Les slogans, les chants, les pétards, les mouvements de foule parfois… À hauteur de jambes, des enfants ou bébés en poussette font souvent partie des cortèges. Mais dans un contexte de tensions politiques et de durcissement des interventions des forces de l'ordre, comment s'organiser pour faire de ces moments de futurs souvenirs de militantisme joyeux?
Zoom sur les précautions à prendre et sur les façons d'inclure les plus jeunes aux luttes des parents.
Emmener son enfant au cœur de la démocratie
Avant l'adolescence et les manifestations où l'on se rend par militantisme, par solidarité ou pour sécher les cours, le choix d'aller ou non défiler est surtout celui des parents. La finesse et la complexité des enjeux sociaux et politiques restent évidemment incompréhensibles pour les enfants, mais leur participation à ces moments de vie peut néanmoins être pertinente.
«Les manifestations ont toujours existé et elles participent à la vie démocratique d'un pays. Le plus important, c'est que les enfants comprennent le sens de ce qui va se passer, c'est-à-dire que la manifestation est une manière de vivre la politique au sens noble du terme: la vie de la cité, détaille Vincent Joly, psychologue et psychothérapeute. Ce sont des moments de débat collectif et en avoir conscience permet déjà de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un simple agglomérat de personnes.»
Avant d'aller dans les rues, un brief peut ainsi avoir son utilité pour expliquer aux petits en âge de le comprendre quelle forme prend une manifestation, et pourquoi ils vont défiler dans l'espace public.
Ces moments de vie collective peuvent d'ailleurs avoir un certain sens, dans un monde post-pandémie qui n'a pas manqué d'affecter la santé mentale des plus jeunes, chez qui a été constatée une hausse des taux de dépression et des troubles anxieux ces dernières années. «Il me paraît très important pour les enfants qui ont vécu une coupure avec le collectif, avec les confinements et les périodes de couvre-feu, de se relier au groupe et à la vie collective», souligne Vincent Joly.
«Les manifestations et les regroupements à grande échelle permettent de vivre ensemble et d'appartenir à quelque chose de plus vaste et ce sentiment de reconnexion est important, que ce soit pour les adultes, les adolescents ou les enfants», poursuit le psychologue. Dans ces moments émotionnellement chargés, ces derniers font aussi l'expérience de la foule, portée par des revendications communes.
«Je l'ai emmené parce que je n'avais pas de moyen de garde»
Dans les grandes villes où les débordements en manifestation ne sont pas rares et où l'on ressent davantage le durcissement du maintien de l'ordre, ces événements peuvent aussi être source de dangers et se transformer en source de stress pour les petits.
Julie, maman d'un bébé de 5 mois, est récemment allée manifester contre la réforme des retraites poussette au bras. La perspective de défiler avec un nourrisson ne l'emballait pas vraiment, mais la Grenobloise n'avait que peu d'options: «Je l'ai emmené parce que je n'avais pas de moyen de garde et que mon mari et moi avions très envie d'aller manifester. À la base, pour moi, un enfant n'a rien à faire en manif', mais en devenant maman j'ai été forcée de changer d'avis: si tu veux manifester, tu n'as pas forcément le choix.»
Le jeune couple, peu rassuré à cause de la foule et des pétards, a misé sur la fin de cortège, où l'ambiance est censée être plus calme qu'en tête. «Finalement, il y avait plus de bruit, plus de musique et plus de pétards que la semaine précédente. On est à peine arrivés pour rejoindre le cortège qu'un pétard a explosé à dix mètres de nous. Là, je me suis dit que c'était une grosse connerie.»
Si Julie était bien plus stressée qu'à son habitude, le bébé a quant à lui très bien vécu le moment. La maman a seulement regretté de ne pas avoir investi dans un casque antibruit: pour protéger les nourrissons et enfants en bas âge du bruit, un casque ou des bouchons d'oreille peuvent effectivement constituer un rempart efficace.
Dans les grandes villes particulièrement, privilégier les endroits calmes de la manifestation est une bonne stratégie, puisque c'est généralement en tête de cortège que le ton monte et que les débordements ont lieu. Enfin, l'instinct reste un signal précieux: «Si on ne le sent pas, si on sent l'enfant inquiet ou que la situation se complique, il faut s'écouter et s'autoriser à faire machine arrière», insiste Vincent Joly.
Des garderies autogérées pour manifester l'esprit tranquille
Par ailleurs, pour les parents manifestants n'ayant pas de moyen de garde, d'autres solutions existent, à l'instar de La Bulle, un accueil d'enfants autogéré par des militants visant à leur permettre de descendre dans les rues l'esprit tranquille, et qui s'est décliné dans plusieurs villes de France. «Le but est de lever tous les freins au militantisme et de permettre aux parents, surtout aux mères, de pouvoir prendre part à toutes les luttes», résume Elsa, l'une des trois créatrices du projet en Île-de-France.
Ici, les bénévoles ne se contentent pas de faire uniquement de la garde d'enfants. L'idée est aussi de les éduquer aux luttes liées aux marches de protestation: féminisme, environnement, réforme des retraites... «On leur parle de la manifestation du jour, on amène des coloriages en lien avec la mobilisation, on fait des pancartes et on dispose d'une bibliothèque axée sur le féminisme, l'homoparentalité… C'est une manière d'inclure les enfants au militantisme de leurs parents», détaille Elsa.
Les échanges qui s'y déroulent, ainsi que les moyens mis à disposition, permettent d'offrir de nouvelles perspectives aux plus jeunes: «Lors d'une des premières “bulles” qu'on a organisées, un enfant qui avait deux mamans s'inventait un papa. Quand il a vu qu'un camarade n'avait aucun problème à dire qu'il avait deux mamans, il a changé d'avis et a arrêté de parler de son papa imaginaire», raconte la bénévole.
Si aller manifester avec ses parents devient trop compliqué ou est une source de stress pour les plus petits, rester à la maison n'est donc pas nécessairement la seule option. Il existe des moyens de transmettre ses valeurs militantes et politiques à ses enfants, notamment du côté des associations et collectifs.