Dans le cadre du projet Nimble Cities [Villes habiles], le site Slate.com a souhaité recevoir les idées de ses lecteurs pour améliorer l'efficacité, la sécurité et le confort des transports urbains. Sur cette page, les internautes ont soumis un certain nombre de propositions. Vous pouvez les consulter et voter pour elles. L'auteur de cet article, Tom Vanderbilt, évaluera les idées les plus intéressantes et les plus plébiscitées.
Alors que les deux dernières idées de «ville habile» que j'ai étudiées -réforme du système de stationnement et création d'«autoroutes cyclables»- étaient plutôt sobres et terre à terre, je tenais à accorder une place aux rêveurs. Parmi les propositions qui m'ont été envoyées, je n'ai pu m'empêcher de remarquer plusieurs qui évoquaient différentes formes de trottoirs urbains mécaniques.
Transport futuriste?
Un internaute préconise l'utilisation d'un «fluide "intelligent" électrorhéologique pour créer des tapis roulants flexibles». Un autre suggère de miser sur le potentiel du mouvement de rotation pour permettre aux citadins de se déplacer. Il propose de construire une série de trottoirs roulants concentriques.
«La station proprement dite consiste en une plate-forme fixe. Là où vous vous tenez, vous voyez de nombreux cercles concentriques de trottoir roulant de plus en plus éloignés. Celui qui se trouve le plus proche de vous avance à 1 km/heure. Vous posez le pied dessus, et boum: (vous atterrissez sur) le suivant, qui roule à 1,5 km/heure», et ainsi de suite...
Cela fait un peu science fiction, n'est-ce pas? En fait, cette idée a été exploitée par le genre: dans sa nouvelle futuriste Les routes doivent rouler, Robert Heinlein imagine les Etats-Unis en proie à une pénurie de pétrole aggravée par la guerre; cette situation présage «la fin de l'ère de l'automobile». Du coup, le pays s'équipe d'un immense réseau de trottoirs roulants. A propos de la première «route mécanique» qui relie Cincinnati à Cleveland, l'auteur écrit:
C'était, sans surprise, une conception relativement rudimentaire, inspirée des tapis transporteurs de minerai datant d'il y a dix ans. La bande la plus rapide avançait à 48 kilomètres par heure; elle était assez étroite, car personne n'avait songé à la possibilité d'installer des commerces sur ces bandes transporteuses.
Utilisation limitée
Bien sûr, le tapis roulant est un système de transport bien établi et familier, qui repose sur une technologie relativement simple. Mais il est largement circonscrit à des environnements contrôlés (généralement liés aux transports), du type aéroports, gares, parcs d'attraction. Vous serez étonné de l'apprendre: son histoire est assez ancienne. Paul Collins, journaliste spécialisé dans l'histoire de la science, nous explique que les premiers tapis roulants firent leur apparition en 1893, à l'Exposition colombienne de Chicago (où ils ont permis le déplacement de 31.680 personnes par heure). Ils sont ensuite réapparus à l'Exposition universelle de 1900, organisée à Paris. Les tapis roulant semblaient bien partis pour conquérir des villes comme New York. Paul Collins écrit que Max Schmidt, l'inventeur du tapis roulant de Chicago,
a proposé une kyrielle de projets de ce type dans les environs de Manhattan, s'étendant de Broadway, le long de Wall Street, puis sur le pont Williamsburg et jusqu'à la 23ème et la 34ème rue. Pour Schmidt, les avantages du tapis roulant étaient si grandioses qu'il était convaincu que [ce mode de transport] supplanterait certaines lignes de métro au lieu d'être un simple complément. En 1909, il mettait en œuvre un énorme projet de 70 millions de dollars [55 millions d'euros] visant à doter Manhattan d'un réseau de trottoirs roulants souterrains.
Pour diverses raisons -problèmes de maintenance (combien d'escalators sont hors service?), conditions météo et peut-être même cette question de concurrence directe avec le métro-, les trottoirs roulants ne se sont pas imposés dans les villes. Après une absence d'un demi-siècle, ils ont refait leur apparition dans différents lieux, de Disneyland aux villes asiatiques comme Tokyo (qui abrite le Skywalk d'Ebisu) et Hong Kong, où on trouve non seulement le plus grand escalator en extérieur du monde, mais aussi trois tapis roulants d'extérieur (en pente).
