Monde

Une dernière mission

Temps de lecture : 4 min

Le Général McChrystal devrait superviser le retrait américain d'Irak.

Parmi les nombreuses mauvaises impressions qui se dégagent aux Etats-Unis en ce moment se trouve celle que nous ne disposons que de deux bons généraux. Il semble d'ailleurs qu'il nous ait fallu un certain temps pour réaliser que ce chiffre vient même d'être divisé par deux. Jusqu'au mois dernier, seuls deux de nos généraux pouvaient se targuer d'avoir affronté Al-Qaïda et de l'avoir vaincu tant politiquement que militairement. C'était à l'époque où les généraux David Petraeus et Stanley McChrystal travaillaient ensemble en Irak. L'Afghanistan a quant à lui mis leur talent à rude épreuve, qu'il soit exercé séparément ou de concert; et en se lançant dans une série de commentaires désobligeants à l'encontre de la politique «trop brouillonne» du président Obama, le général Stanley McChrystal s'est privé de lui-même de toute participation à ce conflit.

Mais avons-nous vraiment réalisé, lorsqu'il s'est vu relevé de son commandement à Kaboul, qu'il venait également d'être écarté de toute participation à ce conflit? Les querelles de second rang -combien d'étoiles pourra-t-il garder lorsqu'il fera valoir ses droits à la retraite- tendent à nous faire oublier que nous venons de perdre un soldat de premier ordre.

Non au retrait

Finir comme un trophée de chasse suspendu dans le salon de Jann Wenner de Rolling Stone a quelque chose d'irritant et d'alarmant. Je constate que lorsque l'on demande ce que McChrystal a accompli à Bagdad, la majorité des personnes interrogées répondent vaguement qu'il a joué un rôle dans l'augmentation des effectifs en Irak, décidée en 2007 par le président Bush. Ceci démontre une ignorance de l'histoire récente, qui masque encore l'étendue de la perte que nous venons de subir.

Il est presque impossible de décrire dans toute son horreur la situation à laquelle la coalition a dû faire face en Irak au milieu de la décennie précédente. Al-Qaïda pouvait alors y opérer en quasi-impunité -et en s'appuyant sur le matériel militaire nombreux des Baasistes- dans de nombreuses provinces mais également dans de nombreux quartiers de Bagdad. Al-Qaïda a ainsi pu faire sauter les bureaux des Nations Unies avec une bombe de très forte puissance et même détruire le lieu saint du chiisme en Irak, le dôme de la Mosquée d'Or. Ses coupeurs de tête et ses tortionnaires sur vidéo pouvaient aller et venir à leur guise. Dans certaines villes de la province d'Anbar, un «Etat islamique provisoire d'Irak» a même vu le jour et des défilés de la victoire se déroulaient, célébrant la défaite des Américains et de leurs alliés.

Aux Etats-Unis, la demande du retrait des troupes d'Irak enfla au point d'atteindre la masse critique. Comme je tentais de le faire comprendre à l'époque, un tel mouvement revenait à permettre à Abou Moussab al-Zarquaoui, ce tueur psychopathe qui disposait alors de la franchise de Ben Laden pour l'Irak, de se proclamer vainqueur des Etats-Unis en bataille rangée. Les conséquences d'un tel retrait -un terrible bain de sang en Irak, l'effondrement d'une des puissances centrales dans l'économie mondiale, la déstabilisation chronique de la région et le renforcement des ultra-fondamentalistes partout ailleurs- eut été infiniment pire que tout échec en Afghanistan.

Un leader de contre-guérilla

J'avais alors accès à l'occasionnel petit briefing «off» à Washington et il était facile de constater des signes de fatigue et de confusion. Mais à cette époque comme aujourd'hui, tout espoir ne semblait pas perdu. Son nom ne devait pas être cité, mais un certain général Stanley McChrystal était en train de monter sur pied un réseau de combattants de contre-guérilla, composé d'Américains et de locaux, et qui sortaient toutes les nuits dans les quartiers de Bagdad et ne laissaient aucun répit à l'ennemi. Non content d'avoir écrasé les «cellules» d'Al-Qaïda les unes après les autres, ils se montraient également très doués pour «retourner» les agents ennemis. C'est ainsi qu'al-Zarkaoui a pu être localisé et s'il n'a pas été pris vivant, il respirait encore lorsque les soldats sont entrés dans sa planque. Il est parti en se sachant trahi.


On aura par contre compris que McChrystal est assez dépourvu de talent dans le domaine politique. Son rôle lamentable dans la tentative d'étouffer les circonstances de la mort de Pat Tillman en Afghanistan le démontre amplement. Mais il a constamment éliminé des membres d'Al-Qaïda. Il a passé haut la main le fameux test officieux de Churchill en temps de guerre «est-ce qu'il est doué pour tuer des Allemands?». Il ne s'est pas contenté d'infliger des pertes et des dégâts importants à l'ennemi, il l'a également démasqué -le dépouillant de ses oripeaux sunnites- en le montrant pour ce qu'il est: un ramassis de vandales et de fanfarons. Cet exploit a permis l'augmentation substantielle des effectifs en Irak. Un jour, les historiens militaires loueront McChrystal pour ce haut fait d'armes.

Bagdad comme fin de carrière

Aujourd'hui, le général est bon pour la casse ou pire, pour servir de consultant au sein du complexe militaro-industriel. Mais des rapports indiquent que la politique américaine à Bagdad commence de plus en plus à battre de l'aile, au fur et à mesure que la date du retrait approche. Le voyage de 10 minutes effectué par le vice-président Joe Biden dans la zone verte, le 4 juillet, semble confirmer la mauvaise opinion que McChrystal avait de lui.

Tirant avantage des nombreuses incertitudes, notamment politiques, les forces d'Al-Qaïda, aujourd'hui réduites, se préparent à infliger autant de misère qu'elles le pourront aux Irakiens, afin de faire barrage à toute solution fédérale ou démocratique. (Ce faisant, ils démontrent que leurs basses tactiques, aujourd'hui dirigées contre une armée se désengageant, ne sont pas une réponse à une «occupation»).

Peut-être serait-il salutaire de demander au général McChrystal d'effectuer une dernière mission? Renvoyez-le à Bagdad pour qu'il supervise le retrait des troupes tout en continuant d'infliger des pertes sévères à ceux qui tentent d'empêcher une bonne transition. Il convient de faire en sorte que l'armée irakienne soit pourvue d'un cadre de soldats rompus au combat, arabes et kurdes, des hommes ayant pris la pleine mesure de l'ennemi. Il faut que chacun sache que l'aide extérieure est toujours disponible pour peu qu'on la demande. Ce serait une fin de carrière bien plus légitime que celle qui se profile actuellement, qui porte en elle quelque chose de mesquin et de déshonorant.

Christopher Hutchins
Traduit par Antoine Bourguillau

Photo: Le général McChrystal et le président afghan Karzai arrivent à l'ISAF à Kaboul

Omar Sobhani / Reuters

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