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La quiche de Charles III et le poulet d'Elizabeth II n'ont rien d'une tradition

Temps de lecture : 11 min

Le concept d'une recette officielle du couronnement n'a pas réellement existé jusqu'à présent.

Ce à quoi devrait ressembler la Coronation Quiche, plat officiel du couronnement de Charles III. | David B Townsend via Unsplash
Ce à quoi devrait ressembler la Coronation Quiche, plat officiel du couronnement de Charles III. | David B Townsend via Unsplash

En famille, entre amis ou voisins, des milliers de Britanniques célébreront ce 6 mai le couronnement du roi Charles III. Que l'on soit pour ou contre la famille royale, ce sera l'occasion de célébrer la culture anglaise et de souligner l'importance d'être ensemble.

Pour beaucoup, ce sera la première fois de leur vie qu'ils assisteront à un tel événement après avoir tant entendu parler du dernier couronnement, celui de feu la reine Elizabeth II, le 2 juin 1953. Il s'agissait du premier couronnement télévisé, un événement qui a rassemblé des millions de Britanniques et dont il reste un vestige: le Coronation Chicken, une salade de poulet à base de sauce au curry, servie lors d'un repas officiel.

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Alors que c'est désormais au tour de son fils, le roi Charles III, et de son épouse, la reine consort Camilla, de monter sur le trône, Buckingham Palace a récemment dévoilé une recette officielle de couronnement: une quiche aux épinards et aux fèves, faisant écho à une nouvelle tradition développée lors du couronnement de l'ancienne souveraine.

Il est bien connu que les Britanniques aiment les traditions, comme en témoignent la préservation des taxis et bus londoniens, mais aussi la mode avec les chapeaux du Royal Ascot, ou encore les habitudes alimentaires, tous les pubs servant le fameux rosbif du dimanche chaque semaine ou avec les incontournables Afternoon Tea.

Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la recette du couronnement ne fait pas partie de ces traditions. Bien que la reine Victoria ait donné son nom à une recette de son vivant, le Sponge Cake (connu en Angleterre sous le nom de «Victoria Sponge»), celle-ci a été créée de nombreuses années après son couronnement. Le folklore qui sous-tend l'élaboration d'une recette officielle pour le sacre a en fait commencé en 1952 avec la recette du Coronation Chicken. Annie Gray, historienne culinaire britannique et cheffe, raconte: «Il n'y avait tout simplement pas de recettes officielles de couronnement avant l'arrivée du monarque actuel. Il y avait bien sûr des menus pour les banquets, et il y en avait beaucoup», mais aucune recette officielle de couronnement à proprement parler.

À l'époque, tout ce que vous auriez obtenu, si par chance cela avait été partagé publiquement, c'est un aperçu du menu officiel servi lors du couronnement. «Auparavant, les banquets étaient des choses que l'on servait pour impressionner les gens, explique Annie Gray. Vous vouliez présenter des ingrédients hors-saison pour montrer que vous aviez de l'argent. Le festin du couronnement de George IV a compté environ 120 plats et il n'en a mangé que quatre. Les restes ont été redistribués au peuple. Il s'agit donc en grande partie d'une question d'apparat et de cérémonie, et de ce que ces plats disent de vous.»

Le remarquable «Poulet Reine Elizabeth»

La création du Coronation Chicken est attribuée à l'autrice et fleuriste britannique Constance Spry et à la cheffe britannique Rosemary Hume, toutes deux enseignantes au Cordon Bleu, l'école internationale des arts culinaires français de Londres.

Cette prestigieuse école, considérée comme une référence en matière d'excellence dans les arts culinaires, a été personnellement mandatée par Sir David Eccles, alors ministre des Travaux publics, pour créer un menu pour un dîner de couronnement d'Elizabeth II, auquel de nombreux représentants internationaux étaient invités. Mais la reine elle-même n'y a pas assisté. «Son festin était un banquet chaud, cuisiné dans les cuisines du palais et servi à Buckingham Palace. Le banquet où le Coronation Chicken a été servi était une grande occasion, mais la reine n'a pas goûté au plat», assure Annie Gray.

