Monde / Économie

En Chine, l'immobilier chancelle et c'est tout un pays qui tremble

Temps de lecture : 7 min

Le marché de l'immobilier de l'empire du Milieu est en déclin depuis de longs mois. Une situation économique qui revêt aussi un enjeu politique.

Un complexe immobilier construit par le groupe Evergrande, à Huai'an dans la province du Jiangsu (dans l'est de la Chine), le 3 décembre 2022. | STR / AFP
Un complexe immobilier construit par le groupe Evergrande, à Huai'an dans la province du Jiangsu (dans l'est de la Chine), le 3 décembre 2022. | STR / AFP

Quand la Chine est devenue communiste, en 1949, un système de logement comparable à ce qui existait en URSS et dans les «démocraties populaires» a été institué. Moyennant une somme modique, les habitants des villes ont été logés par leur employeur, tandis que d'autres l'étaient dans des habitations gérées par les municipalités. Mais en 1998, le gouvernement chinois a décidé d'autoriser l'achat d'appartements.

Cette orientation tournait le dos au principe traditionnel marxiste de la propriété collective, mais les dirigeants de Pékin avaient à l'époque une priorité: faire entrer la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour atteindre cet objectif, il était judicieux de libéraliser une partie de l'économie chinoise et c'est le marché de l'immobilier qui a été choisi.

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L'adhésion de la Chine à l'OMC a été acceptée en 2001. En Occident, nombreux étaient ceux qui estimaient que cette ouverture économique allait entraîner une libéralisation politique du régime chinois. Ce n'est pas vraiment ce qui s'est passé, mais la possibilité de devenir propriétaire a été immédiatement et parfaitement comprise par de très nombreux Chinois qui ont profité de l'enrichissement croissant de leur pays. Ils se sont empressés d'acheter les logements qui se construisaient à un rythme accéléré.

Ce boom de l'immobilier a duré jusqu'au milieu des années 2010. Dans toutes les villes de Chine, qu'elles soient traditionnelles ou nouvelles, des immeubles et des tours modernes ont transformé le paysage urbain. Aujourd'hui, près des trois quarts des citadins possèdent leur appartement. Être propriétaire est devenu un investissement normal et c'est souvent une condition préalable pour les familles dont le fils fait une demande en mariage.

Les fondations des poids lourds du secteur s'effritent

Dans ces conditions, pendant une vingtaine d'années, l'immobilier a connu un développement particulièrement vigoureux en Chine. Il représentait près de 30% de la croissance économique du pays. Mais la situation financière du domaine du bâtiment est devenue moins favorable depuis trois ou quatre ans. La valeur des appartements neufs baisse et les ventes ont chuté de près de 29% en 2022. Une des raisons est que ceux qui pouvaient être en mesure d'acheter l'ont déjà fait.

Une autre est que nombre d'acheteurs possibles préfèrent attendre que la baisse des prix se poursuive. Si bien que, promoteurs, sociétés de construction et agences immobilières ont commencé à ne plus trouver autant d'acheteurs. Or, profitant de l'ouverture du marché de l'immobilier, ces entreprises s'étaient multipliées très rapidement et, le plus souvent, en empruntant largement auprès des banques.

Aussi, les plus importants groupes de l'immobilier chinois ont commencé à connaître des difficultés de trésorerie. En septembre 2021, il a été révélé qu'Evergrande, un poids lourd dans le secteur de la construction et de la vente, était étranglé par une dette colossale, estimée à près de 300 milliards de dollars, ce qui est l'équivalent de la dette publique d'un pays comme le Portugal.

En vingt ans, ce groupe a investi dans des parcs d'attractions, le commerce d'une eau minérale ou encore la fabrication de voitures électriques. Récemment, l'entreprise, où travaillent quelque 200.000 employés, a mis en place un plan de restructuration, qui a été approuvé par plusieurs créanciers internationaux.

