Un mea culpa? Que nenni. Un aveu d'impuissance? Jamais. Tout au plus un éclair de lucidité. «Cette réforme des retraites est-elle acceptée? À l'évidence, non.»
Mais ce n'est pas de nature à faire douter le «sommet de l'État», comme on dit dans les articles politiques.
En avant toute! En treize minutes, Emmanuel Macron a prononcé une demi-douzaine de fois le terme «chantier». Le plein-emploi, la sécurité, l'amélioration des carrières et des salaires, l'éducation nationale, l'hôpital... Voici les sujets sur lesquels sont censés se focaliser les partenaires sociaux désormais. Bref, tout sauf les retraites. Un dossier dont Emmanuel Macron parle au passé, histoire de décourager les plus tenaces: «Ces changements étaient nécessaires [...] La réponse ne pouvait pas être de baisser les pensions, ni d'augmenter les cotisations.» Une dernière justification pour la route, et on n'en parle plus.
La fuite en avant, plutôt que la machine arrière.
La preuve par Notre-Dame
Le mot «chantier» est à vrai dire assez pratique. Dans l'imaginaire, il convoque l'action, la vision, l'avenir... sans provoquer la critique, puisque la construction n'est pas terminée.
En politique, un chantier, c'est une volonté plutôt qu'un bilan, un plan plutôt qu'une œuvre, un projet plutôt qu'un achèvement.
Si, par miracle, la métaphore avait encore échappé à quelque téléspectateur hébété (ou assourdi par un concert de casseroles), le président a mis les bouchées doubles. Il a invoqué l'exemple du chantier de Notre-Dame de Paris.
«Je vous disais dès le lendemain [de l'incendie] que nous rebâtirions en cinq ans. Que n'avais-je alors entendu? Tous les commentateurs nous ont dit “impossible, pourquoi ce cap intenable?” Eh bien, nous allons le faire», a-t-il lancé lundi soir.
Traduction: les ricaneurs ont tort de douter des vues présidentielles, la preuve par Notre-Dame, érigée en étalon de l'énergie macroniste. «Tenir le cap, c'est ma devise», lançait-il d'ailleurs il y a quatre jours en visitant la cathédrale peu à peu restaurée.
«Cette allocution aurait pu être faite par ChatGPT»
Sans surprise, cette allocution n'a pas fait bouger d'un iota les équilibres politiques. L'opposition s'est ingéniée à trouver les traits d'esprits les plus mordants. Éric Zemmour (Reconquête!) et Boris Vallaud (Parti socialiste) ont d'ailleurs choisi la même formule: «Je n'attendais rien de cette allocution, mais je suis quand même déçu!» (formule empruntée, soyons justes, à Dewey dans la série Malcolm).
Pas avare d'un bon mot, Sophie Binet, la cheffe de file de la CGT, a renchéri: «Cette allocution aurait pu être faite par ChatGPT.»
Mais était-il dans l'intention du chef de l'État de changer, d'adoucir le regard que ses opposants portent sur lui? Jamais de la vie. De leur clémence, il a fait son deuil. Le seul objectif politique de ce discours était de consolider la fragile base qui soutient encore le macronisme, plus ou moins vaillamment. Le reste de l'électorat est perdu.
Par ses mots, par ses thèmes, il a d'abord parlé à ses électeurs du premier tour. Les retraités, les CSP+ et les partisans de l'ordre, pour grossir le trait.
Ainsi, il caresse dans le sens du poil ceux qui «ont le sentiment de faire leur part, mais sans être récompensés de leurs efforts». Une version réactualisée de «la France qui se lève tôt» vantée par Nicolas Sarkozy.
Bien sûr, il adresse une poignée de signes à la gauche et aux partenaires sociaux quand il promeut la lutte contre la fraude fiscale; ou quand il utilise le terme «négociations» sur la vie au travail (les syndicats préfèrent de loin le mot «négociation» à celui de «concertation», synonyme pour eux de bavardage inutile sous l'œil des caméras de BFMTV).
Mais c'est pour mieux évoquer, aussitôt, «l'ordre», la lutte «contre l'immigration illégale». Avant d'appeler à «moins de bureaucratie, plus de libertés».
Longévité
Pour épicer cette prose un peu fade, le chef de l'État ajoute une pincée de promesses intenables.
Ainsi, dans l'Éducation nationale, il jure d'obtenir le «remplacement systématique des enseignants absents». Si la France gagnait un euro chaque fois que ce vœu fut annoncé par un ministre de l'Éducation, notre déficit serait un vieux souvenir.
Le président assure aussi que «d'ici la fin de l'année prochaine», les services d'urgences hospitalières seront «désengorgés». Un objectif, certes exigeant, qui a le mérite de mobiliser les énergies, souligneront les fidèles d'Emmanuel Macron. Mais celui-ci avait déjà promis, en 2017, que plus personne ne dormirait dans la rue. Sans succès, malgré une mobilisation pour l'hébergement d'urgence.
En somme, qu'importe que les buts soient inatteignables, pourvu qu'ils parlent de l'avenir –et non de l'abrasif débat du moment. Mais comment ouvrir une nouvelle ère politique, dans un climat aussi heurté?
«Un fanatique, c'est quelqu'un qui ne peut pas changer d'avis et qui ne veut pas changer de sujet», professait Churchill.
La classe politique est dans cet état. Sur les retraites, Emmanuel Macron ne veut pas changer d'avis; l'opposition ne veut pas changer de sujet.
D'où cette impression d'une partition trop prévisible. Comme la musique du Titanic qui résonne piteusement dans un océan de lassitude, de colère, de délitement.
Cette atmosphère tient aussi à un chiffre. Jusqu'ici, jamais sous la Ve République un président n'était resté en poste six ans avec la même majorité. François Mitterrand avait subi la cohabitation au bout de cinq ans. Jacques Chirac au bout de deux.
Il manque donc une respiration démocratique à l'actuel chef de l'État. Faute de quoi, l'air politique devient irrespirable.