En ces moments agités où journaliste rime avec fasciste dans la bouche de certains, il est temps de faire retomber la pression en rendant hommage à cette belle profession. Par corporatisme et parce que je n'ai exercé que dans ce domaine, je me contenterais de le faire sur le terrain du journalisme sportif, à l'heure où certains membres de l'équipe de France de football doivent avoir aussi quelques noms d'oiseaux qui leur brûlent les lèvres à la vue du moindre reporter après la désormais fameuse «une» de L'Equipe du 19 juin. Puisqu'il est clair, dans leur esprit, que cette manchette a définitivement coulé un bateau France pourtant déjà largement à la dérive pour ne pas dire naufragé après son échec contre le Mexique.
N'essayons même pas d'imaginer ce que doit en penser Raymond Domenech qui a fait des journalistes ses ennemis depuis belle lurette et selon qui cette «une» aurait «tout déclenché» sur la foi de ses déclarations voilà quelques jours devant la commission parlementaire.
A tous ces footballeurs enragés, à ces supporters peut-être amers d'avoir vu ainsi partir en fumée leur joli rêve et leurs dernières illusions sur ces Bleus, et à Raymond aussi, il n'est pas inutile de rappeler combien les journalistes français ont souvent été de grands hommes grâce à qui beaucoup de très belles choses sont arrivées non seulement sur le plan français, mais surtout international. Ils leur doivent même beaucoup.
Jules Rimet
A tout seigneur tout honneur, commençons par la plus célèbre compétition sportive de la planète qui s'achève dimanche, la Coupe du monde de football. Qui l'a créée en 1930? Un journaliste français, Jules Rimet, fondateur d'une publication catholique et littéraire appelée La Revue. Rimet lui-même aiguillonné par un autre confrère talentueux du Matin, Robert Guérin, devenu en 1904 le premier président de la Fifa, la fédération internationale de football née à Paris, et à qui Rimet succèdera de 1921 à 1954
Il est écrit, en effet, dans les statuts de 1904 rédigés par Guérin qu'«un championnat international sera créé et seule la FIFA aura le droit de l'organiser.» Mais l'honneur de cette mise au monde reviendra à Jules Rimet qui donnera même son nom au trophée à partir de 1946 et jusqu'en 1974, année où la coupe changera de look pour devenir le trophée doré que l'on connaît aujourd'hui.
Dans le football, les journalistes sportifs français ne se sont pas arrêtés là. Ils ont continué de faire très fort puisque plusieurs d'entre eux, issus de L'Equipe, ont tout simplement été les inventeurs de la coupe d'Europe devenue la Ligue des champions depuis quelques années.
Le 2 avril 1955, Jacques Goddet, Robert Thominet, à la tête du quotidien sportif, et les journalistes Jacques de Ryswick et Jacques Ferran firent adopter, en effet, par les représentants de grands clubs le principe de la coupe d'Europe, idée lancée quatre mois plus tôt par Gabriel Hanot, le reporter vedette de la rubrique football. C'est même Jacques Goddet qui remit la première coupe en 1956 à Santiago Bernabeu, le capitaine du Real de Madrid, vainqueur du Stade de Reims, en lui glissant ces quelques mots: «Prenez-en bien soin, car cette coupe, c'est l'enfant de l'amour.» Enfant qui a un peu mal tourné selon les propos tenus par Jacques Ferran voilà quelques années: «Aujourd'hui, les petits pays sont pratiquement mis à l'écart, seul importe l'argent. On se demande si on n'a pas déclenché quelque chose qui sera un jour fatal au sport. Mais, que voulez-vous, c'est la vie.»
Ballon d'Or
Pendant longtemps, Jacques Ferran fut aussi le patron de l'hebdomadaire France Football qui créa en 1956, sous l'impulsion du très dynamique Gabriel Hanot, le célèbre Ballon d'Or, estampillé France Football, devenu la distinction individuelle la plus prestigieuse pour un footballeur d'où qu'il vienne. Encore donc une inspiration d'un journaliste français que la puissante Fifa vient de monnayer à prix d'or auprès du groupe Amaury, propriétaire de France Football, pour que cette illustre récompense devienne le Fifa Ballon d'Or.
Et puisque nous sommes en plein Tour de France, plus grande compétition mondiale de vélo, n'oublions pas non plus de nous souvenir que ce monument est l'enfant d'un certain Henri Desgrange, journaliste à L'Auto, l'ancêtre de L'Equipe, sur une idée de son collègue Géo Lefèvre. Desgrange dirigea le Tour de France jusqu'en 1936, année où il laissa sa place à un autre journaliste, Jacques Goddet, patron de la Grande Boucle jusqu'en 1987 en même temps que ses fonctions de directeur de L'Equipe. Inutile d'insister sur l'héritage laissé par Goddet, qui a contribué à faire de cet événement annuel l'un des sommets mondiaux du sport. La tradition d'un journaliste sportif à la tête du Tour de France a perduré avec aujourd'hui aux commandes, Christian Prudhomme, un ancien d'Europe 1.
Philippe Chatrier
Le tennis n'a pas été en reste puisque c'est un journaliste, créateur du mensuel Tennis de France, qui a sauvé le tournoi de Roland-Garros à l'agonie dans les années 70. Philippe Chatrier fut effectivement cet homme-là en devenant président de la Fédération française puis internationale. Grâce à son action énergique et à sa vision, Chatrier a réveillé une épreuve boudée par bon nombre des meilleurs mondiaux et qui faisait alors très pâle figure à côté de Wimbledon. Il a brillamment accompagné le boom du tennis, en France, mais aussi dans le monde.
Serge Lang et Michel Clare, journalistes à L'Equipe, ont laissé, eux, leur trace en ayant l'idée de la Coupe du monde de ski qui rythme tous nos hivers et dont la première édition eut lieu en 1967.
On le voit, la liste est longue et probablement incomplète... Last but not least, il y a eu, bien sûr, le Baron Pierre de Coubertin, le père des Jeux Olympiques modernes, qui détint -eh oui- sa carte à l'Association des journalistes parisiens. Ce n'était pas un journaliste à plein-temps, mais un pigiste régulier dans des journaux où il défendait ses idées sur le sport. Sport, on le voit, décidément très redevable à la France, avec la Coupe du monde de football et les Jeux Olympiques, les deux rendez-vous planétaires les plus importants. Et à quelques-unes de ses meilleures plumes. N'est-ce pas Raymond?
Yannick Cochennec
Photo: Une réplique du trophée Jules Rimet, REUTERS/Russell Boyce