Ça s'est joué à un poil de main, mais Clément Dumais et les siens ont bien été couronnés champions du monde. Les plus de 11,6 millions d'internautes qui ont vu la vidéo de leur sacre –mise en ligne quelques mois après l'événement– peuvent en témoigner: les Franco-Suisses de l'équipe United sont devenus les meilleurs joueurs de... chat de la planète en août 2019.
Déposée sous le nom de Chase Tag [notre jeu du chat ou jeu du loup se nomme tag en anglais, ndlr], cette version améliorée et sportive d'un des jeux les plus prisés des enfants dans la cour de récré cartonne sur les réseaux sociaux. Le fonctionnement est le même: pour l'emporter, il faut toucher son adversaire. Le niveau des joueurs et le terrain d'affrontement rempli d'obstacles n'ont, quant à eux, rien à voir avec le divertissement de notre enfance.
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— la chaine L'Équipe (@lachainelequipe) April 1, 2023
Un véritable sport spectacle
En plus de ses règles simples, ce sport repose sur des manches rapides et un visuel spectaculaire. Autant d'ingrédients qui assurent une certaine viralité. «La vidéo que j'ai réalisée après la finale de 2019 est devenue la plus regardée de notre chaîne», indique Clément Dumais, champion du monde de World Chase Tag et membre du duo Hit The Road, aux plus de 758.000 abonnés sur YouTube. Le contenu en question cumule aujourd'hui plus de 3,3 millions de vues et lui vaut parfois d'être reconnu dans la rue, davantage pour cette activité que pour ses autres vidéos autour du parkour.
Sur TikTok aussi, il n'est pas rare de voir des vidéos de ce sport toucher un large public. Courir après son adversaire dans l'espoir de le toucher est donc logiquement devenu un des contenus proposés par des vidéastes très suivis comme Clément Dumais ou Charles Poujade, un de ses amis, lui-aussi adepte du parkour et également champion du monde il y a quatre ans. Ce dernier, qui s'est par ailleurs distingué lors du dernier concours télévisé «Ninja Warrior» sur TF1, cumule pratiquement un million d'abonnés sur sa chaîne YouTube, qu'il tient avec sa copine Mélanie Buffetaud.
L'histoire folle derrière le parcours de l'équipe United en 2019 a aussi bien aidé à la diffusion de cette pratique sur les réseaux sociaux. Le collectif franco-suisse n'a pas été épargné par les embûches: invitation à la dernière minute, problème de renouvellement de passeport du capitaine Loïc Giorgi, effectif réduit… Avant un titre mondial complètement inattendu dans la peau des parfaits outsiders.
Mais les vidéos de Clément Dumais ou de Charles Poujade ne cumulent pas les millions de vues sur YouTube uniquement grâce à ces péripéties et cette performance. Les vidéos de Chase Tag peuvent compter sur un allié de poids: elles sont régulièrement recommandées sur les plateformes de vidéo. «Souvent, les commentaires c'est: “YouTube m'a emmené là à 3 heures du matin et j'ai adoré”», raconte Clément Dumais. Pour ce jeune sport en quête d'expansion, comme pour les vidéastes, ce soutien de l'algorithme est bienvenu.
Une viralité qui ne doit rien au hasard
L'idée de professionnaliser le jeu du chat est née en 2012 dans la tête de Christian Devaux. Le storytelling est bien rodé: jouant avec son fils, le Britannique décide de corser le tout en ajoutant quelques obstacles et s'imagine en faire un sport à part entière. Un an plus tard, son frère Damien rejoint son projet. Mais impulser un engouement autour d'une discipline qui part de zéro n'est pas chose aisée. Les équipes du World Chase Tag (la ligue internationale regroupant les meilleurs joueurs) intègrent donc, dès le lancement du projet, des réflexions sur la télégénie de cette pratique lancée en pleine ère des réseaux sociaux.
