Même si le thermomètre a été cassé, les indicateurs sanitaires dont nous disposons sont clairs sur un point: la 10e vague de la pandémie de Covid est bien là. Pour le reste, nous sommes dans un épais brouillard. Certes, nous ne redoutons plus la saturation des lits de réanimation, ce qu'on doit à l'immunité hybride acquise aujourd'hui, notamment grâce à la vaccination, qui protège efficacement la plupart d'entre nous des formes graves et de toute saturation du système de santé. Mais un peu partout en Europe, il est désormais impossible de préciser où en est le niveau de circulation virale ni quelles sont ses conséquences en matière d'hospitalisations, tout comme celui, redoutable à long terme, des syndromes post-infectieux de Covid long.
Quant à la mortalité, des statistiques de décès sont bien sûr disponibles, mais il faudra attendre encore quelques mois avant qu'elles nous indiquent si on déplore, comme après chaque vague, un excès et de quel ordre. Face au désengagement quasi total en matière de prévention, ce que nous pouvons espérer c'est que les vacances scolaires de Pâques jouent leur rôle de frein et limitent un peu la casse.
Dire –enfin redire– cela, c'est aussi prédire que les enfants contracteront bel et bien l'infection et qu'ils transmettront le virus à leur entourage. Or, cette réalité est souvent passée sous silence. On peut éventuellement comprendre le souhait de certains de mettre délibérément la poussière sous le tapis, d'ignorer le rôle des plus jeunes dans la transmission, lorsque la question se posait de fermer ou non les écoles, avant que la disponibilité des vaccins n'ait rendu le Covid-19 moins redoutable que lors des premiers mois de la pandémie.
Mais maintenant que la fermeture des écoles n'est plus à l'ordre du jour, il faudrait prendre la réalité du Covid pédiatrique à bras-le-corps et mettre en œuvre les moyens nécessaires pour mieux protéger les enfants et leurs familles, leurs camarades de classe ainsi que le personnel éducatif et enseignant.
Les tout-petits, sur-représentés dans les hospitalisations
Si les taux d'incidence rapportés actuellement dans les statistiques officielles en France chez les enfants sont généralement plus faibles que ceux chez les adultes –29 pour la petite enfance, 9 en maternelle et 19 en primaire la semaine du 27 mars 2023, contre 84 pour la population tous âges confondus–, nous savons que ces chiffres sont très largement sous-évalués.
Non seulement la pratique des tests diagnostiques s'est effondrée, tant en population générale qu'à l'hôpital, atteignant un niveau jamais égalé depuis le début de la pandémie (moins de 50.000 tests quotidiens au 31 mars dernier en France). Mais de plus, les symptômes initiaux chez les enfants sont souvent peu spécifiques –léger syndrome grippal, troubles gastro-intestinaux, etc.–, et n'invitent pas, ou plus, à consulter. Et encore moins à systématiquement proposer un test.
Même si les enfants en âge d'être scolarisés ne sont pas, nous le verrons, la classe d'âge pédiatrique la plus susceptible d'être hospitalisée pour Covid, il n'en demeure pas moins que ceux ayant entre 3 et 11 ans peuvent développer des formes graves, notamment avec le fameux syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique (PIMS), mais aussi des Covid longs, comme l'a rappelé une note de la Haute Autorité de santé (HAS) publiée en février dernier. Des cas évitables de décès d'enfants par Covid ont également été rapportés.
Lorsqu'on regarde un peu en détails les chiffres d'hospitalisations pédiatriques pour Covid, on constate par ailleurs qu'il existe en France une sur-représentation des moins de 1 an, que ce soit en hospitalisation «classique», en soins critiques ou en réanimation. À elle seule, cette classe d'âge représente toujours plus de la moitié des enfants hospitalisés.
Nous postulons que les plus touchés sont les tout-petits entre 6 mois et 1 an: avant, les nourrissons sont en effet généralement bien protégés par les anticorps de leur mère, acquis conjointement à la suite d'infections par le SARS-CoV-2 et par la vaccination avant ou pendant la grossesse. Mais six mois après la naissance, cette immunité d'origine maternelle s'amenuise et les tout-petits, qui ne sont pas vaccinés et sont souvent trop jeunes pour avoir seulement été exposés au virus du Covid, deviennent alors particulièrement vulnérables.
Une frilosité vaccinale incompréhensible
Le constat est là: le Covid n'est décidément pas seulement une maladie grave chez les plus de 80 ans. Et même lorsque le virus n'affecte que modestement et sous une forme bénigne un enfant, les conséquences médicales et non-médicales sont parfois importantes pour l'entourage: risque de contaminer des personnes fragiles –les parents et grands-parents, éducateurs, puériculteurs et enseignants, ainsi que les autres enfants; absentéisme scolaire; nécessité pour les parents de prendre des congés pour garder l'enfant malade, etc.
Pourtant, la vaccination des enfants de moins de 11 ans demeure un sujet problématique en France. Ouverte aux 5-11 ans, elle n'est pas ou peu promue par les pouvoirs publics ou les pédiatres, et demeure suspendue à une autorisation signée par les deux parents –sauf impossibilité pour l'un d'entre eux de recueillir l'accord de l'autre.
