Médias / Société

Quatre Français sur dix admettent ne pas avoir d'esprit critique

Temps de lecture : 5 min

Une nouvelle étude à ce sujet vient de sortir. Selon les répondants, ils n'en ont pas tant que ça. Qui l'eût cru?

Cette étude vise à analyser comment les Français exercent leur esprit critique sur les informations qu'ils collectent. | Kenny Eliason via Unsplash
Cette étude vise à analyser comment les Français exercent leur esprit critique sur les informations qu'ils collectent. | Kenny Eliason via Unsplash

Comment définir l'esprit critique?

«Capacité à trier l'information disponible, à élaborer [son] propre jugement, à mettre en question [ses] convictions et au bout du compte, à penser librement», selon le Baromètre de l'esprit critique, étude réalisée par Universcience en collaboration avec l'institut de sondage OpinionWay.

Cette étude (réalisée sur la base d'un sondage conduit auprès de 2.048 personnes) vise à analyser la manière dont les Français s'informent, et comment ils exercent leur esprit critique sur les informations qu'ils collectent. Elle a été présentée le 22 mars à la Cité des sciences, il y avait du café et des madeleines, et moi et mon esprit critique, on y était. Elle est consultable dans son intégralité ici.

L'étude, qui se base entièrement sur le rapport des Français à la science, révèle que 55% d'entre eux «s'informent sur des sujets scientifiques au moins une fois par mois». En regardant des documentaires (41%), en consultant des sites internet (33%), des vidéos (30%) ou en lisant des ouvrages ou des articles scientifiques (24%).

Elle découpe la population en quatre catégories, en fonction de leur rapport à la science:

  • les «passionnés», qui concernent 14% de la population (dont 52% d'hommes, la tranche d'âge la plus concernée étant celle des 25-34 ans et les CSP+);
  • les «intéressés» (35%, une population plus masculine et plus âgée que la moyenne);
  • les «irréguliers» (40%, dont 56% sont des femmes et ont tendance à être moins diplômés);
  • les «distants» (11%), euphémisme pour qualifier la tranche manifestant pour la science une indifférence à peu près parfaite. Dans ce dernier groupe, les femmes sont majoritaires (65%), ainsi que les personnes issues de catégories populaires et vivant dans de petites villes.

Comment les Français s'informent et débattent-ils?

Sans surprise, le mode d'information le plus utilisé par les Français est internet (70% des répondants), suivi de la télévision (69%). Les «passionnés» ont tendance à diversifier les sources (internet avant tout, mais aussi presse papier, et l'entourage), les «distants» privilégient à 70% la télévision. Au total, 31% des répondants utilisent les réseaux sociaux, en premier lieu Facebook.

On y apprend aussi que le média qui suscite le plus la confiance est la radio (pour 55% des sondés), et que pour 52% des Français, la science fait partie de la culture. Là où on s'accroche un peu à son siège, c'est lorsqu'il s'avère que 51% des sondés estiment que la science est la seule source fiable de savoir sur le monde (il n'est hélas pas demandé aux 49% qui estiment qu'il y en a d'autres ce qu'elles sont. Religion? Marc de café? Roger le plombier?).

Contrairement à ce que peuvent laisser entendre, pour ceux qui les fréquentent, la teneur et la virulence des échanges sur certains réseaux sociaux, 58% des sondés disent ne jamais y débattre. Les principaux échanges d'idées se font entre amis (65%) ou au cours d'un repas de famille (61%).

Qui les Français croient-ils à propos du changement climatique?

Le baromètre s'est également penché sur la vision du réchauffement climatique des Français. Il observe que si une majorité d'entre eux sont convaincus qu'il existe (ouf), lorsqu'on leur demande «s'il existe un consensus scientifique indiscutable sur le réchauffement climatique», 63% répondent que oui, 23% ne sont pas d'accord et 14% n'ont pas d'avis. Et quelque 24% estiment que les vagues de froid aux États-Unis indiquent qu'il n'y a pas de réchauffement climatique, confondant donc, comme le faisait Donald Trump, climat et météo.

