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Pourquoi les adaptations de jeux vidéo sont-elles souvent ratées?

Temps de lecture : 7 min

Après le succès mondial de la série «The Last of Us» et la réussite actuelle au box-office du nouveau «Super Mario Bros. le film», un bilan du genre s'impose.

Super Mario Bros. le film est sorti le 5 avril 2023 et a déjà généré 678 millions de dollars de recettes dans le monde, ce qui en fait l'adaptation de jeu vidéo la plus rentable de l'histoire au cinéma. | Capture d'écran Universal Pictures France via YouTube
Super Mario Bros. le film est sorti le 5 avril 2023 et a déjà généré 678 millions de dollars de recettes dans le monde, ce qui en fait l'adaptation de jeu vidéo la plus rentable de l'histoire au cinéma. | Capture d'écran Universal Pictures France via YouTube

Le 28 mai 1993, un bien étrange film sortait sur les écrans nord-américains: Super Mario Bros. Aux yeux de beaucoup de spectateurs, cette incompréhensible histoire de plombiers italo-américains de Brooklyn à la recherche d'une princesse-archéologue piégée dans un monde cyberpunk n'est qu'un mauvais film parmi d'autres. Une bouse à gros budget qui, malgré une bonne dose d'images de synthèse, ne révolutionne rien d'autre que le massacre des univers vidéo-ludiques.

Pour les autres –à commencer par la génération des enfants pour lesquels Mario est devenu plus célèbre que Mickey– c'est le début d'une malédiction qui dure encore aujourd'hui. Celle des adaptations pourries de jeux vidéo.

Un art méprisé par le cinéma

Loin d'être découragés par cette première catastrophique, les studios de cinéma se mettent rapidement en branle pour adapter d'autres licences populaires, à commencer par les jeux de combat: Double Dragon et Street Fighter - L'ultime combat en 1994, puis deux Mortal Kombat en 1995 et en 1997 (Mortal Kombat : Destruction finale). Résultat: au pire des navets, au mieux des nanars. «À l'époque, l'industrie cinématographique voit le jeu vidéo comme une forme d'art inférieure. Faire de bons films pour ce qui est considéré comme un public d'adolescents attardés reviendrait donc à donner de la confiture à des cochons. On produit des films vite faits, mal faits pour rentrer dans son argent, ce qui est d'ailleurs souvent le cas au vu des box-offices», explique Julien Gautier, rédacteur pour Nanarland, le site des mauvais films sympathiques.

«Street Fighter, c'est un film sympathique dans lequel Raúl Juliá donne tout, mais c'est une très mauvaise adaptation. Quant à Mortal Kombat, on est un peu plus proche de l'univers, mais la licence s'est ensuite égarée dans des suites sans budget ni ambition pour ne plus jamais en revenir», poursuit Julien Gautier.

Avec les années 2000, la malédiction prend de l'ampleur. Cette fois, Hollywood se saisit de tout ce que le monde compte de grosses licences vidéoludiques pour remplir les salles: Lara Croft: Tomb Raider (2001 et 2003, avec la suite Lara Croft : Tomb Raider, le berceau de la vie), la saga Resident Evil (2002, puis 2004 avec Resident Evil: Apocalypse et aussi 2007 avec Resident Evil: Extinction), Hitman (2007), Max Payne (2008). Tous de mauvais films, presque tous des succès en salles. «Ce sont des films d'exécutants qui sont souvent peu attachés à l'univers, à qui on a dit “voici un scénario, voici un moodboard et voici le budget”. Donc on reconnaît les costumes des personnages, mais l'esprit du jeu y est rarement», analyse Julie Le Baron, rédactrice en chef du magazine spécialisé Canard PC.

Pourtant, malgré ce point commun, cette nouvelle salve d'adaptations nous apprend quelque chose de fondamental. Il n'y a pas de formule magique pour réussir à rater son passage du jeu vidéo au cinéma. Tandis que certains réalisateurs se fichent complètement du matériau de base, d'autres s'y attachent un peu trop. C'est notamment le cas pour les deux premiers Tomb Raider qui reprennent fidèlement les écueils du jeu en proposant une Angelina Jolie hyper sexualisée. Au point qu'il a été demandé à l'actrice de porter du rembourrage pour coller à l'énorme poitrine triangulaire et pixellisée des jeux originels.