Cette vaccination n'est par ailleurs possible pour les moins de 5 ans que sous certaines conditions, à savoir être porteur d'au moins une comorbidité identifiée par la HAS et/ou vivre dans l'entourage d'une personne immunodéprimée. Pourtant, les analyses des agences internationales de sécurité sanitaire et des sociétés savantes nord-américaines, qui ont l'une des plus importantes expériences sur la vaccination contre le Covid des jeunes enfants, confirment le rapport bénéfice-risque favorable du vaccin. On a donc du mal à comprendre la frilosité des institutions sanitaires et des sociétés pédiatriques françaises sur ce sujet.
À nos yeux et dès lors que l'Agence européenne des médicaments (EMA) a recommandé l'ouverture de la vaccination à tous les enfants à partir de 6 mois, celle-ci devrait être beaucoup plus généralisée pour les moins de 5 ans et pour toutes les classes d'âge supérieures. Les petits enfants sont d'autant plus exposés que l'on ne prend désormais plus aucune précaution contre la circulation du virus, parce que nous, adultes, sommes largement immunisés, alors qu'eux ne le sont pas, ou presque pas.
Il faut en faire davantage pour protéger les enfants
Les essais cliniques des vaccins pédiatriques contre le Covid de Pfizer et de Moderna ont montré une bonne efficacité contre les formes sévères de la maladie et une très bonne tolérance, mis à part des signes sans gravité d'hyper-réactogénicité, c'est-à-dire un syndrome grippal dans les jours qui suivent l'injection. Notons qu'aucun cas de myocardite n'a été rapporté dans le monde chez les moins de 5 ans.
Dans un communiqué du 28 mars dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se déclarait en outre favorable à la vaccination des enfants contre le Covid, en précisant qu'elle ne saurait se faire au détriment d'autres vaccins systématiques. Or, en France et dans le reste de l'Europe de l'Ouest, le risque d'un accès limité aux autres vaccins n'est pas un problème. Afin d'améliorer l'adhésion des parents, on aurait pu imaginer que soit menées des campagnes de vaccination dans les écoles et les collèges –mais nous sommes sans doute de doux rêveurs.
Faute de vaccination chez les 0-5 ans, faute d'une large couverture vaccinale chez les 5-11 ans, ces jeunes enfants se retrouvent particulièrement à risque. Au Royaume-Uni, en 2022, les moins de 5 ans ont notamment eu un risque d'hospitalisation en réanimation équivalent à celui des 45-54 ans. Et depuis le début de l'année 2023, l'excès de mortalité observable en Europe pour les 0-14 ans est très supérieur à celui observé en 2022 et 2021, sans doute en raison de la triple épidémie de Covid, de virus respiratoire syncytial (VRS) et de grippe qui a balayé le Vieux Continent. Il faudrait donc en faire davantage pour mieux protéger les enfants et réduire le risque de contamination.
Cela passe d'abord par une promotion plus active de la vaccination contre le Covid chez les femmes enceintes, afin de réduire les risques de l'infection durant la grossesse et d'offrir une protection aux nourrissons –trop de fausses informations circulent encore concernant de prétendus risques à vacciner pendant la grossesse.
Cela passe aussi par des investissements plus ambitieux pour améliorer la qualité de l'air dans les lieux accueillant les enfants: crèches, écoles, collèges, centres aérés, etc. Ces lieux devraient désormais faire l'objet d'un monitorage systématique et continu de la concentration de CO2 et devraient pouvoir bénéficier de systèmes de ventilation-aération-purification de l'air et être l'objet de consignes strictes en matière d'ouverture des fenêtres, avec pour objectif de maintenir en permanence la concentration de CO2 inférieure à 600 parties par million (ppm).
Et puis, nous devons aussi continuer à promouvoir l'information et les mesures de prévention, notamment pour ce qui concerne les tout-petits. Par exemple, nous avions pris l'habitude de nous faire tester ou à tout le moins de porter un masque lorsque nous rendions visite à nos seniors. Ne devrions-nous pas continuer à maintenir ce type de précautions lorsque nous visitons des familles avec un enfant de moins de 5 ans?
Le Covid fauche encore, y compris de tous petits enfants
Nous vous entendons presque nous lire et dire que nous sommes déconnectés de la réalité, que tout le monde a tourné la page. Nous le savons bien. Mais nous alertons –en pleine vague pandémique totalement passée sous le radar d'une veille sanitaire sinistrée– quant au fait que le virus n'a pas été éliminé de la planète, qu'il reste dangereux chez ceux qui sont peu immunisés, qu'il fauche encore, y compris de petits enfants qui n'ont pas d'immunité ni de défenses très robustes contre ce type d'infection. Protégeons-les mieux que nous le faisons, car cette protection est à portée de main!
Nous déplorons par ailleurs la fin, depuis l'été 2022, du dispositif d'activité partielle pour les salariés devant garder leur enfant et ne pouvant pas télétravailler. Le congé «enfant malade» n'est pas rémunéré sauf, sous certaines conditions, en Moselle, dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Cela crée un contexte dans lequel les parents sont incités à ne plus tester leurs enfants, voire à les envoyer à l'école même s'ils sont positifs et un peu symptomatiques. Compte tenu de l'absence de masque et de ventilation-aération suffisante, l'enfant contagieux aura toutes les chances de provoquer malgré lui un cluster auprès de ses petits camarades, ainsi que des professionnels de l'éducation.