«Jouer au chat, c'est une activité universelle, pose Loïc Ascarino, chargé du développement du World Chase Tag en Europe, Moyen-Orient et Afrique. Mais pour que cela devienne un sport pro, les fondateurs ont tout de suite voulu en faire quelque chose de viral. Dès qu'on lance une vidéo, on veut la finir, parce que c'est rapide, qu'il se passe des choses et qu'on est absorbé. Ça a été pensé comme ça dès le début.» Sport start-up, le Chase Tag a regardé du côté du MMA pour son parangonnage. Les cages de l'organisation américaine Ultimate Fighting Championship (UFC), qui a réussi à professionnaliser ce sport de combat en quelques années, ont ainsi beaucoup inspiré le duo fondateur.
Après des années d'ajustements pour trouver la meilleure formule possible, les obstacles disséminés sur le terrain et les règles ne bougent plus beaucoup. «On a testé différents formats, confie Loïc Ascarino. Certains étaient très marrants pour les joueurs, mais pas toujours faciles à suivre pour les spectateurs. Encore aujourd'hui, on garde en tête le fait de proposer une formule qui fonctionne visuellement.» Ces tests ont permis d'aboutir, dès 2016, au premier championnat du monde de Chase Tag. Aujourd'hui, ils se déroulent sur des terrains carrés de 12 mètres de côté, sur lesquels deux équipes s'affrontent lors de seize manches de vingt secondes maximum, ce qui colle parfaitement aux codes des vidéos shorts et autres reels.
@worldchasetag I bet that hurt 🥶 #parkour #revenge #dive #freerunning #extremesports ♬ Sick Phonk - BORNEDO
Chacun y trouve son compte: le sport est suffisamment spectaculaire pour scotcher les non-initiés quelques instants sur TikTok et suffisamment technique pour proposer à ses aficionados un niveau de lecture supérieur. «Un amateur ne fera pas la différence entre une vrille parfaite et une moins bien réalisée, compare Clément Dumais. Là, c'est bête et méchant, tout le monde connaît les règles et donc tout le monde peut prendre du plaisir à regarder.»
La télévision, prochain horizon?
L'aspect visuel et accessible de ce sport est l'une des clefs du développement de cette pratique, encore confidentielle. Après avoir réussi à séduire sur les réseaux sociaux, le World Chase Tag vise de plus en plus la télévision. Mission réussie dans l'Hexagone. Durant quatre samedis soir et jusqu'à ce 22 avril, La chaîne L'Équipe diffuse les derniers championnats du monde, qui ont eu lieu en mai 2022 à Londres et commentés notamment par Charles Poujade.
Et si la France est l'un des pays où le Chase Tag suscite le plus d'engouement, la discipline se télédiffuse également au-delà de nos frontières (pour le moment en différé). «Aux États-Unis, on est présent sur NBC Sports [et bientôt également sur ESPN, ndlr] et sur Channel 4 au Royaume-Uni, s'enthousiasme Loïc Ascarino. On étend de plus en plus notre diffusion télé, on est dans une phase d'accélération, même si on reste un sport très jeune.» Les droits télévisés représentent une manne financière non négligeable, au potentiel financier plus important que la viralité sur les réseaux sociaux. C'est aussi un bon moyen d'attirer des partenaires commerciaux.
Ces retransmissions pourraient venir un peu bousculer les règles de ce sport. «C'est parfois difficile pour une équipe de combler son retard quand elle perd, explique Loïc Ascarino. Pour ceux qui nous consomment uniquement sur YouTube, ce n'est pas grave. Mais passer à la télévision, ça nous fait nous poser des questions vis-à-vis du format qu'on a établi, parce qu'il faut aussi un certain suspense. Pour autant, on sait qu'il faut respecter ce qui fait la force de notre discipline, c'est-à-dire le fait qu'il n'y a pas de temps mort.»
Le petit écran pourrait donc continuer d'ouvrir ce sport au grand public. En ligne de mire: l'espoir de le professionnaliser un jour, avec des équipes et des championnats plus élargis. Et au-delà? «Ce qui est fort avec le Chase Tag c'est que ça a tout pour cartonner, s'enflamme Clément Dumais. Je suis sûr que ça finira aux Jeux olympiques!»