L'équilibre complexe de la fidélité

D'autres commettent quant à eux l'erreur de coller d'un peu trop près aux mécaniques du jeu. «Comme l'explique très bien Karim Debbache [vidéaste et chroniqueur spécialisé dans l'univers vidéoludique au cinéma, ndlr] dans son émission “Crossed”, de nombreuses adaptations s'attachent à reproduire les codes des jeux vidéo, ce qui est assez absurde, comme si on se bornait à reproduire des procédés littéraires dans un film. D'autres, au contraire, reprennent au sens strict le scénario du jeu, alors qu'il n'est pas forcément important, comme dans la série des Hitman [film sorti en 2007, puis Hitman: Agent 47, sorti en 2015, ndlr], où le gameplay prime sur l'histoire. Cela n'empêche en rien que le jeu soit bon, mais ça donne un scénario qui n'a aucun intérêt une fois adapté en film», décrypte Julie Le Baron. Et d'ajouter: «Le mot-clé, c'est adaptation. Il faut accepter une forme de lâcher-prise par rapport au matériau original.»

Un constat que Julie-Anna Grignon, scénariste et podcasteuse, partage: «Le jeu vidéo place le joueur dans une dynamique très active. Le challenge de l'adaptation consiste donc à le mettre dans une position passive sans qu'il s'ennuie ni qu'il se sente mis de côté ou se sente trop loin de l'ambiance du jeu vidéo. Mais la vraie question, c'est l'intérêt de ce médium. Que va-t-on y gagner?»

Si la question est légitime, la réponse est sujette à débat. Existe-t-il le moindre intérêt à adapter un jeu dénué de scénario ou de lore (ensemble des éléments d'un univers vidéoludique)? Quant à ceux qui sont déjà bien scénarisés, pourquoi les adapter si ce n'est pour faire de l'argent? Aujourd'hui plus rentable que le septième art, le jeu vidéo s'est en effet largement armé sur le plan scénaristique, en s'inspirant, d'ailleurs, du grand écran.

Il existe même un homme qui cache à peine l'appât du gain qui l'a poussé à adapter des jeux vidéo en films: le cinéaste allemand Uwe Boll. «C'est lui qui a donné ses lettres de non-noblesse à l'adaptation de jeux vidéo. Mais en plus d'être un mauvais réalisateur, il est profondément cynique puisque ses films servaient à occuper une sorte de niche fiscale pour les investisseurs allemands», assène Julien Gautier, de Nanarland.

«Uwe Boll se compare volontiers à David Lynch ou Martin Scorsese, alors qu'il est mû par tout autre chose que le fait de rendre hommage à un jeu. Il a largement participé à l'image déplorable des adaptations de jeux vidéo tant ses films sont mauvais. Au point qu'il est devenu une figure que les gens aiment détester», renchérit Julie Le Baron, la rédactrice en chef de Canard PC.

Les choix d'Uwe Boll ne laissent d'ailleurs aucun doute sur ses motivations. Au-delà de quelques licences mythiques comme Far Cry (2008), House of the Dead (2003) ou Alone in the Dark (2005), il s'est penché sur des jeux oubliés du grand public, voire carrément confidentiels, dans lesquels la liberté d'adaptation n'est pas un vain mot. Mentions spéciales pour le jeu Dungeon Siege qui, dans ses mains, devient une purge absolue du nom de King Rising: Au nom du Roi (2007), pour Paris-Marseille Racing devenu Autoroute Racer (2004) et pour le tristement légendaire Postal (2007).

La série, briseuse de malédiction?

