, si les uns se sentent libérés d'un poids en renonçant à ce rituel, d'autres y trouvent largement leur compte. Les études montrent que les anniversaires favorisent le développement cognitif et aident les jeunes enfants à se souvenir de l'âge de leurs camarades. Certains étudiants en médecine, qui présentent un risque accru de suicide, déclarent se sentir mieux et plus aimés le jour de leur anniversaire. Bien que certaines recherches menées au Japon, en Suisse et au Royaume-Uni ont révélé un risque accru de suicide ce jour-là, d'autres études réalisées au sein de la population n'ont pas mis en évidence un tel lien.
Le bilan est contrasté. C'est pourquoi des thérapeutes comme Stacey Freedenthal ne sont pas totalement opposés aux anniversaires, malgré les risques qu'ils peuvent présenter. Elle soupçonne que, de fait, les éviter ne supprimerait pas les émotions négatives qu'ils provoquent. «Toutes les occasions spéciales sont susceptibles de réveiller des sentiments de chagrin, de perte, d'inadéquation, etc.», explique la suicidologiste.
Comme ces sentiments ont leur raison d'être et doivent être traités, les gens ne peuvent pas les éviter en zappant simplement la journée. «Il serait préférable de promouvoir l'éducation, la sensibilisation et le traitement des personnes sujettes au blues d'anniversaire», conclut-elle.
Plutôt que de considérer l'anniversaire comme une célébration allant de soi, Tetsuya Matsubayashi, professeur de science politique à l'université d'Osaka qui a étudié le lien entre anniversaire et suicide, recommande d'aborder cette date comme un moment critique. «Il ressort que les personnes n'ayant pas de lien social fort avec les autres doivent être surveillées de près à l'approche de leur anniversaire», m'a-t-il expliqué par mail.
Dans cette optique, organisez une grande fête pour vous si cela vous fait plaisir, mais ne projetez pas cette attente sur d'autres personnes qui pourraient y être réticentes. En même temps, si ce n'est pas votre tasse de thé à titre personnel, cela ne devrait pas vous empêcher de souhaiter bon anniversaire aux autres, sachant qu'un petit geste peut éviter une grosse crise existentielle.
C'est pourquoi j'essaie de garder le contact avec ceux qui restent discrets quant à leur anniversaire. Ce n'est pas parce qu'un tel ne veut pas organiser un grand dîner de groupe qu'on ne peut pas aller manger un morceau ensemble et verser une larme, si le cœur lui en dit.