Le 30 mars 2023, le promoteur Country Garden a annoncé avoir enregistré une perte de plus de 800 millions d'euros en 2022. C'est la première fois (depuis son entrée en Bourse en 2007) que le groupe se retrouve dans le rouge. En 2021, il avait réalisé un bénéfice de l'ordre de 3,5 milliards d'euros.

En avril 2023, Sunac, un autre grand promoteur chinois, a fait un plongeon de 59% à la Bourse de Hong Kong. En mai 2022, après n'avoir pas réussi à rembourser l'équivalent de 28 millions d'euros sur des intérêts d'emprunt, le groupe avait été suspendu et venait juste de recommencer à être coté en bourse. Mais visiblement, ses résultats provisoires suscitent la méfiance des investisseurs.

Toute l'économie du pays en pâtit

Au-delà de ces très grands groupes, de nombreuses entreprises moyennes du monde de l'immobilier chinois sont en grande difficulté ou ont fait faillite ces dernières années. Le résultat est que, dans des agglomérations qui semblaient en pleine expansion, des barres d'immeubles sont inachevées, alors même que leurs appartements sont en partie vendus. Les groupes immobiliers qui les faisaient construire, n'ayant plus de liquidités, ont suspendu les travaux. Il y aurait en Chine, selon une évaluation de l'agence Bloomberg, 225 millions de mètres carrés de logements à terminer.

Ceux qui ont acheté ces appartements sont furieux. Environ 85% de ces acheteurs ont réservé sur plan et leurs emprunts démarrent des mois, voire des années, avant que les travaux ne soient terminés. Ces propriétaires organisent régulièrement des manifestations et refusent de payer les mensualités des emprunts qu'ils ont contractés auprès des banques, ce qui achève d'aggraver la situation.

Le ralentissement de la construction et de l'immobilier a des répercussions redoutables sur l'économie chinoise. Ces activités représentent près du quart du produit intérieur brut (PIB) de la Chine. Du point de vue social, elles font vivre des millions de travailleurs peu qualifiés.

Sans oublier, depuis 2020, la survenue de la pandémie de Covid-19. Les tests systématiques et obligatoires qui ont été imposés à la population ont fortement contribué à ralentir l'économie chinoise et, en particulier, le marché de l'immobilier. La surveillance médicale imposée et constante a fini par devenir insupportable à une partie de la population, qui s'est lancée en novembre 2022 dans des mouvements proches de la révolte.

Tout ceci a conduit le gouvernement chinois à supprimer les contrôles sanitaires. Le fonctionnement de l'économie chinoise est redevenu normal mais, pour autant, la priorité des citadins ne semble pas être d'acheter des appartements. Une inquiétude s'est répandue, beaucoup considèrent que les conditions économiques du pays sont à présent moins favorables.

Le gouvernement de Xi Jinping obligé de revoir sa feuille de route

Qu'ils l'habitent ou qu'ils l'aient mis en location, la plupart de ceux qui possèdent un appartement espèrent ne pas avoir à le vendre. Tandis que ceux qui pouvaient envisager un achat il y a quelques années préfèrent remettre ce projet à plus tard. Il apparaît aujourd'hui plus prudent de ne pas se dessaisir de l'argent qu'on possède.

D'autant plus qu'avant d'entamer une baisse, les prix des appartements ont considérablement augmenté. Ce qui a rendu, pour les plus modestes, une acquisition immobilière quasiment impossible. L'écart s'est donc accru entre les propriétaires et ceux qui ne pouvaient pas l'être, alors que combattre les inégalités est une constante priorité du régime chinois, régulièrement répétée par Xi Jinping.

Cette situation compliquée entraîne un mécontentement grandissant et le gouvernement cherche la meilleure façon de réagir. En 2017, une loi indique qu'il ne sera plus possible pour un individu d'acheter plus d'un appartement. Certains, depuis quelques années, avaient en effet acquis un deuxième logement à titre d'investissement. Sans même être loué, il prenait de la valeur au fur et à mesure de la hausse des prix de l'immobilier. Dans les vingt-huit plus grandes villes chinoises, le taux moyen d'inoccupation des logements est évalué à 12%.

