Quel est le point commun entre Marine Le Pen, l'Italien Matteo Salvini, et le Néerlandais Geert Wilders? Certes, tous partagent une politique d'extrême droite, xénophobe et identitaire. Mais là n'est pas la réponse.
Non, tous les trois aiment en fait s'afficher aux côtés d'animaux. Sur leurs réseaux sociaux, on peut donc voir des petits chats mignons entre deux posts anti-migrants. Mais dans quel but? L'extrême droite est-elle donc vraiment l'amie de la cause animale?
«En France, le Rassemblement national met énormément en avant ses relations avec les animaux», souligne Lucas Jakubowicz, journaliste politique, rédacteur en chef de Décideurs Magazine et auteur du livre Un animal pour les gouverner tous. Une politique qui semble porter ses fruits auprès d'un certain public. «Marine Le Pen a une certaine bienveillance, avançait Delphine Wespiser, ex-Miss France, sur le plateau de «Touche pas à mon poste» en avril 2022. Elle dit qu'elle aime les animaux, qu'elle aime la nature, moi ça me plaît. Elle est humaine, authentique.»
Valider une idéologie
«Pour tous les partis politiques, la cause animale sert à valider une idéologie. Le premier buzz de Marine Le Pen en 2012, c'était lorsqu'elle se prononçait contre la viande halal», rappelle Lucas Jakubowicz. Cette année-là effectivement, celle qui est candidate pour le Front national (FN, ex RN) à la présidentielle déclare que «l'ensemble de la viande qui est distribuée en Île-de-France, à l'insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal».
Voilà un des sujets phares de l'extrême droite lorsqu'il s'agit d'évoquer la cause animale. Dans la religion musulmane en effet, afin qu'une viande soit halal, il faut que la bête ait été tuée en ayant la gorge tranchée selon la méthode de la dhabiha, sans étourdissement préalable. Or, selon les défenseurs des droits des animaux, cette pratique entraîne la souffrance des bêtes. Dénoncer la viande halal représente donc une opportunité pour le RN, coutumier d'un discours anti-islam et xénophobe. «Pour Marine Le Pen, c'est une manière de dire “En défendant les animaux, je combats l'islam”», résume Lucas Jakubowicz. En somme, faire d'une pierre deux coups.
Autre exemple cité par le journaliste: en 2015, Fabien Engelmann, maire FN d'Hayange (Moselle) poste un tweet où il pose, tout sourire, avec des moutons. «Quatre petits rescapés de l'Aïd el-Kébir. Ils seront redirigés vers des associations de protection animale», écrit le maire sur Twitter. Pour la fête musulmane de l'Aïd, il est courant de sacrifier un ovin.
Ce discours d'extrême droite, qui porte un message anti-musulman, a une autre fonction: «Poser avec des animaux mignons permet aussi au RN de se dédiaboliser. Cela porte le message “Regardez, on est avant tout les amis des animaux”», analyse Lucas Jakubowicz. Selon lui, cette tendance qui a commencé au début des années 2000 vise en partie à s'éloigner du passé militariste du parti.
Quatre petits rescapés de l'Aïd el-Kébir. Ils seront redirigés vers des associations de protection animale. pic.twitter.com/2q1shi2GHc
— Fabien Engelmann (@FabienEngelmann) September 23, 2015
Le chat, machine à clics
Certains politiciens semblent vraiment aimer leurs animaux. Mais ces derniers sont également utilisés de manière pragmatique, pour générer du clic, le chat en tête. «Selon les études d'opinion, les chats sont les animaux considérés comme les plus chou», explique Lucas Jakubowicz.
L'extrême droite française n'est pas la seule à poser avec nos amis à moustaches. Ainsi, si ici Karine Le Marchand se rend chez Marine Le Pen pour parler chats, aux Pays-Bas c'est la journaliste Eva Jinek qui interroge en 2017 le populiste Geert Wilders, chef du Parti de la liberté (PVV, extrême droite), à propos de son amour pour les félins.
