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Macron en Chine: un échec diplomatique, une réussite commerciale

Temps de lecture : 9 min

En se rendant en Chine aux côtés d'Ursula von der Leyen le 5 avril, Emmanuel Macron comptait mettre en avant la guerre en Ukraine. Mais c'est surtout avec des contrats commerciaux qu'il est rentré.

Emmanuel Macron et Xi Jinping se serrent la main lors d'une conférence de presse au Palais de l'Assemblée du peuple, à Pékin, le 6 avril 2023. | Ng Han Guan / POOL / AFP
Emmanuel Macron et Xi Jinping se serrent la main lors d'une conférence de presse au Palais de l'Assemblée du peuple, à Pékin, le 6 avril 2023. | Ng Han Guan / POOL / AFP

Pour un dirigeant européen en visite à Pékin, il vaut sans doute mieux ne pas demander à la Chine d'agir en vue d'amener la Russie à négocier avec l'Ukraine. Emmanuel Macron a pu le constater au cours de la visite d'État qu'il a effectuée dans la capitale chinoise puis à Canton du 5 au 7 avril.

Visiblement, Pékin ne souhaite pas qu'on lui demande de chercher à influencer Moscou. La Chine attend d'autres objectifs, principalement économiques, de ses contacts avec les pays européens. Elle a reçu le chancelier allemand Olaf Scholz en novembre, puis le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez en mars. À chaque fois, des contrats industriels et commerciaux ont été signés et il en sera probablement de même lors de la visite de la Première ministre italienne en mai prochain. Emmanuel Macron, lui, voulait mettre en avant la question de la guerre russe en Ukraine.

Cette intention s'inscrivait dans un souci de renouer le dialogue direct franco-chinois qui, pendant trois ans, s'est refermé pour cause de crise sanitaire. En cela, le président français ne se différenciait pas d'autres dirigeants européens. Son originalité a été d'annoncer qu'il viendrait en Chine en compagnie d'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Les dirigeants chinois pouvaient difficilement s'opposer à cette démarche française.

Simplement, le protocole chinois va éviter d'associer pleinement Ursula von der Leyen à la visite d'Emmanuel Macron. Arrivée à Pékin dans un autre avion que celui du président français, elle n'est pas reçue avec le même cérémonial que lui. Notamment, n'ayant pas un statut de cheffe d'État, elle n'est pas près du président français lorsque, en compagnie de Xi Jinping, il passe en revue les troupes des trois armées chinoises devant le Palais du peuple. Pendant la visite, la présidente de la Commission va, avec Emmanuel Macron, participer à certaines réunions de travail où se trouve Xi Jinping. Mais elle n'est pas invitée au dîner d'État organisé en l'honneur de la relation franco-chinoise.

La Chine campe sur ses positions face à la guerre en Ukraine

Il est probable que, pendant les entretiens, les membres du cabinet de Xi Jinping ont minutieusement mesuré toute différence dans les points de vue exprimés sur la Chine par leurs deux hôtes. Globalement, la France est plus nuancée que la Commission européenne. Dès son arrivée à Pékin, en rencontrant Li Qiang, le nouveau Premier ministre chinois, Emmanuel Macron souligne «l'importance du dialogue entre la Chine et la France [...] dans ces temps troublés que nous traversons».

Tandis qu'à Bruxelles, dans une conférence donnée une semaine avant de venir à Pékin, Ursula von der Leyen était nettement plus franche et ferme en déclarant à propos de la Chine: «Il est clair que nos relations sont devenues plus distantes et plus difficiles ces dernières années. Depuis un certain temps, nous avons assisté à un durcissement très délibéré de la position stratégique globale de la Chine.»

Emmanuel Macron précise ses positions le deuxième jour de sa visite lors de son premier entretien avec Xi Jinping. Les deux dirigeants donnent ensuite une «conférence de presse» où les journalistes ne sont pas autorisés à poser de questions. Emmanuel Macron déclare au président chinois: «Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table des négociations», tandis que le président chinois se contente du strict minimum en répétant principalement l'opposition de la Chine à l'usage d'armes atomiques en Ukraine.

Puis, toujours au Palais du peuple, c'est la rencontre tripartite où se retrouvent Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Xi Jinping. Très probablement, au cours de cette réunion, le dirigeant français et la dirigeante européenne insistent pour convaincre Xi Jinping de se placer dans un rôle d'arbitre entre la Russie et l'Ukraine. Mais Xi Jinping n'est pas prêt à faire un geste dans ce sens. À tout le moins, il semble ne pas croire aux chances d'influer sur la détermination avec laquelle Vladimir Poutine mène la guerre en Ukraine. Au pire, il ne désapprouve pas l'attitude du numéro un russe. D'autant qu'une Russie durablement affaiblie par cette guerre pourrait devenir un terrain de conquête économique facile pour la Chine.