Pourtant, ni la malédiction ni les crimes d'Uwe Boll ne découragent les studios de continuer leur entreprise d'adaptation. Nouvelle salve. Prince of Persia en 2010? Médiocre. Les énièmes épisodes de Resident Evil en 2010, 2012 et 2016? Gaguesques, comme les précédents. Assassin's Creed en 2016? Lamentable, malgré la puissance de sa licence. Tomb Raider en 2018? Oubliable, malgré l'arrivée bienvenue d'Alicia Vikander dans le rôle de Lara Croft. Uncharted en 2022? D'une platitude à faire pâlir notre bonne vieille 2D.

«Ce sont des films qui souffrent, selon les cas, de problèmes de scénario ou de casting, qui manquent de recul et d'ampleur. À force de vouloir faire rentrer des ronds dans des carrés en plaisant à la fanbase, on oublie d'écrire un bon film», explique Julie-Anna Grignon. Avant de préciser: «On peut bien sûr imaginer qu'il y avait une bonne V1 sur laquelle les producteurs sont repassés encore et encore pour ajouter un peu plus de ceci et un peu moins de cela, jusqu'à obtenir une bête de Frankenstein dans laquelle on a calé des références qui ne sont plus au service d'une bonne histoire.»

Seuls Warcraft: Le Commencement (2016), Pokémon: Détective Pikachu (2019) et Sonic, le film (2020 et sa suite en 2022) semblent sauvables, en grande partie grâce à leur animation qui les protège des affres de l'adaptation en prise de vues réelles (ou live action).

Pourtant, en 2021, une lumière apparaît au milieu des ténèbres. Elle s'appelle Arcane, une série d'animation produite pour Netflix par Riot Games et réalisée par le studio français Fortiche Production. Adaptée de l'univers du célébrissime jeu League of Legends et sortie en grande pompe, elle séduit immédiatement la critique et le public grâce à son animation à couper le souffle, ses personnages travaillés et ses enjeux concernants.

Elle confirme surtout la pertinence de la voie sérielle, déjà ouverte par la série The Witcher, plus contestée, sortie en 2019 sur la même plateforme. «Le format sériel offre beaucoup plus de place pour explorer les univers très vastes et très riches de certains jeux, défend Julie-Anna Grignon, scénariste et podcasteuse. Cela évite la frustration que peut procurer un long métrage de deux ou trois heures, dans lequel il est plus difficile de multiplier les points de vue, de créer de l'attachement aux personnages sur le long terme, comme c'est le cas dans une expérience de jeu. C'est ce qu'on a vu dans The Last of Us, qui prend le temps de développer la relation complexe entre Joel et Ellie ou de s'offrir un bottle episode sur des personnages à peine évoqués dans le jeu.»

Un changement de paradigme

En effet, début 2023, l'adaptation de ce jeu post-apocalyptique multi primé, par HBO, provoque un véritable raz-de-marée. Mondialement acclamée, à l'exception de quelques polémiques majoritairement homophobes, la série doit notamment son succès au duo qui l'a accouchée: Craig Mazin, notamment connu pour l'excellente Chernobyl (2019), et Neil Druckmann, déjà à la manœuvre sur les jeux The Last of Us au sein du studio Naughty Dog.

À n'en pas douter, les attelages d'Arcane et de The Last of Us témoignent d'un véritable changement de paradigme dans les adaptations de jeux vidéo. Pour en réussir une, le secteur vidéoludique doit faire partie de l'équipe. Une leçon que Nintendo a bien comprise puisque l'enseigne japonaise a veillé de très près au développement de Super Mario Bros. le film.

Sur les écrans depuis le 5 avril 2023, sa proposition d'unifier définitivement les différentes composantes de l'univers du plombier moustachu –à grands renforts de références visuelles, musicales et narratives– a déjà généré 678 millions de dollars de recette dans le monde, ce qui en fait l'adaptation de jeu vidéo la plus rentable de l'histoire au cinéma. En France, le film a attiré plus de 3 millions de curieux dans les salles obscures en moins de deux semaines. Reste à savoir si ce succès commercial et son intrigue manquant un peu d'épaisseur suffiront à briser la malédiction que son prédécesseur a créée presque exactement trente ans avant lui.

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