War Pony, gros plan nécessaire sur les visages oubliés de l’Amérique
Culture

War Pony, gros plan nécessaire sur les visages oubliés de l’Amérique

Temps de lecture : 3 min
Slate.fr

Deux jeunesses cabossées, filmées avec brio par le tandem de réalisatrices Gina Gammel et Riley Keough.

Dans la réserve amérindienne de Pine Ridge, aux confins du Dakota du Sud aux Etats-Unis, vivotent en parallèle deux jeunes hommes issus de la tribu Oglala Lakota. A peine une dizaine d’années séparent Bill, roublard expert en débrouille et coups fourrés, et Matho, collégien turbulent, avide d’expériences et délaissé par un père à la dérive, les deux personnages principaux du film War Pony, qui sort en salles le 10 mai 2023.

S’ils ne se connaissent pas, leurs deux destins se répondent en écho, leur inlassable instinct de survie et leur soif d’aventures ne cessant de se heurter à la brutalité structurelle de leurs existences.

S’ils ne se connaissent pas, leurs deux destins se répondent en écho, leur inlassable instinct de survie et leur soif d’aventures ne cessant de se heurter à la brutalité structurelle de leurs existences.

Caméra d’Or 2022 à Cannes

Alors que Bill décide de se lancer dans un business d’élevage de caniches - point de départ promet-il à la mère d’un de ses fils, d’une richesse imminente - Matho entreprend de dealer aux grands du quartier la méthamphétamine que son père planque dans la vitrine de figurines de super-héros qui trône dans leur mobil-home.

Ces deux jeunesses cabossées sont filmées avec brio par le tandem de réalisatrices Gina Gammell et Riley Keough, récompensées par la Caméra d’Or au Festival de Cannes, par le prix du Jury et le prix de la Révélation du Festival de Deauville 2022.

Elles signent avec War Pony un premier film commun aussi saisissant qu’attachant. Malgré les parcours chaotiques de leurs protagonistes et de leur entourage, une tendresse fulgurante irradie l’écran ainsi qu’une nécessité profonde de modifier le regard porté sur les discriminations toujours vécues par les descendants des peuples colonisés d’Amérique.

Minutieux travail documentaire

Le film est né de la rencontre des réalisatrices avec les co-scénaristes natifs américains Bill Reddy et Franklin Sioux Bob, eux-mêmes originaires de Pine Ridge. Une solide amitié s’étant nouée entre les quatre artistes, l’idée de créer une fiction inspirée par la jeunesse des scénaristes au sein de la réserve est alors née.

L’équipe a passé plusieurs mois dans le Dakota du Sud, recrutant les interprètes au gré des rencontres, menant des auditions, collectant des anecdotes et nouant des liens solides avec les habitant.e.s.

Une coopération tangible à l’écran qui permet, selon les réalisatrices, d’affronter de plein fouet le racisme, l’ostracisation et la précarité vécus par ces communautés, historiquement placées par la violence à la marge du rêve américain et de l’essor implacable du capitalisme. A l’instar de cette scène où un riche éleveur blanc humilie le jeune Bill en lui demandant s’il compte effectuer «une danse de la pluie» pour réclamer le salaire qu’il refuse de lui donner.

Une ode à la puissance de l’héritage

S’ils flirtent en permanence avec la petite délinquance, Bill et Matho sont surtout pris dans un engrenage sociétal délétère qui les pousse un peu plus vers la marge à chaque fois qu’ils tentent de relever la tête. Les passages les plus marquants de War Pony sont ceux où les deux jeunes hommes se dégagent de l’adversité pour vivre malgré tout des instants de spiritualité profonde ou d’échappée intérieure.

Planqué sous une couverture, Matho ne cesse de lire et relire en secret un ouvrage censé lui apprendre la magie. Tout comme lui, Bill est pris d’hallucinations où apparaissent des bisons mélancoliques et imposants, symbole de la tribu des Lakota dont il rejette pourtant la langue et les traditions.

La fin du film - que nous ne dévoilerons évidemment pas ici - est ainsi un pied de nez lumineux aux humiliations vécues par les peuples natifs américains et au mythe du repas partagé en 1621 entre la tribu des Wampanoags et les premiers colons anglais rescapés, fondement de la célébration de la fête familiale de Thanksgiving.

C’est ce lien ténu entre les conséquences de l’Histoire et la puissance de l’héritage qui fait de War Pony, un témoignage si singulier et nécessaire sur ce visage trop souvent oublié de l’Amérique.

War Pony

de Gina Gammell et Riley Keough

En salles le 10 mai

Les Films du Losange

Crédits visuels: Les films du Losange

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