Politique

Tirer des leçons d'une législative partielle? Osons le faire pour une fois

Temps de lecture : 6 min

Le second tour de l'élection législative partielle en Ariège oppose, dimanche 2 avril, deux candidates qui n'offrent pas la même vision de l'union des gauches: celle de La France insoumise et celle des dissidents du PS.

Ici lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 19 novembre 2019, la député sortante Bénédicte Taurine (LFI) sera opposée à Martine Froger (dissidente PS), dimanche 2 avril, lors du second tour de l'élection législative partielle dans la première circonscription de l'Ariège. | Philippe Lopez / AFP
Ici lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 19 novembre 2019, la député sortante Bénédicte Taurine (LFI) sera opposée à Martine Froger (dissidente PS), dimanche 2 avril, lors du second tour de l'élection législative partielle dans la première circonscription de l'Ariège. | Philippe Lopez / AFP

Les élections partielles sont des scrutins très particuliers. De tradition, ces consultations isolées présentent trois caractéristiques constantes. Elles sont rarement favorables au pouvoir en place, voire jamais. Elles se soldent par un taux d'abstention élevé, voire parfois énorme. Et il est déconseillé de tirer des conclusions nationales de ces résultats partiels, où les critères locaux peuvent avoir la part belle.

Fort de ces avertissements, les résultats de l'élection législative partielle dans la première circonscription de l'Ariège –dont le premier tour s'est déroulé le dimanche 26 mars– doivent être examinés avec circonspection… Même s'ils révèlent des traits qui peuvent, opportunément, retenir l'attention de l'observateur du monde politique.

En effet, le dimanche 2 avril, le second tour opposera deux candidates qui représentent deux visions de l'union de la gauche, une Insoumise (Bénédicte Taurine) et une dissidente socialiste (Martine Froger), après l'élimination d'un candidat d'extrême droite arrivé en troisième position et l'effondrement de la représentante du camp présidentiel, qui était présente au second tour des élections législatives générales de l'après-présidentielle, en juin 2022.

L'Ariège, vieille terre socialiste

Ce scrutin faisait suite à la décision du Conseil constitutionnel d'invalider la réélection de Bénédicte Taurine, militante de La France insoumise (LFI) et candidate de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). En cause: une histoire d'inversion de bulletins des candidats Rassemblement national (RN) entre les deux circonscriptions du département qui a pu nuire au candidat du parti, Jean-Marc Garnier. Devancé d'une toute poignée de voix (huit!) par Anne-Sophie Tribout, candidate macroniste, ce dernier avait déposé un recours devant les sages du Palais-Royal.

Dans cette vieille terre socialiste de l'Ariège, les deux circonscriptions ont été détenues par la gauche (SFIO, puis Parti socialiste), pratiquement sans discontinuer avant même l'instauration de la Ve République en 1958, et jusqu'en 2017, lorsqu'elles étaient tombées dans l'escarcelle de LFI.

En juin 2022, la première circonscription était restée entre les mains de Bénédicte Taurine (LFI). Mais la seconde –qui avait vu la victoire de Laurent Panifous face au député Insoumis sortant Michel Larive– était revenue dans le giron socialiste… Un giron non officiel, qui s'oppose à l'accord de la Nupes et dirigé régionalement par Carole Delga, présidente (PS) de l'Occitanie.

L'annulation du scrutin de la première circonscription ariégeoise a remis sur le tapis la question du bien-fondé de l'accord de coalition électorale entre cinq composantes des gauches (LFI, PS, Europe Écologie-Les Verts, Parti communiste française et Génération.s), initié par Jean-Luc Mélenchon et soutenu par Olivier Faure, premier secrétaire du PS. Non seulement, les socialistes occitans dissidents, dont le militantisme historique est teinté de radicalisme, estiment avoir été maltraités dans l'accord de la Nupes. Mais, de plus, ils entretiennent des relations exécrables avec les Insoumis locaux.

Une participation moins catastrophique qu'ailleurs

Comme le résultat de la deuxième circonscription de l'Ariège avait été favorable à cette partie du PS en 2022 –Laurent Panifous siège maintenant dans le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) de l'Assemblée nationale–, le camp socialiste dissident tente de rééditer son opération de rétablissement électoral dans la première circonscription. Grâce à un retour quasiment inespéré, sa candidate, Martine Froger, s'est qualifiée pour le second tour, en remontant de la quatrième place en juin 2022 à la deuxième position, le 26 mars. Et la dynamique semble être de son côté.

