Elle aurait pu passer totalement inaperçue si elle ne convoquait pas autant de questions récurrentes ces dernières années. Le jeudi 2 mars était présentée puis retirée une proposition de loi émanant de la députée Naïma Moutchou et du député Laurent Marcangeli pour le groupe Horizons et apparentés, visant à mieux lutter contre la récidive.
Son point fort: fixer «une peine minimale d'un an d'emprisonnement ferme pour les délits de violences commis en état de récidive légale et ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure, supérieure ou égale à huit jours» sur les agents publics, tels que les membres des forces de l'ordre. Face à une forte opposition à ce texte, à laquelle a pris part le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, Naïma Moutchou préfère retirer l'ensemble de la proposition de loi, pointant un «blocage idéologique» sur ce qui ressemble au retour décrié des peines plancher.
Mesure phare de la très sécuritaire présidence de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, ce dispositif prévoyant «une peine minimale sur laquelle le juge ne pourrait pas transiger» a été supprimé en 2014 par Christiane Taubira, alors ministre de la Justice. «Cette mesure est un échec. Elle a simplement engendré 4.000 années de prison supplémentaire prononcées chaque année», déclarait-elle lors de la présentation de sa réforme pénale.
Les peines plancher sont également contraires au principe d'individualisation des peines, «pour être efficaces et avoir du sens aux yeux du condamné». Même si la ressemblance semble indiscutable, la proposition du 2 mars 2023 se présentait comme «sans comparaison possible avec les peines plancher de 2007», sans convaincre personne.
Numerus clausus
Face au rocher de Sisyphe qu'est la lutte contre la récidive pénale, une autre proposition surgit, radicalement opposée: celle d'un numerus clausus «inversé». C'est ce que proposent, dans une tribune publiée par Le Monde en février, Dominique Raimbourg, avocat et ancien député socialiste, et Sylvain Lhuissier, cofondateur de l'association de réinsertion Possible et auteur de l'essai Décarcérer – Cachez cette prison que je ne saurais voir.
Ce n'est pas une première pour Dominique Raimbourg. En 2017, dans une tribune publiée dans Libération, celui qui était alors président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale formulait la même demande aux côtés de Stéphane Jacquot, ex-secrétaire national de Les Républicains:
«Pour chaque entrée dans une maison d'arrêt surpeuplée, un condamné à une courte peine doit sortir. [...] Cette pratique mettrait fin aux sorties sèches qui concernent 80% des personnes qui sortent chaque année de prison sans suivi et sans contrôle et n'aura aucune incidence sur le niveau de sécurité du pays, puisque ces condamnés s'apprêtaient à sortir. Au contraire, ce suivi contribuera à réduire la récidive.»
Il ne faut pas croire que les alternatives à l'enfermement sont exemptes de défauts.
Mais la proposition de numerus clausus carcéral est retoquée par Christiane Taubira dès 2014 lorsque Adeline Hazan, alors contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), la suggère pour défendre le droit à l'encellulement individuel, pourtant censé être respecté dans tous les établissements français depuis 1875.
La garde des Sceaux l'explique ainsi: «L'idée elle-même, dans la mesure où on n'arrive pas à l'installer de façon claire dans la société, j'y suis tout à fait opposée. Mais c'est une idée qui a le mérite de poser le débat sur l'incarcération.» Que faudrait-il alors afin de concrétiser cette mesure et sortir de la solution «chère et inefficace», selon les mots de l'Observatoire international des prisons (OIP), que constitue l'enfermement?
Loin de la prison
Des alternatives à l'enfermement existent déjà. Comme l'explique l'OIP dans un article de 2021, le contrôle judiciaire (comprenant diverses interdictions et obligations telles que l'émargement régulier au commissariat), le contrôle judiciaire socio-éducatif (contraignant à une prise en charge renforcée en vue de de favoriser la réinsertion) et l'assignation à résidence avec surveillance électronique (au moyen d'un bracelet électronique) peuvent remplacer le placement en détention provisoire, particulièrement difficile à vivre et grandement responsable de la surpopulation carcérale.
Au lieu d'emprisonner, on peut astreindre à un travail d'intérêt général, au sursis probatoire (comparable au contrôle judiciaire des personnes prévenues, c'est-à-dire non condamnées), à la détention à domicile sous surveillance électronique (toujours avec le fameux bracelet électronique à la cheville). On peut aussi aménager la peine en placement extérieur ou décider d'une libération conditionnelle. Le ministère de la Justice a conclu en 2014 que «la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales».
«La prison reste aujourd'hui le mètre étalon de la peine.»
Cependant, il ne faut pas croire que les alternatives à l'enfermement sont exemptes de défauts. Dans Éprouver le sens de la peine – Expériences de vies condamnées, Jérôme Ferrand, chercheur et maître de conférence en histoire du droit et des institutions, Fabien Gouriou, psychologue, et Olivier Razac, chercheur et maître de conférence en philosophie, partagent leurs entretiens avec quarante-six personnes faisant «l'objet de ces peines sans barreaux».
Questionné par Libération, Fabien Gouriou résume ainsi le problème: «Une phrase nous a pourchassés d'entretien en entretien: “C'est un truc qui rend fou.” Les contraintes et aménagements que les peines probatoires impliquent en termes d'organisation, les conséquences sur la vie de famille, sur le regard des gens et les relations sociales… La probation plonge les gens dans des situations quasi impossibles.»
Transitions
Ces alternatives sont en réalité des mesures additionnelles et non pas de substitution aux peines d'emprisonnement prononcées dans les tribunaux. Ce que développe Cécile Marcel, directrice de l'OIP, durant un échange par téléphone:
«La prison reste aujourd'hui le mètre étalon de la peine. Il faudrait que certaines infractions ne soient condamnées que d'une peine de probation, et revoir comment ces peines sont pensées et mises en œuvre. Le sursis probatoire ne peut pas être qu'une mesure de contrôle, mais doit aussi accompagner la personne au plus près de ses besoins pour ne pas récidiver. Le placement à l'extérieur est une mesure vraiment intéressante, car elle permet une prise en charge globale des personnes (santé, recherche d'emploi et de logement), en particulier les plus désocialisées, plus efficace contre la récidive.»
Un dispositif qui fait ses preuves au Canada, comme l'expliquent Clémence Bouchart et Carolina Nascimento, responsables du site Prison Insider. «À un tiers environ de la peine effectuée en prison, les personnes vont dans une maison de transition où elles sont accompagnées dans leur réinsertion: se former, travailler, recréer du lien avec leurs proches. C'est ce qu'on appelle une peine en communauté. Mais pour réintégrer la société, il faut aussi que cette dernière accepte de vous réintégrer. Si la société n'est que dans la punition et ne voit que l'aspect dangereux des personnes ayant été condamnées, la réintégration ne peut être que compliquée.»