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La guerre en Ukraine bouscule la technologie des armées européennes

Temps de lecture : 4 min

Notamment en matière d'opérations spéciales, comme nous avons pu le constater au salon Sofins.

Une exposition au salon Sofins, à Martignas-sur-Jalle, dans le sud-ouest de la France, le 30 mars 2023. | Benjamin Guillot-Moueix / Hans Lucas / AFP
Une exposition au salon Sofins, à Martignas-sur-Jalle, dans le sud-ouest de la France, le 30 mars 2023. | Benjamin Guillot-Moueix / Hans Lucas / AFP

Au camp de Souge, Martignas-sur-Jalle et Saint-Médard-en-Jalles (Gironde).

Le soleil brille sur le camp militaire de Souge, fief du 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP) en ce mardi 28 mars. Difficile d'imaginer que deux jours plus tôt, un épisode orageux a manqué d'endommager gravement les tentes du Sofins (Special Operations Forces Innovation Network Seminar), au milieu des pinèdes.

Tout semble à présent rentré dans l'ordre dans ce salon professionnel organisé par le Cercle de l'arbalète –une association qui fait l'interface entre le Commandement des opérations spéciales (COS) et les entreprises susceptibles d'équiper les forces spéciales et forces d'intervention spécialisées, françaises et étrangères– avec le soutien du COS.

Futurisme

Un court-métrage de fiction, Preuves à hauts risques, diffusé en boucle durant le salon, met en scène un commando des forces spéciales françaises chargé d'aller inspecter discrètement une usine soupçonnée de produire clandestinement des armes de destruction massive, dans un pays situé à l'est de l'Europe. Pour ce faire, il embarque une liste à la Prévert d'équipements technologiques, dont certains sont actuellement en développement: bandeaux de «suivi cognitif» de Semaxone, drone hexapode («araignée») ArIA de Pilgrim Technology, drone à hydrogène Rapace du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du Centre de recherche de l'École de l'air, multiples systèmes de transmissions par laser...

Selon les échanges que nous avons pu avoir sur place avec des officiers des forces spéciales, l'ensemble de ces technologies n'a pas vocation à être utilisé réellement par le COS. Il s'agit davantage d'un exercice de prospective qui tente d'imaginer le futur des opérations spéciales, tout en mettant en lumière des entreprises et des équipements proposant une forme de rupture technologique.

Les officiers rappellent par ailleurs que l'innovation est intrinsèque aux forces spéciales, qui se doivent de surprendre l'ennemi, donc de réinventer régulièrement leurs modes d'action. Des innovations développées par les commandos du COS eux-mêmes sont d'ailleurs présentées sur le Sofins.

De fait, un certain nombre d'entreprises présentes au Sofins, au sein du Softech Lab dédié aux start-ups, développent de telles ruptures technologiques. Il s'agit notamment de Fly-R (1er prix Softech Lab) avec ses drones et munitions rôdeuses à ailes rhomboïdes, de Cailabs (2e prix) avec sa capacité à «sculpter» les lasers, ou encore de Semaxone et Conscious Labs sur le suivi cognitif ainsi que les interfaces cerveau-machine.

Cet exercice de prospective se nourrit aussi de l'imagination de la Red Team, équipe d'auteurs et autrices de science-fiction mobilisés par l'Agence d'innovation de défense (AID) pour imaginer l'avenir de la guerre à très long terme. L'un de ces scénarios, «Chronique d'une mort culturelle annoncée», qui décrit une société française fragmentée entre des communautés enfermées dans leurs «safe sphères» respectives, a inspiré un appel à projets de l'AID baptisé «Myriade» et axé sur la «guerre cognitive», sorte de vision élargie du combat informationnel.

«La guerre en Ukraine modifie certaines priorités»

Les orientations des grands projets des armées françaises en matière d'innovation ne sont pas nécessairement modifiées par la guerre en Ukraine. Sous la houlette de la Direction générale de l'armement (DGA), ceux-ci sont matérialisés par le Document de référence de l'orientation de l'innovation de défense (DrOID) publié en juillet 2022, lequel sera partiellement transposé dans la prochaine loi de programmation militaire (LPM) pour 2024-2030.

Néanmoins, «la guerre en Ukraine modifie certaines priorités, notamment en matière de lutte informationnelle, drones et lutte anti-drones, guerre cognitive, analyse l'AID. Elle alerte aussi sur l'importance de pouvoir innover rapidement et d'éviter toute dépendance excessive en matière d'approvisionnement. Enfin, elle rappelle l'importance de l'innovation d'usage [qui consiste à détourner l'usage initial d'un matériel, ndlr].»

Le conflit en Ukraine a redonné des couleurs à des programmes qui intéressaient moins les armées française et européennes avant l'invasion russe.

Les solutions présentées par l'AID sur son stand reflètent ces enjeux multiples. Le projet Nanovizir doit permettre à la France de produire ses propres micro-caméras thermiques haute résolution et réduire ainsi sa dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers. Même chose pour le projet Nanotrack, solution souveraine d'internet des objets (IoT) par satellite. Le «grappin dronisé» Skeyehook –lui aussi récompensé par un prix– développé par un opérateur (soldat) des commandos marine, répond à une problématique beaucoup plus opérationnelle: simplifier l'abordage des navires lors d'opérations spéciales en mer. Le projet Helma-P de la Cilas utilise quant à lui le laser pour faire face à la menace grandissante des drones.

Sur le volet transition énergétique, en plus de développer le drone à hydrogène Rapace, «la direction de la recherche technologique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA Tech) est pilote technique sur le projet INDY [Camps militaires déployables indépendants et efficaces énergétiquement, ndlr] du Fonds européen de défense (FED)», explique Jean-Xavier Chabane, responsable programme transverse défense CEA Tech. Ce dernier «participe aussi au projet FaRADAI [IA frugale et robuste pour le renseignement militaire avancé, ndlr] du FED, qui vise à développer des capteurs et des IA permettant aux militaires de se repérer dans un environnement brouillé ou dégradé, où ils ne peuvent utiliser de GPS».

Le conflit en Ukraine a aussi redonné des couleurs à des programmes de l'Institut Saint-Louis (ISL) franco-allemand, qui intéressaient moins les armées française et européennes avant l'invasion russe. Outre les projets Suricate et Pacopac sur la détection acoustique et la localisation des tirs adverses, ou l'emblématique canon électromagnétique (railgun), l'ISL planchait de longue date sur des projets dont la guerre russo-ukrainienne a démontré l'utilité.

Drones capables d'emporter des bombes, missiles portables antichars tirés horizontalement mais terminant leur course verticalement pour viser la tourelle (talon d'Achille du blindé), obus intelligents à la portée accrue… Autant de technologies ayant suscité un regain d'intérêt en Europe depuis un an.

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