La recette du plat original, qui s'appelait alors «Poulet Reine Elizabeth», est décrite comme «un poulet désossé enrobé d'une sauce à la crème au curry, accompagné d'une salade bien assaisonnée de riz, de pois verts et de piments».

Constance Spry a expliqué que l'inspiration pour cette recette provenait d'un plat servi lors du banquet du jubilé d'argent du père d'Elizabeth II, George V, en 1935, qui est décédé quelques mois après l'événement, où un plat de poulet était servi avec de la mayonnaise et du curry.

Mais pour Annie Gray, «il s'agit avant tout d'une tradition de baptiser des recettes en honneur de certaines personnes influentes, en tout cas au XXe siècle. Il y a vraiment cette idée de baptiser des plats depuis la fin du XIXe siècle, Escoffier l'a beaucoup fait. Tant que les noms des recettes sont en français (car c'est à cette période que la cuisine française triomphe en Grande-Bretagne), vous pouvez les utiliser avec n'importe quoi. Vous pouvez même servir un toast à la Marmite [une pâte à tartiner industrielle à base d'extrait de levure, très populaire en Angleterre, ndlr] et l'appeler “Toast à la Reine”, ça marchera.»

Le Coronation Chicken peut sembler assez simple pour célébrer un événement tel qu'un couronnement royal, mais dans le contexte de l'après-guerre, en 1952, les ingrédients utilisés étaient considérés comme remarquables, nombre d'entre eux n'étant disponibles que depuis peu et la majorité du pays étant encore soumise aux restrictions du rationnement d'après-guerre. L'historienne confirme que «le poulet était incroyablement cher et exotique dans les années 1950. Au sortir du rationnement, la culture alimentaire britannique avait été complètement ruinée.»

Elle ajoute également que la polyvalence de la recette fait qu'elle est toujours d'actualité. Elle précise que «la recette originale prenait quelques heures à réaliser, car il fallait d'abord pocher le poulet, puis préparer la sauce, mais on peut aussi en faire une version abrégée avec du poulet précuit ou des restes, l'enrober de curry, de crème et de mayonnaise, et elle gardera cette touche cachée d'exotisme».

Un Coronation Chicken de nos jours. | James F. Carter via Wikimedia Commons

Le curry, l'un de ses principaux ingrédients, est connu pour être un mélange d'épices inhérent à la cuisine indienne, l'un des plus grands pays appartenant au Commonwealth. Ce pays et sa culture ont eu un impact significatif sur la culture gastronomique et culinaire du Royaume-Uni. Cela se reflète par exemple dans la consommation de thé ou de chutney.

Sous le règne d'Elizabeth II, le Commonwealth est passé de sept à cinquante-six nations membres, représentant plus de 2,5 milliards de personnes, soit plus d'un tiers de la population mondiale. L'unification du Commonwealth est aujourd'hui perçue comme la principale réussite du règne d'Elizabeth II, et le Coronation Chicken n'est peut-être alors qu'un petit indice sur ses intentions.

La «Coronation Quiche», d'une simplicité désenchantée

Alors que cette recette aurait pu rester une caractéristique atypique du couronnement d'Elizabeth II, Buckingham Palace a publié il y a quelques jours la recette officielle de couronnement de Charles III, la quiche aux fèves et épinards, qui pourrait être considérée, ici aussi, comme un indicateur de ce à quoi le règne du roi pourrait ressembler.

Cette dernière est préparée à partir de pâte brisée, d'épinards, de fèves et d'estragon frais. Il s'agit d'une recette simple, qui devrait être présentée lors du Big Lunch organisé par le Eden Project Community, une association soutenue par la reine consort et qui a déjà accueilli les Big Lunches du jubilé de diamant et du jubilé de platine.

Le Big Lunch est un événement au cours duquel des centaines de Britanniques organiseront des déjeuners le jour du couronnement, en invitant famille, amis et voisins. L'idée est de renforcer l'esprit communautaire dans tout le pays. L'organisation caritative propose des «Big Lunch Packs», avec des jeux à imprimer pour les enfants ainsi qu'un certain nombre de recettes suggérées pour le couronnement, créées en collaboration avec plusieurs chefs cuisiniers. Sarah Boniface, qui travaille à l'association caritative Eden Project Community, indique que «ces événements rassembleront des millions de personnes pour marquer ce moment de l'histoire au cours du week-end du 6 au 8 mai».

