Sur un an, le taux d'inflation de la zone euro vient d'atteindre les 8,5%, en baisse de seulement 0,1 point par rapport à janvier 2023, selon Eurostat, l'office statistique de l'Union européenne. Dans le détail, ce sont les prix des produits alimentaires, de l'alcool et du tabac qui tirent vers le haut les résultats, avec un taux moyen de 15%, et ce, malgré le ralentissement de la hausse des prix de l'énergie observé par rapport à 2022. En seulement un an, l'inflation alimentaire (aliments transformés, alcool et tabac) a crû de 12 points, passant de 3,5% en février 2022 à 15,5% février 2023.
En France, le taux d'inflation générale sur une année, enregistré en février 2023, est à 7,2%, contre 7% un mois plus tôt. Il reste élevé, mais inférieur à la moyenne de la zone euro (8,5% en février 2023). Seulement, rien ne laisse présager que la situation s'améliorera dans les mois à venir. Ce que nous apprend la lecture des différentes publications et notes de conjoncture de la Banque centrale européenne (BCE), la désinflation n'est pas près d'arriver. Contrairement aux déclarations rassurantes du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qui écartait les risques d'un «mars rouge» et prédisait un «accord sur les prix».
En 2023, la hausse de l'indice des prix à la consommation harmonisé devrait s'élever en moyenne à 5,3% dans la zone euro, à «des niveaux élevés», puis ralentir à 2,9% en 2024 pour s'installer autour de 2,1% en 2025, répondant ainsi aux standards fixés par l'institution monétaire européenne. Soit encore deux bonnes années d'inflation, qui auront des conséquences directes sur le pouvoir d'achat et l'activité économique.
Un cercle vicieux qui s'installe
Sans accord sur l'indexation des salaires sur les prix, sans négociation sur la hausse des rémunérations, c'est la capacité de consommation qui est directement touchée. Et par un terrible effet domino, les marges et les résultats des entreprises, garantes de la stabilité de l'emploi et de l'activité économique, sont altérées. Comment assurer des profits si les gens achètent moins, par contrainte et obligation? Qui dit moins de demande dit moins d'offre, moins d'embauches, moins d'emplois et moins de croissance. Un cercle vicieux s'installe, altérant durablement les capacités de reprise.
Dans le même temps, et parce qu'elle remplit parfaitement son rôle, la BCE a décidé de rehausser ses taux directeurs afin d'atténuer les risques inflationnistes. Dans une logique très monétariste, l'institution monétaire suppose que les émissions trop importantes de monnaie, durant la décennie 2010 à la suite de politiques dites de «quantitative easing», ont provoqué une dévaluation de la valeur de l'euro.
Cet excès de liquidité a conduit, en partie, à une inflation aujourd'hui incontrôlée et trop élevée. S'il y a trop de monnaie, elle ne vaut rien, car c'est ce qui est rare qui a de la valeur. Il faudra donc plus d'argent pour se payer le même bien que précédemment.
L'idée peut-être pas si bonne de la BCE
Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir au fonctionnement du marché de la monnaie en Europe. C'est la BCE qui est chargée d'émettre et d'imprimer les billets libellés en euro puis de les vendre aux banques commerciales à un taux directeur, le prix de la monnaie banque centrale. Ces dernières remettent ensuite en vente ces billets, pour les crédits et les investissements, au prix du taux d'intérêt, directement connecté à la valeur du taux directeur.
Or, dans la décennie 2010, à la suite de la crise des subprimes, l'instance avait fixé son taux proche des 0%, voire en dessous, dans le but de soutenir les crédits et les investissements, conduisant alors à une émission excessive de billets et à une dévalorisation de la monnaie, provoquant l'inflation qu'on connaît aujourd'hui.
Solution, pour la BCE: la hausse du taux directeur. Chose qui a été décidée en mars dernier. «Le Conseil des gouverneurs [le principal organe de décision de la BCE, ndlr] a décidé d'augmenter les trois taux d'intérêt directeurs de la BCE de 50 points de base. Dès lors, les taux d'intérêt des opérations principales de refinancement, de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt seront relevés à respectivement 3,50%, 3,75% et 3%.»
Oui mais voilà, en voulant ralentir la dévaluation de la monnaie par une hausse des taux, on bloque les capacités des investissements, puisque, rappelez-vous, ces taux sont directement liés à ceux des taux d'intérêts des banques, qui financent les investissements.
Une herbe plus verte dans le futur?
Pour résumer, cette inflation durable, sans mesure forte de défense du pouvoir d'achat, altère la consommation et l'activité économique. La réponse des autorités, qui consiste à augmenter les taux directeurs, n'est pas adéquate puisqu'elle contraint les investissements. Baisse de la consommation + baisse des investissements = cocktail explosif, qui pourrait provoquer de plus graves désagréments au sein de la zone euro dans les prochains mois. Malheureusement, en regardant derrière nous, on constate que c'est ce qu'il se passe quasiment à chaque fois depuis les années 1960.
Dans une note pour Natixis, l'économiste Patrick Artus rappelle ainsi que dans presque tous les épisodes de désinflation (quinze sur seize), aux États-Unis et en Europe, cette dernière «est accompagnée d'un recul de la croissance et d'une hausse du chômage». Qu'il s'agisse de 1970-1973, 1975-1976, 1980-1983, 1991-1992, 1998, 2001-2003, 2009 ou 2015 aux États-Unis, ou de 1965-1967, 1976-1978, 1983-1986, 1992-1999, 2009, 2013-2015 dans la zone euro, sa conclusion est sans appel: «Il n'y a jamais eu de désinflation sans récession préalable: le “soft landing” [lorsque les autorités monétaires parviennent à modérer le taux de croissance pour éviter l'excès d'inflation, tout en la maintenant à un niveau suffisant pour éviter la récession, ndlr] n'existe pas.»
En cherchant à vouloir réduire la dévalorisation de la monnaie, responsable de l'envolée des prix, on augmente les taux d'intérêts et on contraint de fait les perspectives de reprise. Comment financer les projets et rassurer les investisseurs avec des coûts de crédit plus importants? Comment soutenir l'emploi et créer de l'activité?
Voilà l'avenir qui nous attend, si l'on en croit l'histoire économique récente. Dès que l'augmentation des prix commencera à ralentir, cela devra nécessairement s'accompagner d'une hausse du chômage et d'un recul de la croissance. Ou alors on change tout, et on décide de prendre des décisions fortes (comme la hausse des salaires?). Chiche?