Politique

Nos élus se la racontent au lieu de parler de la France

Temps de lecture : 4 min

«Intervilles» incarnait davantage le tragique de l'histoire que la vie politique française actuelle.

Le député de La France insoumise Thomas Portes est chahuté par les élus de la majorité, après la publication d'une photo sur laquelle on l'aperçoit écraser du pied un ballon à l'effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 10 février 2023. | Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Le député de La France insoumise Thomas Portes est chahuté par les élus de la majorité, après la publication d'une photo sur laquelle on l'aperçoit écraser du pied un ballon à l'effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 10 février 2023. | Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

L'actuelle législature nous permet de penser qu'un paroxysme est en passe d'être atteint dans l'enfermement sur lui-même du monde de nos représentants politiques et dans sa propension à exhiber son fonctionnement au lieu d'en définir et préciser les enjeux pour la nation.

Si le sujet de la réforme de la retraite n'avait pas surgi, le débat public se serait limité à ces considérations purement internes. Il y a d'ailleurs fort à parier que très vite, cet enfermement reprenne. Ses caractéristiques premières sont inquiétantes: une réconciliation des Français avec la politique (ou ce qu'il en reste) est-elle encore possible?

Le débat politique est mort

Le 7 avril, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, adressait aux députés un courrier relatif à leur comportement en séance. Il faut dire que, pire encore de ce que l'on pressent de l'état du débat parlementaire, c'est l'écho qui en est fait qui finit par gêner le citoyen et l'électeur –dont la présence au prochain scrutin est de plus en plus hypothétique: invectives, insultes, mises en cause surréalistes, rumeurs sur des beuveries à la buvette (pourtant jadis lieu de calme relatif et de fraternisations sans excès), tenues débraillées, etc.

La chambre basse donne surtout le sentiment de n'avoir plus à rendre compte que de ses propres indignités, consubstantielles d'une certaine impuissance. On parle ainsi désormais moins du fond des débats que des débordements de nombre de membres du Parlement, des sanctions disciplinaires contre tel député, des protestations contre ces suspensions.

Tous les groupes ont leur part de responsabilité, tous ayant été mêlés peu ou prou à une forme quelconque de dégradation du travail parlementaire. Au Parti socialiste (PS), moins on est nombreux, plus on se photographie sourire aux lèvres: les réseaux sociaux du PS sont saturés d'albums photos; d'idées, un peu moins.

«En tant que»: la représentation prisonnière de l'ego

Les interventions de plus en plus de parlementaires relèvent, par ailleurs, plus du groupe de parole que de l'assemblée délibérante. Pour toute une génération, certaines d'entre elles font immanquablement penser aux sorties de Michelle, ce personnage du teen movie American Pie qui, sempiternellement, racontait ses expériences en «stage d'été».

On intervient désormais «en tant que» –papa, maman, ancien manager, prof, fils, etc. Cette incapacité largement partagée à transcender sa condition personnelle afin de se faire représentant du peuple est-elle liée à un défaut de culture politique ou à une grande fatigue démocratique?

À peine élus, ou de plus en plus tôt avant les élections suivantes, les interventions des responsables politiques se font aussi les échos des tactiques et alliances à venir. On apprend que tel ou telle ministre «vise» la mairie de Paris alors que les élections municipales ne sont prévues que pour 2026 –Jacques Chirac, lui, n'avait déclaré sa candidature qu'en janvier 1977, pour un scrutin se tenant en mars.

Concernant La France insoumise, on ne comprend absolument pas les changements de ligne politique au fil des jours. Au Rassemblement national, on ne dit rien: n'existe que le monolithisme de la direction. Dans la majorité, le sénateur de la Côte-d'Or (LREM) nous apprend qu'il «a dîné la veille à Matignon» (ce qui préoccupe le lecteur), mais rien de politique en soi (ce qui tient chez lui d'une remarquable continuité).

On sait plus qui a été l'ami, le colocataire, le concubin de qui, que qui pense quoi –ni d'ailleurs s'ils pensent. On connaît plus les menus des cantines de nos assemblées et leur part de bio que l'ordre du jour des séances. Et alors que la France souffre d'une crise énergétique, sur les causes réelles de laquelle la représentation nationale peine à donner des raisons logiques et compréhensibles, l'Assemblée nationale annonçait, en octobre dernier, les mesures qu'elle comptait mettre en place en son sein, afin de diminuer sa consommation d'énergie. En bref: «Intervilles» incarnait davantage le tragique de l'histoire que la vie politique française actuelle.

Cela concerne également de plus en plus d'assemblées locales, où les querelles d'egos s'étalent, et ce, sans même aller jusqu'à la sordide affaire de Saint-Étienne qui a vu cinq personnes, dont le maire Gaël Perdriau, être mises en examen pour une histoire de chantage politique à la sextape. On connaît mieux la température dans les bâtiments municipaux que les mesures embarrassantes des plans locaux d'urbanisme... La politique se délitant, le résiduel se fait maître.

Comme une partie de Cluedo au sommet de l'État

Il est également plus que fréquent de voir des sujets télévisés mentionner des succédanés de révolution de palais, citant «un ministre», «un conseiller ministériel», «un proche du président». Ce qui relevait autrefois de la brève, c'est-à-dire de l'anecdotique, devient l'alpha et l'oméga de notre actualité politique. L'état d'esprit de l'équipe du président de la République préoccupe plus certains analystes que celui des Français.

Ces récits plus ou moins intéressants donnent l'impression qu'en haut lieu, on joue éternellement à Henri III faisant estourbir le duc de Guise, qu'on complote sans fin et que, de surcroît, il ne s'agit que d'une lutte des places. Qui pour succéder à la Première ministre?, se demande-t-on. Jamais quelle politique. On voudrait décrédibiliser la représentation nationale, on ne s'y prendrait pas autrement. L'écho des savanes politiques sert surtout à fabriquer d'éternelles révolutions de palais et à masquer le déficit de pouvoir de nos institutions.

La vie politique donne pour impératif à ses participants de se raconter, de paraître –dans Playboy ou ailleurs. Le fameux «récit» qui serait le «graal» de chacun est d'abord un récit de soi. Et si le Sénat évolue plus lentement que l'Assemblée nationale dans cette voie, il sera rattrapé lui aussi. Il y a toujours eu des ambitions, des coups bas, des querelles, des comportements condamnables dans notre vie politique. Mais elle ne se résumait pas à cela. Maintenant, c'est le cas.

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