Côté solutions, on découvre que 57% des personnes interrogées estiment que l'abandon des énergies fossiles va nous permettre de réduire notre impact environnemental. Pour un quart des sondés (26%), non, ce qui signifie qu'un quart des Français ne voient pas le rapport entre énergie fossile (pétrole, charbon) et impact environnemental. Comme 17% n'ont pas d'opinion, ce qu'on peut interpréter comme un aveu d'ignorance, on obtient 43% de Français qui ne font pas le rapprochement. On n'a pas la centrale à charbon sortie des ronces.

Les représentants religieux sont à 11% de confiance «à tous ou à la majorité», soit un point de pourcentage de plus que les dirigeants politiques.

À qui faire confiance pour comprendre la crise climatique et ses enjeux? Aux scientifiques spécialistes du climat? Seuls 42% des sondés leur font confiance, «à tous ou à la majorité», et 39% à «certains» seulement. Les journalistes scientifiques recueillent 30% des votes de confiance; quant aux représentants politiques, seuls 10% des sondés affirment leur faire confiance «à tous ou à la majorité», contre 38% «à certains» et «47% «à aucun».

Est-ce lié au fait que les discours «scientifiques» des représentants politiques peuvent être aux antipodes les uns des autres, dans le domaine du nucléaire par exemple, mal absolu pour certains et planche de salut pour d'autres? Ou dans le domaine de l'eau, que d'aucuns entendent laisser stocker et d'autres laisser couler?

Que les propositions politiques visant à gérer le problème climatique varient en fonction des couleurs idéologiques a de quoi abasourdir, car sûrement, le climat n'est encarté nulle part. Cerise sur le gâteau, les représentants religieux sont à 11% de confiance «à tous ou à la majorité», soit un point de pourcentage de plus que les dirigeants politiques...

À qui les jeunes font-ils confiance?

Autre aspect intéressant de ce sondage: les résultats qu'il fait apparaître chez les jeunes entre 18 et 24 ans, qui affirment que leurs principales sources d'information, par ordre d'importance est l'entourage (69%), puis internet hors réseaux sociaux (67%), les réseaux sociaux (54%), la télévision (33%), la presse papier (30%) et la radio (20%). Ils témoignent d'une bien plus grande confiance que leurs aînés dans les informations glanées sur internet (52% contre 39% pour l'ensemble des Français) et 42% sur les réseaux sociaux (29% pour l'ensemble des Français). Sachant que l'entourage des jeunes de 18-24 ans, hors famille, est souvent composé d'autres jeunes de 18-24 ans, on tourne un peu en rond.

On note également que pour 26% de cette tranche d'âge, une affirmation n'a pas plus de valeur si elle a été validée scientifiquement. Un quart des 18-24 ans qui n'accordent pas de crédit à la science, c'est beaucoup. Enfin, on constate une certaine lucidité, puisque 51% d'entre eux ne se définissent pas comme ayant l'esprit critique (contre 42% pour la population générale). Le sondage ne dit pas s'ils estiment que c'est un problème.

S'il leur arrive de débattre (70% entre amis), ils sont 57% à préférer échanger avec des personnes qui partagent leur opinion (contre 42% pour la population générale), et là le mot «débat» ne semble plus s'appliquer. Enfin, chiffre inquiétant: 37% considèrent que les vagues de froid américaines montrent qu'il n'y a pas de réchauffement climatique. Le groupe qualifié de «méfiants» est composé à 26% de jeunes de 18 à 24 ans.

De tous ces résultats, qui n'indiquent que des tendances, comme tous les sondages, retenons que la moitié des jeunes (51%) et quatre Français sur dix admettent ne pas avoir d'esprit critique. Quand on connaît la fiabilité des sondage déclaratifs (69% des personnes sondées affirment «consulter beaucoup d'opinions différentes avant de [se] faire [leur] propre idée», et on a très envie d'y croire) on peut spéculer qu'on est probablement loin du compte.

Dans les soixante-seize pages de résultats proposés, questions et réponses incluses, le mot «biais» n'apparaît pas une seule fois. Il aurait également été intéressant de demander aux sondés leur définition de la science, pour évaluer à quel point les pseudo-sciences (naturopathie, astrologie, sophrologie, homéopathie et tutti quanti), qui semblent gagner du terrain, y sont incluses.

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