Politique / Monde

Le positionnement diplomatique de Macron est inaudible

Temps de lecture : 8 min

Les propos tenus par Emmanuel Macron au retour de son voyage en Chine sur l'Europe et les États-Unis ont plongé le monde dans la stupeur.

Emmanuel Macron assiste à un entraînement de football pour enfants, le 4 avril 2023 au Stade de la Plaine à Clamart (Hauts-de-Seine). | Julien de Rosa / POOL / AFP
Emmanuel Macron assiste à un entraînement de football pour enfants, le 4 avril 2023 au Stade de la Plaine à Clamart (Hauts-de-Seine). | Julien de Rosa / POOL / AFP

En revenant de Chine, Emmanuel Macron a pu constater la difficulté d'affirmer une position proprement française sur certains sujets internationaux. L'histoire peut, cependant, lui donner quelques indications.

Inspiration gaulliste

Au début de la Ve République, le gaullisme a parfois montré des moments de plein accord avec les États-Unis. C'était le cas en 1961, lorsque l'URSS avait commencé à installer des missiles à Cuba, non loin des côtes américaines. De Gaulle n'avait alors pas hésité à ranger la France dans le camp du soutien aux États-Unis. Après une ferme intervention du président américain John Kennedy auprès du leader russe Nikita Khrouchtchev, les missiles avaient été ramenés en URSS.

Mais il y a aussi dans la tradition gaulliste des tentatives de mise en cause de la domination anglo-saxonne. En 1964, la reconnaissance diplomatique de la Chine populaire en est une. De même quand, en 1967, à Montréal, devant une foule immense, le Général termine un discours en proclamant «Vive le Québec», avant d'ajouter quelques secondes plus tard: «Vive le Québec libre!» C'était là le principal slogan des indépendantistes québécois. Les remous provoqués par cette phrase vont agiter pendant plusieurs décennies la vie politique de la Belle Province mais les indépendantistes du Québec ne parviendront jamais à remporter les élections.

Le 7 avril, Emmanuel Macron s'est appuyé sur ce deuxième aspect de la tradition gaulliste. Il quitte Canton après un dîner avec le président chinois Xi Jinping et, au début de son vol retour vers Paris, il invite trois journalistes à le rejoindre à l'avant de l'avion. L'un représente Radio France, le second Les Échos et le troisième un média américain, Politico. Devant eux, après trois jours de visite officielle en Chine, il souligne notamment l'importance, à ses yeux, de développer une troisième voie européenne, entre les États-Unis et la Chine, précisant: «Nous ne voulons pas entrer dans une logique de bloc à bloc.»

Le président français estime que l'Europe doit acquérir son «autonomie stratégique», sans quoi, détaille-t-il, elle risque d'être «prise dans un dérèglement du monde et des crises qui ne seraient pas les nôtres». Il prend comme exemple le danger d'être entraîné dans un conflit qui éclaterait à propos de Taïwan. Il demande: «Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan? Non», répond-il. Et il ajoute: «La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes» et «nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise». Pour Emmanuel Macron, il serait préférable que la France et l'Europe «restent à distance».

Pierre Haski, qui était l'un des trois journalistes participant à cette interview, a indiqué, sur France Inter, avoir dit au président son étonnement de l'entendre parler d'une nécessité de «rester à distance». Emmanuel Macron lui a répondu: «Je n'ai pas le choix», car son objectif est de construire cette autonomie stratégique européenne qui différencie la France des États-Unis. Aussi, pour le président français, il s'agit de se concentrer sur l'Europe et d'éviter de se laisser entraîner dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine, et dans des crises qui ne sont pas les siennes. Il avait déjà formalisé ce genre d'idée dans un discours prononcé à la Sorbonne en 2017 où il ambitionnait, entre autres, que l'Europe se dote «d'une force commune d'intervention, d'un budget de défense commun et d'une doctrine commune pour agir».