Le seul geste que Xi Jinping veut bien concéder à Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen est l'éventualité de contacter les dirigeants ukrainiens «lorsque les conditions et le moment seront propices». De cette phrase, Ursula von der Leyen dira par la suite: «Je pense que c'est un élément positif.»

Mais depuis le début des hostilités, Xi Jinping a évité de parler avec Volodymyr Zelensky, même si des rumeurs ont parfois laissé entendre qu'il allait l'appeler. Il est possible que le chef de l'État chinois hésite à faire ce pas qui, forcément, déplairait à Vladimir Poutine. Pour l'instant, Xi Jinping répète à Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen qu'il espère que la Russie et l'Ukraine pourront tenir des négociations de paix dès que possible. Mais il souligne aussi que les deux pays ont «des préoccupations raisonnables en matière de sécurité».

Emmanuel Macron, Xi Jinping et Ursula von der Leyen avant leur réunion, à Pékin, le 6 avril 2023. | Ludovic Marin / POOL / AFP

À l'issue de cette réunion tripartite, Ursula von der Leyen rappelle: «Nous comptons sur la Chine pour ne pas fournir d'équipements militaires directement ou indirectement à la Russie, car nous savons tous qu'armer l'agresseur [...] nuirait significativement à notre relation.» Quant à l'idée esquissée d'une médiation chinoise, pour Moscou, il n'en était pas question. Selon un porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, «il n'y a pas de perspective de règlement politique» en Ukraine. Et d'ajouter: «Pour le moment, nous n'avons pas d'autre solution que de continuer l'opération militaire spéciale.»

La tentative d'Emmanuel Macron de demander à la Chine de «ramener la Russie à la raison» n'a donc pas réussi. Elle n'avait en fait que peu de chances d'aboutir.

Accords commerciaux et culturels

Parallèlement, sur le plan des relations économiques et commerciales franco-chinoises, ce voyage du président français est loin d'avoir été négatif. Guillaume Faury, le PDG d'Airbus, a pu finaliser la construction d'une seconde chaîne d'assemblage dans l'usine de Tianjin à 80 kilomètres de Pékin. Six monocouloirs de la famille A 320 y seront construits chaque mois au lieu de quatre actuellement, et d'ici à 2025, ce sera huit. Tianjin va ainsi devenir le deuxième site de production d'A320 après Hambourg, juste devant Toulouse et Mobile, aux États-Unis. Pour Airbus, étant donné que le trafic aérien chinois devrait croître de 5,3% par an au cours des vingt prochaines années, il est logique de produire plus sur place. Par ailleurs, alors qu'Emmanuel Macron était à Canton, un autre accord a été conclu par Airbus. Il concerne la vente de cinquante hélicoptères H160. C'est la plus importante commande de ce modèle lancé sur le marché civil en 2015.

De son côté, la compagnie maritime d'affrètement CMA CGM, dont le PDG est l'armateur Rodolphe Saadé, a signé un accord avec son homologue chinois Cisco et avec le port de Shanghai pour la fourniture de bio-méthanol et d'e-méthanol qui seront nécessaires à partir de 2026 aux futures gammes de porte-conteneurs.

EDF a reconduit avec CGN, l'une des deux grandes entreprises chinoises de nucléaire, un accord de partenariat qui prévoit la conception, la construction et l'exploitation de centrales. EDF et CGN ont déjà installé, en 2018 et 2019, les seuls EPR en service au monde qui se trouvent en bord de mer, à Taishan, dans la province de Canton.

Autre domaine: les cosmétiques. L'Oréal a conclu un partenariat de trois ans avec Ali Baba, le géant chinois de l'e-commerce. Cette coopération s'inscrit dans une logique de promotion de la consommation durable.

Par ailleurs, en matière d'agroalimentaire, la Chine accorde à la filière porcine française quinze nouvelles autorisations, ce qui va se traduire par davantage d'exportations de porcs et de viande de porc dans ce pays, grand consommateur.

Il y a ensuite des accords finalisés sur le plan culturel. 150 objets appartenant au château de Versailles seront exposés à la Cité interdite. Ce sera en 2024, année du 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine. L'un des objectifs de cette exposition sera de montrer comment l'art chinois a pu inspirer les artistes français en matière d'objets d'art, de peintures ou de conceptions de jardins.