En 2020, c'est dans une autre direction que le pouvoir décide d'agir. Xi Jinping déclare que «le logement est fait pour l'habitation et non pour la spéculation». Il est alors décidé de limiter l'accès au crédit des promoteurs trop endettés, en décrétant que le passif de leurs entreprises ne doit pas excéder 70% de leurs actifs, ou en exigeant que leur trésorerie soit au moins égale aux emprunts contractés. Par ce plan dit des «lignes rouges», il s'agissait de freiner les risques financiers pris par les professionnels et de bloquer toute spéculation. Mais ces mesures n'ont en rien fait redémarrer le marché immobilier ni diminué le risque de crise du secteur.

Aussi, en novembre 2022, le gouvernement chinois change sa stratégie et ordonne un soutien au crédit. Les principales institutions financières chinoises que sont la banque centrale, le régulateur des banques et les assurances sont fermement invitées à aider les promoteurs criblés de dettes au moyen de «prêts spéciaux». Les banques chinoises annoncent qu'elles prêteront 1.280 milliards de yuans (174 milliards d'euros). En même temps, une baisse des taux d'intérêt vise à relancer le marché de l'immobilier.

Un objectif prioritaire semble être que les chantiers en cours soient achevés. Par ailleurs, les banques peuvent désormais autoriser leurs clients à rembourser leurs prêts hypothécaires jusqu'à l'âge de 95 ans. Une façon de tenter de donner une nouvelle impulsion au marché de l'immobilier dans une population chinoise où les statistiques annoncent un fort accroissement du nombre de personnes âgées.

Enjeu économique et enjeu politique

Diminuer le coût d'achat de l'immobilier pourrait être une autre piste pour relancer les acquisitions. Certains promoteurs s'y sont résolus. Mais pour cela, ils ont dû obtenir l'autorisation de faire baisser les prix par rapport à ce qui était proposé lors de la construction. La décision revient aux provinces dans lesquelles se situe le bâtiment à vendre.

Or, les autorités régionales craignent que des diminutions de prix de l'immobilier à vendre ait pour effet de dévaloriser leur réserve immobilière. D'autant plus que les finances des gouvernements locaux dépendent pour près de 40% des ventes de terrains aux promoteurs. D'autre part, des centaines de milliers d'emplois, dans les secteurs du ciment, du verre ou de l'acier, se retrouvent menacés.

Autre crainte: que les propriétaires d'appartements n'apprécient pas du tout que des biens comparables soient désormais moins chers que lorsqu'ils ont acheté. Ne pouvant donc pas aisément faire baisser les montants, les agences immobilières –qui recherchent à tout prix des clients– essaient plutôt de proposer aux éventuels acheteurs des avantages, tels que des aménagements de cuisines ou des parkings gratuits.

Depuis début 2023, dans les grandes villes de Chine, il apparaît que les promoteurs s'engagent dans l'achèvement de projets existants, plutôt que d'en lancer de nouveaux. Et les agences de notation estiment que le marché de l'immobilier chinois montre des signes de stabilisation.

Cependant, les autorités chinoises n'entendent pas laisser ce marché se réguler en fonction de l'offre et de la demande. L'ouverture décrétée en 1998 en faveur de la propriété immobilière ne peut pas être remise en question, mais aux yeux des dirigeants de Pékin, il convient de la limiter. Il est possible qu'un strict contrôle des prix soit envisagé.

Dans une période où le pouvoir chinois entend constamment montrer sa force, contrôler l'économie est une priorité. Il appartient donc au gouvernement chinois de surveiller de près le domaine de l'immobilier. Car, vu de Pékin, tout désordre comporte un risque de se répandre dans d'autres domaines de l'économie et de la société du pays.

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