Inutile et presque contreproductif
Mais ces exemples ne correspondent pas tout à fait au futur imaginé par Max Schmidt ou Robert Heinlein. D'une part, les distances sont courtes. D'autre part, les vitesses sont relativement faibles. La limite autorisée par la Société américaine des ingénieurs en mécanique est de 4,57 mètres par seconde. En réalité, diverses raisons, y compris d'ordre juridique (responsabilité), font qu'on approche rarement de ce plafond. Autre obstacle: l'ergonomie. Les tapis roulants, s'ils se déplacent à une vitesse accrue, doivent en même temps occasionner des inconvénients minimes. Or, une étude publiée dans la revue consacrée à la recherche sur le transport Transportation Research explique:
Les tapis roulants conventionnels enregistrent une vitesse de transport constante équivalente à environ la moitié de la vitesse de marche maximale d'un piéton. Leur vitesse, comprise entre 0,5 et 0,83 [mètres par seconde], est considérée comme peu élevée, ce qui résulte parfois en une faible qualité de service et provoque l'impatience des usagers.
On peut augmenter cette vitesse si le public utilise les tapis roulants, mais beaucoup de gens semblent préférer marcher à côté. L'humoriste Jerry Seinfeld s'en est pris aux amateurs de tapis roulants:
Les gens montent sur les tapis roulants et ils ne bougent pas. Comme s'ils étaient venus faire un tour dans une attraction. Désolé, y a pas de pirates ou de clowns là-dessus.
Par ailleurs, au moins une étude («Vitesses optimales de marche et de course, et de marche sur un tapis roulant», signée Manoj Srinivasan et publiée dans Chaos: An Interdisciplinary Journal for Nonlinear Science montre que les tapis roulants peuvent diminuer la vitesse de transport des piétons par rapport à celle de la marche classique! A cause des embouteillages provoqués par une foule de gens qui reste immobile. (Pour résoudre ce problème, on a augmenté la largeur des tapis, ce qui permet à un piéton de dépasser - il a même de la place pour tirer sa valise.)
Mais même quand vous êtes seul sur le tapis et que vous marchez d'un trait sans être interrompu, vous gagnez à peine 11 secondes sur une distance légèrement plus grande que la longueur d'un terrain de football (100 m). Et puis se pose une grande question d'hygiène de vie: est-il souhaitable de mettre au point un système qui supprimera encore une activité physique (la marche) de notre vie?
Prouvé inefficace et supprimé
Des expériences ont été menées sur des «tapis roulants à grande vitesse» (vitesse jusqu'à trois fois supérieure à celle des tapis conventionnels) sur les longues distances. La vitesse, conjuguée à la disponibilité permanente des tapis roulants (qui éliminent les temps d'attente inhérents aux navettes ou aux trains, par exemple), devait présenter de grands avantages par rapport aux autres modes de transport. Mais comme l'a montré la piteuse histoire du trottoir roulant rapide de la gare de Montparnasse, le monde n'est pas prêt à utiliser un tapis roulant à vitesse augmentée (11 km/h). Comme le souligne le journaliste Paul Collins, il y avait des problèmes de conception et de maintenance, d'où sa mise hors service l'an dernier; il a été reconverti en tapis roulant classique.
Le trottoir roulant est largement considéré comme un gâchis. Pourtant, il devait répondre à un besoin réel. Un besoin qui continuera d'exister dans les villes, de plus en plus peuplées. Un besoin que le chef de projet de la RATP, Anselme Cote, avait décrit ainsi à la BBC:
Le vrai problème, aujourd'hui, c'est de déplacer les foules. On peut voyager très vite sur des longues distances en TGV ou en avion, mais pas sur des courtes distances (moins d'un kilomètre).
Autrement dit, à l'heure des mégaprojets et des déplacements de masse, le périple dans un aéroport peut prendre aussi longtemps que de s'y rendre depuis chez soi.
Tom Vanderbilt
Traduit par Micha Cziffra
Photo: deux trottoirs roulants de Tokyo, entre la station d'Ebisu et les jardins de Yebisu / Eliazar Parra Cardenas via Flickr/ Licence CC