D'autre part, le festival Croisements est relancé. Chaque printemps, pendant une douzaine d'années, cette manifestation culturelle a présenté à travers plusieurs villes de Chine des expositions, des artistes ou des orchestres français. En 2020, ces programmes culturels français ont été empêchés par le strict confinement décrété en Chine. Ils ont donc été officiellement relancés au cours de la visite du président français.

D'autre part, dans son déplacement à Pékin, Emmanuel Macron a invité des personnalités du monde des arts français connus en Chine. Ainsi du réalisateur Jean-Jacques Annaud qui a réalisé en 2015, en Mongolie intérieure, Le Dernier Loup, adaptation cinématographique d'un roman contemporain chinois, Le Totem du loup. Actuellement, son dernier film, Notre-Dame brûle, est l'un des rares films étrangers à être diffusés en Chine.

Dans la délégation présidentielle française, il y avait aussi le musicien Jean-Michel Jarre, célèbre en Chine. En 1980, la radio nationale avait décidé de diffuser largement sa musique électronique –ainsi que les chansons de Michael Jackson– afin de diversifier des programmes jusque-là exclusivement chinois. Du coup, en 1981, Jean-Michel Jarre a été le premier artiste occidental à faire un grand concert à Pékin, opération renouvelée en 2004 à la Cité interdite pour les 40 ans de la relation franco-chinoise. À chaque fois, la diffusion sur plusieurs chaînes de télévisions chinoises a été regardée par environ 800 millions de téléspectateurs.

Se tenir à distance des affrontements sino-américains

Avant de repartir vers Paris, le 7 avril, Emmanuel Macron a passé une demi-journée à Canton, au sud de la Chine. À la prestigieuse Université Sun Yat-sen, il a d'abord prononcé un discours devant un millier d'étudiants qui l'ont accueilli chaleureusement et à qui il a dit: «Sans esprit critique, vous n'êtes pas libres.»

Après quoi il a retrouvé le président chinois. Ensemble, ils sont allés à la résidence du gouverneur de la province, poste que le père de Xi Jinping avait occupé de 1978 à 1981, puis ils sont allés diner. Là, Xi Jinping a enlevé sa cravate et, bien entendu, Emmanuel Macron a fait de même. Geste très rare qui marquait sinon une complicité, du moins une volonté de Xi Jinping d'afficher qu'une atmosphère détendue et amicale s'est établie avec le président français –ce qui ne peut pas nuire à la relation franco-chinoise.

Aussi, à la fin de ce voyage d'Emmanuel Macron, Xi Jinping a indiqué à l'agence officielle Xinhua que «les échanges approfondis et de haute qualité qu'il a eus avec M. Macron à Pékin et à Canton ont renforcé la compréhension et la confiance mutuelles, et posé les jalons de la coopération future entre les deux parties aux niveaux bilatéral et international».

Au moins un dialogue existe-t-il entre les deux chefs d'État. L'attitude d'Emmanuel Macron, comme celle d'autres dirigeants européens, y compris la présidente de la Commission européenne, est de maintenir les contacts avec la Chine. Une position très différente de celle des États-Unis, qui cherchent depuis quelques années à prendre leurs distances avec la croissance grandissante de la Chine et à tout faire pour la limiter. Ce qui amène d'autant plus Pékin à vouloir renforcer ses liens avec les pays d'Europe.

Pour sa part, Emmanuel Macron a expliqué à quelques journalistes, avant de reprendre l'avion pour Paris, qu'il refuse «d'entrer dans une logique de bloc à bloc», et souhaite donc que l'Europe se comporte comme une troisième voie, entre les États-Unis et la Chine. Il exprime ainsi une défiance par rapport à la politique américaine à l'égard de la Chine. Et Emmanuel Macron cite Taïwan comme exemple de «crises qui ne sont pas les nôtres». Le président demande: «Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan?» et il répond: «Non.»

Or, alors que l'avion du président français s'envolait pour Paris, l'armée chinoise a simulé un «encerclement total» de Taïwan en déployant, pendant trois jours, neuf navires de guerre et soixante-et-onze avions de chasse autour de l'île. Il s'agissait pour Pékin de marquer son mécontentement après que la présidente taïwanaise a été reçue aux États-Unis par le président républicain de la Chambre des représentants. C'est de cette logique d'affrontement entre la Chine et les États-Unis, soutien de Taïwan, qu'Emmanuel Macron préférerait que la France se tienne à distance.

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