En fait, «une multitude de recettes ont été proposées par les chefs qui soutiennent le Big Coronation Lunch afin de donner à chacun de quoi s'inspirer pour les célébrations, d'encourager les gens à se réunir pour partager, manger et profiter des festivités à venir». La liste des personnalités qui ont offert leurs contributions comprend la cheffe sud-africaine Dame Prue Leith, qui a suggéré une recette de tartines aux carottes rôties et au houmous; Jemma Melvin, gagnante du concours du pudding du jubilé de platine, organisé par Fortnum & Mason, qui a suggéré une recette de tourtes de fête; et Jamie Oliver, qui a partagé sa recette du Hummingbird cake.

C'est en partie grâce à cette initiative que Sa Majesté le roi Charles III et la reine consort ont décidé de partager leur propre recette pour le couronnement. Mais contrairement au concours organisé par Fortnum & Mason pour le dernier jubilé, cette recette n'a fait l'objet d'aucune sélection. Buckingham Palace nous a expliqué que cette recette avait été choisie personnellement par Leurs Majestés, et que la recette officielle avait été élaborée en collaboration avec le chef royal.

«[La quiche] est susceptible de moins diviser [que le poulet], ce qui est exactement ce dont le pays a besoin en ce moment.»
Felicity Cloake, journaliste au Guardian

Depuis, de nombreux commentaires ont été émis par des chefs et critiques britanniques et internationaux, et il semble que, pour une fois, tout le monde soit d'accord sur la simplicité désenchantée de la recette. Felicity Cloake, pour le Guardian, a déclaré que «le résultat est tellement rempli de légumes qu'il ressemble plus à une tarte aux épinards qu'à une quiche [...] mais la généreuse portion de fromage devrait apaiser tous les légumophobes, à l'exception des plus déterminés».

En ce qui concerne le choix d'une telle recette, comparée au poulet du couronnement, elle ajoute que «c'est moins original, moins distinctif –mais c'est aussi susceptible de moins diviser, ce qui est exactement ce dont le pays a besoin en ce moment».

Josh Barry, journaliste gastronomique pour l'Evening Standard, a simplement déclaré que «la quiche du couronnement est décevante mais agréable».

Une recette partageable et adaptable?

Ayant moi-même essayé la recette lors de la rédaction de cet article, je dois admettre avoir quelques doutes quant à l'ajout de fèves dans une quiche. Mais, étonnamment, cela a très bien fonctionné, apportant un certain caractère de noisette au plat. Cette recette n'a en effet rien d'extravagant, mais elle s'avère plutôt satisfaisante.

L'essence de la quiche se définit par ses ingrédients locaux, typiquement britanniques, et par le fait que, malgré la présence de lard dans la recette officielle, elle puisse facilement être adaptée en version végétarienne. Il s'agit sans aucun doute d'une volonté du roi Charles III de favoriser la consommation locale, sachant qu'il est connu pour son engagement en faveur de la préservation de l'environnement.

«Ils ont largement sous-estimé le désir d'un grand nombre de personnes d'obtenir des instructions très précises.»
Annie Gray, historienne culinaire britannique et cheffe

Annie Gray détaille: «On a beaucoup parlé du fait que les ingrédients qui seront servis lors du couronnement proviennent de Balmoral et que ces recettes reflètent les convictions du roi Charles en matière d'environnement et d'éthique. Tout cela est très bien, je pense que c'est une bonne chose d'essayer de faire passer le message environnemental, qui lui tient à cœur, à travers la publication de ces recettes.»

Après avoir demandé plus d'informations auprès de Buckingham Palace, il nous a été expliqué que l'une des raisons pour lesquelles cette recette avait été choisie était qu'elle pouvait être partagée, servie chaude ou froide, et qu'elle pouvait être facilement adaptée à une grande variété de régimes alimentaires et de goûts. Le Palais a également déclaré que cette quiche avait l'avantage de ne pas nécessiter d'ingrédients coûteux. Cette dernière caractéristique est un atout majeur dans le contexte de crise économique auquel le pays est actuellement confronté.

