Inès*, étudiante à Paris, remplit tous les critères pour bénéficier d'une chambre Crous. Elle a été élevée par une mère seule qui vit sous le seuil de pauvreté, loin de son lieu d'étude. En fonction des années, son échelon de bourse varie entre 5 et 7. Mais faute de places, ses demandes n'ont jamais abouti.
Créer davantage de logements étudiants faisait pourtant partie des promesses de campagne d'Emmanuel Macron en 2017. Et avant lui, de François Hollande, de Nicolas Sarkozy et de Jacques Chirac. Mais les uns après les autres, leurs différents gouvernements ont échoué à venir à bout de la pénurie de logements étudiants.
Sous Macron, des résultats très en-dessous des objectifs
C'était écrit noir sur blanc dans le programme présidentiel de 2017 de La République en marche (LREM): «Nous construirons 80.000 logements pour les jeunes: 60.000 logements pour les étudiants et 20.000 logements pour les jeunes actifs.» Pourtant, en octobre 2021, une dépêche d'AEF info relevait que seuls 36.000 logements étudiants avaient été «mis en service». Et depuis, silence radio. Dans le programme présidentiel de 2022 du candidat Emmanuel Macron, le sujet n'était même pas évoqué.
Dans un dossier de presse relatif à la rentrée étudiante 2022, diffusé mi-septembre dernier, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche indiquait poursuivre «un plan ambitieux de construction de 60.000 logements consacrés aux étudiants, initié sous le précédent quinquennat. Un plan qui n'a pas pu être pleinement exécuté en raison de la crise sanitaire et des retards suscités sur le marché immobilier.»
Contacté, le ministère de la Transition écologique précise qu'une enquête est en cours pour comptabiliser le nombre exact de places mises en service entre 2018 et 2022. Selon ce même ministère, il devrait être inférieur à 40.000, soit 20.000 places de moins que prévu.
À l'heure actuelle, le gouvernement semble avoir abandonné la stratégie des grosses annonces: aucun plan de création de logements étudiants n'a été fixé dans une circulaire du 13 mars 2023, adressée aux préfets de région et recteurs académiques, qui définit les contours de la politique de logement étudiant du quinquennat. Les priorités mentionnées dans la circulaire sont de «poursuivre la mobilisation des fonciers constructibles recensés», «connaître, prévoir et partager l'offre de logement existante et à venir» et «maintenir la mobilisation de tous les acteurs». Mais aucun objectif chiffré n'est annoncé.
Des échecs en cascade depuis les années 2000
Le grand plan national de logements étudiants à chiffres ronds n'est pas une idée nouvelle, c'est même une vieille tradition politique. Fin 2003, une mission parlementaire est confiée à Jean-Paul Anciaux, député de Saône-et-Loire (UMP), qui préconise de créer et rénover 120.000 lits Crous sur dix ans, avec l'objectif que les Crous logent 30% des boursiers et 10% des étudiants d'ici à 2014. Ces recommandations servent de feuille de route sous les quinquennats de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Mais les deux plans Anciaux (2004 et 2008) se soldent finalement par un échec. Entre 2004 et 2013, seules 76.000 places en Crous ont été créées ou réhabilitées sur les 120.000 prévues, selon le rapport annuel de la Cour des comptes en 2015. Depuis les années 2000, François Hollande est le seul à avoir atteint son objectif, non sans mal. Un peu plus de 40.000 places dans des logements sociaux étudiants ont semble-t-il été mises en service sous son mandat, comme le prévoyait son «plan 40.000».
Des objectifs insuffisants
Mais selon Fanny Bugeja-Bloch, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Paris Nanterre et spécialiste du logement et des inégalités dans l'enseignement supérieur, «tous ces plans ne sont absolument pas à la hauteur de l'ampleur des difficultés étudiantes en matière de logement».
Avec la massification de l'enseignement supérieur, la proportion d'étudiants a été multipliée par dix depuis 1960, passant de 310.000 à presque 3 millions pour l'année universitaire 2021-2022. À l'époque, le Crous, acteur principal du logement étudiant, logeait 35% des étudiants. Aujourd'hui, seulement 6% bénéficient d'un logement Crous et 2% d'un logement à tarif social en dehors du Crous.
«Il y a un manque criant de logements étudiants. Il faudrait au moins entre 10.000 et 15.000 constructions chaque année pour répondre aux besoins.»
