Dans le petit monde des fans de faits divers, il y a deux camps: les fans de Christophe Hondelatte, et les autres. Ceux qui suivraient l'ancien présentateur de «Faites entrer l'accusé» («FELA» pour les intimes) n'importe où, et ceux qui ne supportent pas son incarnation parfois outrancière dans son émission de récits sur Europe 1. Pour ma part, je l'ai suivi jusqu'à l'équivalent parisien du bout du monde: le XVe arrondissement.
Un matin, un replay de «Hondelatte raconte...» dans les oreilles, je prends la direction du sud-ouest parisien pour assister à la présentation de l'adaptation télé de l'émission qui réunit près de 9 millions auditeurs chaque mois sur Europe 1 –la dernière que j'écoute encore régulièrement depuis la «bollorisation» de la station. Deux questions me taraudent: pourquoi adapter l'émission à l'écran? Et surtout: Hondelatte va-t-il oser prendre des accents morvandiau ou marseillais à la télé comme il le fait à la radio?
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Mettons fin au suspense tout de suite: oui, il ose. Et il va même plus loin. Contrairement à son rival radiophonique (mais néanmoins ami, nous dit-il) Fabrice Drouelle, qui dans la version télé d'«Affaires sensibles» pose simplement sa voix sur des images d'illustration, Christophe Hondelatte ne se contente pas de raconter l'histoire. Il la joue. Il l'incarne. Il la VIT.
Dans chacun des dix épisodes de «Hondelatte raconte...» version télé, diffusés sur Canal+ Docs à partir de ce samedi 14 mai, le journaliste se transforme en acteur couteau-suisse et incarne tous les personnages des histoires qu'il narre. «J'ai pas mal mouillé ma chemise dans ma vie professionnelle mais là, on ne peut pas aller plus loin. J'ai écrit les textes, je joue tous les personnages… Si je suis nul, je suis nul tout seul», confie-t-il un peu fébrile à l'aréopage de journalistes médias venus se faire un avis sur le programme.
Homme-orchestre
Pendant vingt-sept minutes, Hondelatte incarne tour à tour Jacques Fesch, auteur d'un braquage qui a mal tourné en 1954, les policiers qui l'ont interrogé, ou encore l'aumônier de la prison où il a «trouvé Dieu» –tellement bien trouvé que l'Église réfléchit à le béatifier, mais c'est une autre histoire. Christophe Hondelatte incarne donc tout ce petit monde en même temps, sans costume ni maquillage, dans un exercice extrême, rendu quelque peu étrange par la façon dont il est filmé.
Derrière le comédien, le décor change au milieu d'une phrase et sur un effet sonore de petites étoiles, à la manière de la robe de Cendrillon. La bibliothèque anglaise sortie d'un roman d'Agatha Christie qui sert de camp de base au Hondelatte-narrateur laisse place à une cour d'assises ou à une cellule de prison quand Hondelatte-acteur incarne des personnages. Bibbidi-bobbidi-boo.
Quand on te dit que «Faites entrer l'accusé» change encore d''animateur. | Canal+
Cet effet visuel digne d'un jeu vidéo, on le doit à Bernard Faroux, réalisateur de l'émission et acolyte historique du présentateur sur «FELA» qui a voulu utiliser le «XR» (comprenez «extended reality», «réalité étendue»). Toute l'émission est filmée sur un grand plateau composé d'écrans LED sur lesquels apparaissent les décors. «Ça n'a rien à voir avec un fond vert. J'ai déjà tourné sur fond vert et c'était horrible», détaille la star de l'émission. «Là, je vois le décor. Sur le sol, je vois le plancher.» Le résultat est déroutant et frôle le kitsch, sans jamais tomber vraiment dedans.
Et si le Covid nous a appris une leçon, c'est qu'on s'habitue à tout. Au bout de quelques minutes, on ne s'étonne plus de voir les décors de manoir anglais succéder à ceux de la prison où était détenu Jacques Fesch avant son exécution. On finit même par se sentir à l'aise avec cette mise en scène jamais vue à la télé française. À ces effets visuels inédits s'ajoutent des photos d'archives de l'affaire, qui viennent habiller le récit.
Entre deux plans du présentateur se glissent quelques photos des véritables personnages de l'affaire Fesch (bien utiles pour faire parler Hondelatte sur les photos des personnages féminins sans le grimer en femme). C'est d'ailleurs l'un des critères qui ont déterminé les dix affaires retenues pour cette première saison.
«Il nous fallait un minimum d'archives pour donner du rythme», explique Bernard Faroux avant qu'Hondelatte ne liste les autres épisodes de cette première saison: les soeurs Papin, Denise Labbé, Landru, ou encore Gaston Dominici... «Que des histoires peu racontées à la télé, qu'on croit connaître mais pas dans le détail.»
«Je me suis résolu à faire ça jusqu'à ma mort.»
Choix plus surprenant, Bernard Faroux a aussi intégré des extraits de vieux films en noir et blanc qui illustrent de façon très (trop?) littérale le propos du narrateur. On parle d'un coup de feu? Un revolver tout droit sorti d'un film noir tire vers la caméra. Une course-poursuite? Pas de problème, en voilà une. Et tant pis si elle a visiblement été tournée bien avant la période à laquelle se déroule l'histoire que l'on est en train d'écouter.
Christophe Hondelatte nous avait prévenus avant le visionnage: «Je ne raconte que des histoires réelles mais parfois le réel ne nous donne pas tout, il y a des trous. On raconte donc des histoires réelles avec les moyens de la fiction.»
Plaisir coupable
Alors que se termine l'émission, sur un clin d'oeil manifeste à «Faites entrer l'accusé» à base de veste et de porte-manteau, j'en reviens à ma toute première interrogation: pourquoi adapter cette bonne émission de radio à la télé? Qu'est-ce que l'image apporte de plus?
Un côté théâtral pas désagréable avec des choix visuels forts qui donnent un petit aspect rétro aux histoires, à mi chemin-entre un épisode de Columbo et une pièce de théâtre. Dans un exercice de funambules pour transposer à l'image des histoires imaginées pour la radio (toutes les affaires ont déjà été racontées au micro, dans une version plus longue), Christophe Hondelatte et Bernard Faroux dépoussièrent un peu le récit criminel à la télé, pourtant usé jusqu'à la corde depuis trois décennies.
Hondelatte ne se contente pas de raconter l'histoire. Il la joue. Il l'incarne. Il la VIT. | Canal+
Le résultat est tellement baroque qu'il y a fort à parier que dans dix ans, je regarderai encore les rediffusions de ce programme qui possède la double qualité de nous épargner à la fois les descriptions trop macabres ET les affreuses reconstitutions des chaînes de la TNT. Un véritable «guilty pleasure» télévisuel, une émission un peu kitsch mais dont on ne loupera aucun épisode.
«Je me suis résolu à faire ça jusqu'à ma mort», blague Christophe Hondelatte, soulagé par les premiers retours des journalistes présents ce jour-là. Canal+ a bien l'air de compter sur un investissement total de la star du récit criminel: avant même la mise en ligne de la première saison sur MyCanal et leur diffusion à la télé, la chaîne a déjà commandé une deuxième saison de dix épisodes. Hondelatte n'est pas prêt de raccrocher la veste.