Mais pour Annie Gray, la manière dont la recette est partagée avec le public manque de profondeur: «Ils ont fait ce qui ressemble à une quiche végétarienne, très à la mode, mais il y a du lard dans la pâte. Ils disent que c'est adaptable, mais ils ont omis de proposer une adaptation. J'écris des livres de cuisine et, dans certaines critiques, les gens disent parfois qu'ils ont aimé le livre mais qu'ils auraient aimé que vous donniez plus d'indications, comme sur quelle étagère du four placer leur gâteau. Je pense qu'ils ont largement sous-estimé le désir d'un grand nombre de personnes d'obtenir des instructions très précises et donc manqué de pouvoir s'adresser à un public plus large.»

Alors, à l'aube d'un nouveau couronnement, assiste-t-on aux prémices d'une nouvelle tradition de la famille royale?

Le concept d'une recette officielle du couronnement, qui reflète les engagements du futur souverain ou de la future souveraine, n'a peut-être pas réellement existé jusqu'à présent. Mais après tout, les traditions n'ont pas besoin d'être anciennes pour subsister. De nouvelles traditions voient le jour en permanence, et quoi de mieux lorsqu'elles représentent quelque chose à déguster et à partager? Malgré les nombreuses critiques à l'encontre de la famille royale britannique, sa capacité à se réinventer sans cesse est l'une des raisons pour lesquelles elle existe encore aujourd'hui et parvient à être toujours présente dans la vie quotidienne de ses citoyens.

La recette de la «quiche du couronnement»

Voici la recette officielle de la Coronation Quiche, créée par le chef Mark Flanagan et la cheffe patissière Lucy Wilson, et partagée sur le site de Buckingham Palace.

Pour six personnes:

Ingrédients

Pour la pâte

  • 125 g de farine ordinaire
  • Une pincée de sel
  • 25 g de beurre froid, coupé en dés
  • 25 g de saindoux
  • 2 cuillères à soupe de lait
    (Ou 1 bloc de 250 g de pâte brisée)

Pour la garniture

  • 125 ml de lait
  • 175 ml de crème
  • 2 œufs moyens
  • 1 cuillère à soupe d'estragon frais haché
  • Sel et poivre
  • 100 g de cheddar râpé
  • 180 g d'épinards cuits, légèrement hachés
  • 60 g de fèves ou de haricots de soja cuits

Préparation

  1. Pour préparer la pâte…
    1. Tamiser la farine et le sel dans un bol; ajouter les matières grasses et frotter le mélange du bout des doigts jusqu'à l'obtention d'une texture sableuse, semblable à de la mie de pain.
    2. Ajouter le lait petit à petit et rassembler les ingrédients en une pâte.
    3. Couvrir et laisser reposer au réfrigérateur pendant 30 à 45 minutes.
    4. Fariner légèrement le plan de travail et étaler la pâte en un cercle un peu plus grand que le dessus du moule et d'une épaisseur d'environ 5 mm.
  2. Recouvrir le moule avec la pâte, en veillant à ce qu'il n'y ait pas de trous, sinon le mélange pourrait s'écouler. Couvrir et laisser reposer pendant 30 minutes au réfrigérateur.
  3. Préchauffer le four à 190°C.
  4. Recouvrir la pâte de papier sulfurisé, ajouter des haricots de cuisson et cuire à l'aveugle pendant 15 minutes, avant d'enlever le papier sulfurisé et les haricots de cuisson.
  5. Réduire la température du four à 160°C.
  6. Battre ensemble le lait, la crème, les œufs, les herbes et l'assaisonnement.
  7. Répartir la moitié du fromage râpé dans la base cuite, recouvrir avec les épinards hachés, les haricots et les herbes, puis verser le mélange liquide.
  8. Si nécessaire, remuer délicatement le mélange pour s'assurer que la garniture est uniformément répartie, mais veiller à ne pas endommager la pâte.
  9. Saupoudrer le reste du fromage. Enfourner et cuire pendant 20 à 25 minutes jusqu'à ce que la pâte soit prise et légèrement dorée.

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