Réactions chinoises, américaines et européennes

À Pékin, où, une fois que le président français a pris son avion, on a déclenché trois jours d'exercices simulant un encerclement militaire de Taïwan avec avions et bateaux de guerre, on observe attentivement tout ce qui peut aller dans le sens d'un affaiblissement de la relation transatlantique. La presse chinoise souligne avec intérêt l'idée d'Emmanuel Macron d'aller vers une autonomie stratégique de l'Europe.

Le Global Times, journal proche du Parti communiste chinois, indique: «Après la Seconde Guerre mondiale, la Guerre froide a rapidement démarré et De Gaulle s'est fait l'avocat implacable de l'autonomie stratégique, se retirant du commandement intégré de l'OTAN et établissant des relations diplomatiques avec la Chine [...] Aujourd'hui, il ne faut pas longtemps pour vérifier la compréhension de Macron de ce qu'est l'autonomie stratégique de l'Europe.» Dans le même journal, un autre article estime cependant que Paris et l'Europe sont «liés par l'OTAN» et qu'il n'est «pas réaliste» d'imaginer que la Chine les trouverait à ses côtés si elle était confrontée militairement aux États-Unis.

«Macron divise et affaiblit l'Europe avec une rhétorique aussi naïve et dangereuse.»
Norbert Röttgen, député de l'opposition en Allemagne

De leur côté, les réactions américaines aux déclarations d'Emmanuel Macron sont remplies d'une certaine dose d'amertume. Non pas à la Maison-Blanche où John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, assure prudemment: «Nous avons toute confiance dans notre excellente relation bilatérale avec la France.» Mais, dans l'opposition républicaine, Marco Rubio, sénateur de Floride, ironise: «Nous avons besoin de savoir si Macron parle pour Macron, ou s'il parle pour l'Europe. Nous avons besoin de le savoir rapidement, parce que la Chine est très enthousiaste à propos de ce qu'il a dit.»

Aux États-Unis, on n'a pas apprécié qu'Emmanuel Macron prône une Union européenne qui ne soit pas «suiviste» de Washington ou de Pékin sur la question de Taïwan. Le New York Times écrit qu'Emmanuel Macron «sape» les efforts américains pour contenir l'influence du régime chinois en Asie. Le Wall Street Journal estime que «les propos inutiles» du président français sont tenus «au pire moment». Par ailleurs, avec une délicatesse discutable, l'ancien président Donald Trump s'est demandé si Emmanuel Macron n'essayait pas de «lécher le cul» de Xi Jinping.

En Europe, l'interview d'Emmanuel Macron a provoqué de l'incompréhension et de l'embarras. Seul le Premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orbán a approuvé en disant: «Le président français cherche de potentiels partenaires et non à se faire des ennemis, ce qui se rapproche de la position hongroise.» Les autres pays de l'est de l'Europe, qui ont été des démocraties populaires, n'envisagent pas de se passer d'une protection de l'OTAN et donc d'une alliance avec les États-Unis. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki considère que l'alliance avec les États-Unis est «un fondement absolu» de la sécurité européenne. En 2019, Emmanuel Macron avait déclaré que l'OTAN était «en état de mort cérébrale». Il serait difficile de le dire aujourd'hui, alors que l'aide de l'organisation est particulièrement active en Ukraine.

Quant à l'Allemagne, de nombreux articles de presse sont sévères à l'égard du président français. Dans la semaine du 11 avril, le quotidien Bild dénonce un «agenouillement dangereux de Macron devant la Chine», le magazine Der Spiegel demande: «Macron aurait-il complètement perdu les pédales?» et pour le Tagesspiegel, «les appels d'Emmanuel Macron à développer “l'autonomie stratégique” de l'Europe dénotent une bonne dose de mégalomanie». Parmi les politiques, Norbert Röttgen, un député CDU (Union chrétienne-démocrate), donc d'opposition, déclare: «Macron divise et affaiblit l'Europe avec une rhétorique aussi naïve et dangereuse [...]. L'Europe doit devenir plus indépendante, non pas contre les États-Unis mais en partenariat avec nos alliés transatlantiques.»

