Politique / Monde

Un gouvernement mondial est-il souhaitable?

Temps de lecture : 4 min

Unir les États du monde sans risquer l'implosion ou le totalitarisme est loin d'être gagné.

Ce qui paraît impossible aujourd'hui ne le sera peut-être pas à l'horizon 2050 ou 2100. | Elena Mozhvilo via Unsplash
Ce qui paraît impossible aujourd'hui ne le sera peut-être pas à l'horizon 2050 ou 2100. | Elena Mozhvilo via Unsplash

La perspective d'un gouvernement mondial serait-elle une solution d'avenir? Un rêve planétaire dans le sillage poétique de Paul Fort? «Si tous les gars du monde voulaient se donner la main», ils construiraient ensemble les États-Unis du monde. Cette organisation s'attaquerait enfin aux tragédies planétaires, censément inévitables, pour favoriser concrètement un nouvel humanisme. La paix, l'écologie, la famine, la pauvreté, l'immigration malheureuse, les pandémies, l'esclavage moderne, sont autant de sujets mondiaux qui échappent actuellement aux 193 pays membres de l'ONU. Il n'y a qu'à regarder le monde se diviser entre la Russie et l'Ukraine pour mesurer l'impuissance des États-nations à garantir la paix mondiale.

«Au regard du risque politique actuel mais aussi du risque économique, financier, sanitaire, écologique, atomique, il serait souhaitable que nous ayons un gouvernement mondial, c'est-à-dire une unité politique qui garantisse la paix dans le monde, observe Olivier Bobineau, sociologue et politologue, membre du groupe Sociétés, religions, laïcités (Sorbonne/CNRS)[1]. Ce gouvernement pourrait alors prendre l'initiative d'une politique planétaire, émettant des règles, des lois et des normes, pour diriger notre planète.» C'est ici que l'affaire se corse, car comme le disait Pablo Picasso: «S'il y avait une seule vérité, on ne pourrait pas faire cent toiles sur le même thème.»

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Selon Olivier Bobineau, «ce gouvernement ne pourrait servir qu'une seule vision du monde et il exercerait nécessairement une unité de contrôle pour vérifier la bonne exécution de sa politique». Ce qui est juste pour les États-Unis d'Amérique ne l'est pas pour la Chine, la Russie ou l'Iran. Ce qui est un atout pour la France n'en est pas un pour l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, le Mali. La Corée du Sud n'est pas faite du même bloc que la Corée du Nord. Le conflit entre Israël et la Palestine n'est toujours pas réglé. Comment dès lors unir les États du monde sans risquer l'implosion? C'est loin d'être gagné.

La perspective totalitaire

«Un gouvernement du peuple à visée mondiale suppose un risque totalitaire qui pourrait engendrer ce que la réforme grégorienne a engendré au Moyen Âge, explique Olivier Bobineau. En prétendant unifier l'Église, pour la libérer de ses tutelles politiques et de ses divisions internes, c'est au final l'Inquisition qui a fait loi au XIIIe siècle.» Soit un tribunal pontifical traquant les hérétiques jusqu'aux bûchers. Un peu comme si, pour éviter la guerre des mondes, l'humanité érigeait une dictature mondiale. À se faire des frayeurs en mode Big Brother, on peut même imaginer un gouvernement mondial en ligne, collectionnant les données personnelles des gens de ce monde, auquel seuls les non-connectés échapperaient.

La perspective totalitaire est en tout cas partagée par Martin Deleixhe[2], politologue, professeur à l'Université libre de Bruxelles, qui considère l'hypothèse d'un gouvernement mondial comme «irréaliste car les États sont trop attachés à leur souveraineté pour y renoncer de leur plein gré, or ce serait une condition nécessaire de la création d'un gouvernement mondial doté d'une autorité réelle. Les contraintes et restrictions imposées à la souveraineté des États par les Nations unies sont vécues plus difficilement par ces derniers qu'il y a cinquante ans. La tendance ne semble donc pas être à l'intégration politique supranationale. La donne géopolitique, et la démultiplication des conflits locaux ou régionaux, n'incite pas non plus à déceler à l'heure actuelle des élans cosmopolitiques partagés, contrairement à l'état d'esprit qui a pu être largement partagé dans les années 1990.» Realpolitik donc, à tous les étages.

Lutter globalement contre la pauvreté mondiale

Rêvons quelques minutes. Anticipons les décennies. Ce qui paraît impossible aujourd'hui ne le sera peut-être pas à l'horizon 2050 ou 2100. L'Union européenne telle qu'elle existe actuellement était elle-même, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un mirage institutionnel. Jacques Attali, économiste, haut fonctionnaire, polytechnicien, énarque, le sait bien qui, pour améliorer la santé du monde, appelait de ses vœux un gouvernement mondial, en 2009, anticipant une pandémie majeure qui «fera alors surgir, mieux qu'aucun discours humanitaire ou écologique, la prise de conscience de la nécessité d'un altruisme, au moins intéressé. [...] On devra pour cela mettre en place une police mondiale, un stockage mondial et donc une fiscalité mondiale. On en viendra alors, beaucoup plus vite que ne l'aurait permis la seule raison économique, à mettre en place les bases d'un véritable gouvernement mondial. C'est d'ailleurs par l'hôpital qu'a commencé en France au XVIIe siècle la mise en place d'un véritable État.»

Problème: les pays riches cultivent une tendance à avoir la mémoire courte. Les pays pauvres cheminent, eux, par tous les temps, dans une relative indifférence mondiale. Selon la Banque mondiale, entre 75 et 95 millions de personnes pourraient avoir basculé dans l'extrême pauvreté en 2022. Près de la moitié de l'humanité est pauvre aujourd'hui. Dans ce contexte international, la première mesure d'un gouvernement mondial pourrait être l'application de la taxe Tobin au niveau planétaire. Cet impôt imaginé par James Tobin –prix Nobel d'économie en 1981– consiste, dans sa version originale, à prélever une taxe de moins de 1% sur les transactions financières spéculatives effectuées sur les places boursières du monde entier. Par l'argent ainsi récolté –au moins 30 milliards par an–, il deviendrait ainsi possible de lutter globalement contre la pauvreté mondiale.

Dans une économie libérale mondialisée, où l'on voit mal comment la planification soviétique pourrait revenir en masse, un gouvernement mondial pourrait définir de nouvelles priorités économiques et sociales afin de favoriser le commerce équitable et le développement durable au niveau planétaire. L'exécutif terrestre intégrerait l'Inde et l'Afrique entière dans ses processus de décisions et... stop. Revenons plutôt au principe de réalité par la gouvernance mondiale.

«La gouvernance ne repose pas sur le principe de l'autorité, mais de coordination, ce qui est fort différent, souligne Martin Deleixhe. Ce que certains auteurs évoquent parfois, dont Richard Falk, David Held ou, en France, Louis Lourme, c'est la possibilité d'un Parlement mondial mais qui est plus envisagé comme une chambre de délibération globale, dotée d'une capacité législative relative, plutôt que comme un centre de pouvoir et une autorité souveraine, au sens d'un gouvernement.»

1 — L'Incroyable Histoire de l'Église, Olivier Bobineau et Pascal Magnat, Les Arènes BD. Retourner à l'article

2 — Martin Deleixhe collabore au site La Vie des idées, partenaire du Collège de France. Retourner à l'article

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