«Trop bien! Je viens d'être interviewé pour parler de mon amour des chats en général, et plus particulièrement de Snoetje et Pluisje [ses deux chats, dont les noms peuvent être traduits par “Petit museau” et “Petit duvet”, ndlr]», s'enthousiasme le responsable politique sur Facebook. Les deux animaux possèdent même leur propre compte Twitter, suivi par plus de 20.000 personnes, où sont diffusés divers photomontages et autres clichés. Un aspect mignon et gentil qui contraste avec la politique de leur propriétaire, coutumier des sorties xénophobes. En 2014, par exemple, en réponse à ses militants qui demandaient «moins» de Marocains, il avait répondu: «Eh bien on va régler ça.»
Fijn Paasweekend! 😻😻 pic.twitter.com/rLGQdhCMyr
— Snoetje en Pluisje (@Wilderspoezen) April 8, 2023
En Italie, c'est Matteo Salvini, patron de la Ligue du Nord, parti d'extrême droite, et actuel vice-président du Conseil des ministres, qui est amateur de félins. «Aujourd'hui c'est la journée du chat. Caressez tous les petits félins présents à vos côtés», écrit-il sur Facebook en 2020, accompagné d'une photo arborant un #LeschatsavecSalvini. S'il met en avant ces animaux, c'est surtout à l'aide d'un système médiatique surnommé «La Bestia», développé par un informaticien proche du politicien, qui permet d'atteindre un maximum de viralité sur chaque post.
Et dans la pratique?
Mais cet amour affiché des animaux par les partis d'extrême droite se traduit-il par un réel engagement sur le terrain? Le RN, bien qu'il ait consacré un livret thématique entier à la protection des animaux lors de la dernière présidentielle, affiche des contrastes. «Le parti ne veut pas la fin de la corrida, par exemple, observe Lucas Jakubowicz. Il se place comme défenseur des traditions occidentales, or la corrida en est une. Et dans les villes où elle est pratiquée, comme Béziers ou Perpignan qui ont des maires d'extrême droite, le RN réalise ses meilleurs scores. Alors forcément, ils ne vont pas se pencher sur son interdiction.»
Stéphane François, docteur en science politique, expert de l'extrême droite et de l'écologie politique, est du même avis: «Le RN ne fait pas grand-chose pour la cause animale, tranche-t-il. Certes il y a ce côté “30 millions d'amis”, mais sur les animaux et le volet écologique, il n'y a rien. Marine Le Pen n'a jamais voulu l'arrêt de la pêche ou de l'agriculture intensive, par exemple.» Selon lui, l'électorat écologiste ne sera jamais attiré par l'extrême droite: «À quoi bon, pour le RN, développer un discours qui n'attirera jamais cet électorat? Autant parler à ceux qui leur sont acquis dans les zones rurales.»
Le parti d'extrême droite pratique en façade un jeu de contorsionniste, comme sur la question de la chasse. «Les mesures que Marine Le Pen propose prennent évidemment en compte les nécessités de l'élevage, de la pêche et de la protection des cultures; elles n'ont pas pour finalité l'interdiction de la chasse ou les essais à finalité thérapeutique sur les animaux, si et seulement si ceux-ci sont indispensables», peut-on ainsi lire dans le programme de la candidate en 2022.
L'observatoire «Politique & Animaux», animé par l'association de défense des animaux L214, et qui note les responsables politiques en fonction de leurs prises de position sur les êtres vivants, attribue de son côté un 9,2/20 à Marine Le Pen, bien loin de nombreux députés de gauche. Sur la plateforme «Engagement Animaux 2022», gérée par trente ONG de défense des animaux, la candidate d'extrême droite à la dernière présidentielle coche 58% des mesures présentées par les associations.
«Certains militants du RN peuvent défendre la cause animale et l'écologie dans leur sphère privée, mais au niveau du parti, il n'y a aucune conscience écologique», pointe Stéphane François. Si des figures, qui baignent dans l'extrême droite et dans la cause animaliste, ressortent parfois, comme Brigitte Bardot ou Savitri Devi Mukherji, c'est parce qu'il s'agit d'un engagement personnel de ces individus. En attendant, le politologue estime que la récente venue d'Hugo Clément chez Valeurs actuelles, où il a débattu avec Jordan Bardella, président du RN, ne fera pas avancer ces idées chez l'extrême droite: «Quand l'un parle d'écologie mondiale, l'autre prône une vision nationaliste. Mais l'écologie aujourd'hui ne connaît pas de frontières.»