Une voix singulière sur la scène internationale

Après le positionnement français affiché par Emmanuel Macron, une question se pose visiblement en Europe: a-t-il bien choisi son moment pour se démarquer des États-Unis alors qu'ils sont massivement engagés dans la défense de l'Ukraine face à l'agresseur russe?

Effectuant une visite d'État aux Pays-Bas, le président va, le 12 avril, non pas modifier ce qu'il avait dit dans l'avion mais compléter son propos. Il explique à La Haye que la France est «pour le statu quo» à propos de Taïwan ainsi que pour un règlement pacifique de la situation, et il souligne que «c'est la position européenne». Par ailleurs, il indique à propos de la relation entre la France et les États-Unis: «Être allié ne signifie pas être vassal.» Il ajoute qu'une frégate française est depuis quelques jours présente dans le détroit de Taïwan et considère que «la France n'a de leçon à recevoir de personne, ni sur le théâtre ukrainien, ni sur le théâtre [...] taïwanais». Tout cela laisse entendre que la France ne peut pas dire qu'elle n'est pas concernée par ce qui pourrait se passer à Taïwan.

En Allemagne, le député CDU Norbert Röttgen va commenter ces précisions apportées par Emanuel Macron à La Haye. Il estime que «le point positif est qu'il n'en ait pas rajouté sur Taïwan. [...] En revanche, c'est une erreur de continuer de mettre sur un pied d'égalité les États-Unis et la Chine. Le raisonnement qui est derrière cette rhétorique de l'équidistance n'est pas clair et ne peut qu'être source d'irritation.»

Si la Chine attaquait Taïwan, cela aurait de multiples conséquences sur l'économie française.

D'autre part, le 13 avril, Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères, qui est alors en visite à Pékin, affirme ne pas se désintéresser de Taïwan: «une escalade militaire dans le détroit de Taiwan, où transite chaque jour 50% du commerce mondial, serait un scénario catastrophe pour le monde entier», dit-elle, tranchant avec le maintien «à distance» qu'Emmanuel Macron avait exprimé sur la question. En tout cas, la ministre allemande prend soin d'ajouter: «Il n'y a pas d'autre partenaire avec lequel nous nous coordonnons aussi étroitement dans l'Union européenne qu'avec nos amis français.»

L'objectif d'Emmanuel Macron est sans doute de réaffirmer la tradition diplomatique de la Ve République qui implique que la France ait une voix singulière sur la scène internationale. Une voix qui a permis, d'un côté, à François Mitterrand de prononcer en 1983 un discours au Bundestag, le Parlement allemand, où il insistait pour que l'Allemagne accepte le déploiement sur son sol d'euromissiles américains face à l'URSS. Et d'un autre côté, une voix qui a amené Jacques Chirac en 2003 à refuser d'engager la France dans la guerre décidée par les Américains contre l'Irak de Saddam Hussein.

Mais aujourd'hui, en tant que membre du Conseil de sécurité de l'ONU, il est difficile pour la France, en se recentrant sur l'Europe, de se désintéresser de l'Extrême-Orient. En raison de sa présence dans des territoires de l'Indo-Pacifique-sud et du Pacifique-sud, il serait surprenant que la France reste «à distance» si la Chine attaquait l'île de Taïwan. D'autant que, comme le souligne la ministre allemande des Affaires étrangères, un tel conflit aurait aussi de multiples conséquences sur l'économie française, notamment en provoquant un blocage du trafic maritime en mer de Chine.

Le concept même d'autonomie stratégique de l'Europe auquel Emmanuel Macron semble tenir ne convient manifestement pas à de nombreux pays de l'Union européenne. L'avoir évoqué dans le ciel de l'Asie puis aux Pays-Bas a réveillé un véritable barrage contre cette conception à la française de la défense de l'Europe. Face à la guerre en Ukraine et l'entrée en scène des États-Unis, un bloc atlantiste s'est établi et il rend la vision stratégique d'Emmanuel Macron inaudible. Il ne semble pas opportun d'envisager d'autres choix que l'alliance de l'Europe avec les États-Unis. Alors, jusqu'à ce qu'un éventuel nouvel ordre mondial se dessine, la France va devoir cultiver seule son autonomie stratégique.

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