D'ordinaire, la participation est extrêmement faible dans les élections partielles. Dans celle de l'Ariège, elle est certes en recul par rapport à la consultation générale (56,4% et 53% lors des deux tours en juin 2022) mais, en comparaison avec d'autres, elle est moins catastrophique puisqu'elle atteint 39,6%. Il n'est pas rare que l'abstention dépasse largement 70% dans ces scrutins isolés. Il faut croire que les enjeux ont été suffisamment mobilisateurs pour convaincre les électrices et électeurs de se déplacer dans les bureaux de vote de la moitié sud du département (qui comprend notamment Foix ou Lavelanet).

L'enjeu pour Bénédicte Taurine était d'arriver en tête, comme en 2022. De ce point de vue, la candidate Insoumise a atteint son objectif. Cependant, sa réussite est à relativiser un peu. Non seulement, elle a perdu près de 3.600 suffrages d'un scrutin à l'autre, mais elle a aussi vu aussi son pourcentage de voix reculer de 1,9 point: elle est passée de 33,1% à 31,2%.

La dissidente socialiste réussit un triple pari

Pour la candidate macroniste Anne-Sophie Tribout, le défi était d'atteindre une nouvelle fois le second tour dans un contexte politique et social extrêmement défavorable à la majorité présidentielle, en raison de la contestation à rallonge de la réforme des retraites et du forcing des oppositions de gauche contre le président de la République. Au regard de cet objectif, sa défaite est cinglante. Elle achève sa course à la quatrième place au premier tour, en perdant plus de 3.900 voix et 9,3 points de pourcentage par rapport à juin 2022 (10,7% contre 20%).

La surprise est venue de la dissidente socialiste anti-Nupes vers laquelle tous les anti-Olivier Faure, les opposants internes et externes au premier secrétaire du PS, avaient les yeux tournés. Martine Froger a réussi un triple pari: se hisser au second tour, devancer le candidat du RN (qui perd plus de 800 suffrages mais gagne 4,8 points par rapport à 2022) et faire passer à la trappe la candidate du camp présidentiel. De fait, Martine Froger obtient 95 voix de plus qu'en juin dernier –ce qui est une forme d'exploit dans une partielle– et elle progresse de 8,3 points: elle obtient 26,4% contre 18,1% il y a près d'un an.

Dans ces conditions particulières –rappelons, une nouvelle fois, que l'Ariège est un bastion socialiste depuis belle lurette–, les partisans de Carole Delga ont beau jeu de brandir ce succès comme un totem qui a la double caractéristique d'être anti-Nupes et anti-RN, à un moment où Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen espèrent tirer un profit politique de la situation scabreuse dans laquelle se trouve la majorité présidentielle, qui n'est que relative à l'Assemblée nationale.

Le poids des reports de voix

Alors que cette législative partielle était partie pour polariser l'attention sur un éventuel duel de second tour entre LFI et Ensemble, ou plus probablement entre LFI et le RN, c'est un face-à-face entre les gauches que les électrices et électeurs ont décidé de départager. Dans cette joute, les voix de deux des cinq candidats éliminés au premier tour –Jean-Marc Garnier pour le RN et Anne-Sophie Tribout pour la majorité– vont sans doute peser lourd.

Si le parti d'extrême droite n'a donné, et pour cause, aucune consigne de vote pour le second tour, en revanche, le parti Renaissance «appelle à voter sans ambiguïté pour la candidate du PS» opposée à «la candidate d'extrême-gauche investie par La France insoumise».

Un soutien que n'a pas manqué de dénoncer la direction du Parti socialiste en soulignant que «les duels à gauche ne peuvent être arbitrés par la droite et l'extrême droite». Signalons au passage que le parti Les Républicains (LR) n'avait pas de candidat dans cette circonscription ni en 2022 ni en 2023.

Dans un communiqué au caractère un peu surréaliste qui témoigne d'une certaine fébrilité, les dirigeants du PS se félicitent du résultat de Bénédicte Taurine (LFI) et ils saluent aussi celui de Martine Froger, «candidate dissidente» issue de ses rangs… en l'invitant à un «désistement républicain, traditionnel à gauche». Une demande qui ne manque pas de sel quand on connaît la bataille âpre que mènent les partisans d'Olivier Faure contre tous les opposants à la ligne pro-Nupes du premier secrétaire.

Finalement, le résultat du dimanche 2 avril sera interprété, au-delà de son caractère partiel, soit comme une affirmation de la justesse de la ligne de coalition électorale initiée par Jean-Luc Mélenchon et défendue par Olivier Faure, soit comme un coin enfoncé dans la Nupes par ses opposants de gauche. Une victoire de Martine Froger –envisageable sur le papier– donnerait du grain à moudre aux tenants, internes et externes, d'une social-démocratie non placée sous tutelle.

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