«On a donc d'un côté le nombre d'étudiants qui explose et de l'autre une offre de logement étudiant qui ne suit pas cette hausse», commente l'enseignante-chercheuse, qui a mené –avec sa collègue Leïla Frouillou– une enquête sur les conditions de vie des élèves de son établissement, dans le cadre de la mission «précarité et santé des étudiants de l'université Paris Nanterre». Les résultats sont frappants: alors que 28% des sondés déclarent avoir besoin d'un logement Crous, seulement 6% d'entre eux en bénéficient effectivement, tandis que 1,3% des étudiants n'ont pas de logement pérenne.
Si on ne dispose pas d'estimations précises des besoins à l'échelle nationale, il ne fait aucun doute pour Alexis Alamel, enseignant-chercheur en géographie sur le campus caennais de Sciences Po Rennes, qu'«il y a un manque criant de logements étudiants». Il estime qu'il «faudrait au moins entre 10.000 et 15.000 constructions chaque année pour répondre aux besoins».
Derrière ces constats nationaux se cachent des situations variées à l'échelle locale, tient à rappeler Jean-Claude Driant, professeur et spécialiste du logement à l'École d'urbanisme de Paris: «Il y a bien la nécessité de créer des programmes quantitatifs, mais il faut les mettre au bon endroit.» Certaines académies, comme celles de Lille et de Paris, sont en très grande tension, tandis que la situation à Rennes ou Grenoble est moins préoccupante, souligne-t-il.
La création des observatoires territoriaux du logement étudiant (OTLE) au cours du dernier quinquennat est donc un pas en avant selon les deux chercheurs. «Cela a permis la mise en place de moyens de réflexion et d'analyse à l'échelle locale en réunissant l'ensemble des partenaires», explique Jean-Claude Driant, membre du conseil scientifique de la commission de labellisation de ces OTLE, qui regrette malgré tout que les choses n'aillent pas aussi vite que prévu.
Les Crous davantage concurrencés par le secteur social et le privé
Tandis que l'offre sociale peine à décoller, les résidences privées, elles, poussent comme des champignons. Elles représenteraient aujourd'hui plus d'un tiers des places dédiées aux étudiants (140.000 sur 375.000). Or, proposer une offre avantageuse pour les élèves précaires est loin d'être la priorité des investisseurs, qui cherchent plutôt à faire de l'immobilier étudiant un business lucratif. Leur cœur de cible: les étudiants des classes moyennes ou supérieures.
«Ce mille-feuille d'aides est illisible pour les étudiants. Cela rend les démarches hyper complexes et parfois violentes symboliquement.»
Outre le boom des résidences privées, une autre tendance se dessine: les Crous n'ont plus le monopole du logement étudiant à tarif social. Ils ne sont gestionnaires que d'une minorité des places créées au cours des deux précédents quinquennats. Environ 27% pour le «plan 60.000» du premier mandat d'Emmanuel Macron et 48% pour le «plan 40.000» de celui de François Hollande. Les autres places correspondent à des logements gérés par des bailleurs sociaux ou des associations.
Une évolution qui inquiète Salomé Hocquard, responsable des questions sociales au bureau national de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF). Selon elle, «le Crous doit rester l'acteur principal du logement étudiant». «C'est important qu'il soit identifié par les étudiants comme un acteur central de leur vie, renchérit Sarah Biche, vice-présidente chargée de l'innovation sociale à la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE). C'est un guichet d'accès à plein d'autres services: pas juste le logement, mais aussi la restauration, la vie étudiante, l'accompagnement social.»
Fanny Bugeja-Bloch identifie une autre difficulté liée à la multiplication des acteurs et des formes de logements: «Ce mille-feuille d'aides est absolument illisible pour les étudiants. Cela rend les démarches hyper complexes et parfois violentes symboliquement.»
Le logement, pierre angulaire de la précarité étudiante
Premier poste de dépense, le logement est au cœur de la précarité étudiante et a des conséquences sur la santé et la réussite scolaire. Pour compenser un loyer trop élevé, beaucoup d'élèves rognent sur leur budget alimentaire ou travaillent, au risque que cela empiète sur leurs heures de cours. En première ligne: les boursiers et les étudiants étrangers, qui ont pâti plus que les autres de la crise sanitaire.
En attendant le développement de l'offre sociale, c'est la débrouille qui prime. Recalée par le Crous, Inès* a passé des semaines à faire la queue pour visiter de minuscules studios sans recevoir de réponse positive. Elle a fini, lors d'un forum dédié au logement, par supplier une responsable d'un réseau de résidences sociales de pistonner son dossier pour obtenir une place. «Ce n'est certainement pas en respectant la procédure officielle que j'aurais trouvé», conclut-elle.
* Le prénom a été changé.