De temps à autre, comme n'importe quel enfoiré d'exilé ou d'expatrié –ces traîtres à la patrie– il m'arrive de revenir dans mon pays natal, cette France quittée voila plus d'une décennie et avec qui j'entretiens depuis le jour de ma naissance des relations compliquées. Que n'ai-je déjà écrit sur ce glorieux pays, de son élan révolutionnaire jusqu'à ses engouements antisémites en passant par ses foucades footballistiques. Je n'ai cessé de l'interroger comme si au fond, malgré toutes ces années à l'étudier et à la scruter, je ne comprenais toujours rien à son fonctionnement.
J'en conviens, j'aurais pu choisir une période plus apaisée pour cette visite. D'un autre côté, la France étant perpétuellement en crise, choisir les dates d'un séjour où aucun secteur d'activité ne sera en grève ou risque de l'être, sans parler de celui toujours possible d'une explosion sociale qui aurait pris tout son monde par surprise –gilets jaunes, bonnets rouges, bassines vertes– relève de la magie noire.
Par principe, à l'heure de réserver ton billet, les chances de trouver le pays en proie à un bordel absolu vont du probable au plus que certain. C'est comme ça. Il n'y a pas matière à réfléchir. Tu cliques sur oui, «J'accepte les conditions d'achat pour ce séjour en France» et aussitôt, à la minute même où ton billet d'avion est facturé, tu sais que tu es en sursis. Qu'il peut tout arriver. Le pire comme le meilleur.
Là, de tout évidence, on serait plutôt en période cyclonique, à deux doigts de l'apocalypse ou de la guerre civile. Qui sait si d'ici mon arrivée, la Seine n'aura pas débordé. Ou si l'Assemblée nationale n'aura pas été dévalisée. Ou si les ordures seront si nombreuses que sitôt posé le pied à terre, une bande de rats sanguinaires s'attaquera à mes mollets pendant que, cherchant à les chasser, je me mangerai en pleine poire une boule de pétanque qui passait par là.
De toutes les façons, j'ai tout prévu. Je débarque avec tout mon attirail de survie: casque de chantier, protège-tibias, pince-nez, gilet pare-balles, trousse de premier secours, de quoi survivre à la traversée de Paris. Et un spray anti-ours au cas où, par inadvertance, il m'arrivait de croiser la route d'un black bloc ou de tout autre énergumène dont la passion dans la vie est de désosser des abribus favorables à la réforme des retraites. On en dénombre une dizaine selon la préfecture, plus d'un millier pour la CGT –d'abribus, hein, pas de black blocs.
Ah ce bonheur de marcher dans les rues de Paris sans savoir si, au coin d'une rue, une manifestation ne va pas vous engloutir pour vous recracher trois kilomètres plus loin, quelque part entre Nation et Bastille. Ah cette ferveur révolutionnaire, ce bordel des rues congestionnées, cette foule bon enfant qui s'en va défier le pouvoir en place, entre rêve d'un nouveau grand soir et crainte de finir sa vie rétamée par trop d'années de dur labeur. Ah la France pays des droits de l'homme et des LBD, ses cocktails molotov et sa police musclée, cette concorde, cette harmonie, cette douceur de vivre enviée par toute la planète.
Et ces poubelles qui s'entassent sur les trottoirs de la capitale comme autant de paquets de colère, quel témoignage plus vibrant d'une ville douée pour le bonheur et la fraternité entre les générations? Paris, Paris, chantonne déjà mon coeur, que d'ordures tu entasses en ton sein, toi qui de Montmartre à Montparnasse fut la ville rêvée des poètes et des artistes sans le sou. Qu'il me tarde d'être sous ton ciel, de cheminer le long de tes avenues qui sont autant d'invitations au voyage, à la rencontre d'immondices laissées là comme la preuve d'une cité, d'un pays qui a perdu depuis longtemps la clé du bonheur.
Déjà, on annonce une nouvelle manifestation pour le 6 avril. Je me savais impopulaire, mais de là à battre le pavé juste pour dénoncer mon arrivée, c'est pousser un peu loin, je trouve. Je pourrais mal le prendre. C'est vrai quoi, un an et demi que je n'ai pas foulé la terre qui m'a vu naître, et voilà qu'on s'apprête à m'accueillir avec force quolibets et autres banderoles comme si j'étais l'ennemi numéro un en personne. Macron, Saga, Borne, même combat, même haine.
Ce n'est pas tout, mais je dois finir ma valise. Je voulais ramener des objets traditionnels à offrir mais je m'interroge. Une fronde ne serait-elle pas plus appropriée qu'un vague souvenir, un dessous de verre ou un morceau d'étoffe, du sirop d'érable, de ces choses inutiles dont on ne sait que faire et qui finissent généralement… à la poubelle?
Cette chute totalement imprévue est parfaite, je m'arrête là!
À bientôt donc.
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