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Le soft power de la Chine ne fait plus illusion

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Presque partout dans le monde, la popularité politique de Pékin est en chute libre, et de plus en plus de pays lui tournent le dos.

Le président chinois Xi Jinping marche aux côtés du président micronésien David Panuelo lors d'une cérémonie d'accueil à Pékin, le 13 décembre 2019. | Noel Celis / AFP
Le président chinois Xi Jinping marche aux côtés du président micronésien David Panuelo lors d'une cérémonie d'accueil à Pékin, le 13 décembre 2019. | Noel Celis / AFP

Bonne nouvelle pour la Chine: elle a gagné un nouvel allié diplomatique, le Honduras, qui vient de lâcher Taïwan. Mais ces derniers temps, c'est plutôt des reculs que Pékin a encaissé sur la scène internationale. La semaine du 6 mars, le président des États fédérés de Micronésie, David Panuelo, a adressé à son Parlement une lettre qui n'est pas passée inaperçue: il y dénonçait des tentatives d'intimidation et de corruption de la Chine à son égard. Des manœuvres qui l'ont mené à considérer l'idée de nouer des liens diplomatiques avec Taïwan.

Non loin de là, les Philippines ont donné accès à quatre de leurs bases militaires à l'armée américaine le 2 février dernier, et ne cachent pas non plus leur amertume. Il faut dire que sous le mandat de Rodrigo Duterte (2016-2022), qui lui était sympathique, l'empire du Milieu n'a investi que 3% des 24 milliards de dollars (22 milliards d'euros) promis aux Philippines en 2016, en plus de revendiquer de manière menaçante la souveraineté sur des îlots de la mer de Chine méridionale.

Des revirements similaires s'observent en Europe, notamment en République tchèque, pourtant très proche de Pékin depuis quelques années. Dès le début de son mandat fin janvier, le nouveau président tchèque Petr Pavel s'est ainsi montré amical envers Taïwan, qui entretient par ailleurs d'excellentes relations avec la Lituanie. «Même la Pologne est refroidie par la position chinoise sur l'Ukraine, alors qu'avant la guerre, ce pays pouvait avoir à la fois une mauvaise relation avec la Russie et une bonne relation avec la Chine», observe le sinologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Jean-Pierre Cabestan.

Répression contre les Ouïghours, menaces d'invasion de Taïwan, confinements brutaux, censure, surveillance des citoyens… À peu près partout dans le monde, la Chine pâtit d'une image catastrophique. D'après le Pew Research Center, elle récolte 82% d'opinions défavorables parmi la population aux États-Unis, 87% au Japon, 86% en Australie, 83% en Suède… Les Français sont un peu moins sévères, mais 68% d'entre eux voient quand même sa politique d'un mauvais œil.

Les entreprises, qui généralement se tiennent plus loin de la chose politique, sont aussi refroidies: 45% des membres de la Chambre de commerce américaine en Chine considèrent encore le marché chinois comme l'une de leurs trois priorités, contre 59% en 2019. «Les compagnies sont exténuées après trois ans de “zéro Covid”», explique le président de cet organisme au Wall Street Journal.

«L'image de la Chine s'est désagrégée ces dernières années, surtout à partir de 2014 ou 2015, y compris dans les pays où elle était déjà mauvaise comme au Japon. Cela correspond plus ou moins à l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir», remarque Jean-Pierre Cabestan, qui y voit un «vrai problème» et un «facteur d'affaiblissement» pour une puissance qui aspire à ravir la place de numéro un mondial aux États-Unis.

Un soft power en berne

Pourtant, Xi Jinping connaît l'importance de soigner son image à l'international pour asseoir ses rêves de grandeur: tout juste désigné président en 2013, il clamait son intention de «bien raconter l'histoire de la Chine» au moyen de la propagande. Il n'a rien inventé: depuis le début du siècle, son pays a englouti des sommes faramineuses dans le but de se faire aimer –jusqu'à 10 milliards de dollars par année, selon le sinologue David Shambaugh, de l'université George-Washington.

Ainsi, la Chine a bâti un réseau d'instituts Confucius pour enseigner sa langue et sa culture, a voulu faire connaître sa vision du monde grâce à son agence de presse officielle Xinhua et ses chaînes de télévision, a financé des productions documentaires et artistiques à des prix exorbitants. Bref, elle a développé son soft power, soit «la capacité à influencer les autres par l'attraction et la persuasion» selon l'inventeur de ce concept, le politiste américain Joseph S. Nye.

L'échec de la Chine est dû à «son utilisation brutale du hard power dans le but de mener à bien une politique étrangère de plus en plus nationaliste».
Joseph S. Nye, politiste

En 2022, ce même politiste jugeait «décevants» les résultats de cette stratégie, dans les colonnes de Project Syndicate. Pour lui, cet échec de la Chine est dû à «son utilisation brutale du hard power [c'est-à-dire la force, ndlr] dans le but de mener à bien une politique étrangère de plus en plus nationaliste. Cela a été très bien exposé par sa punition économique de l'Australie et par ses expéditions à la frontière indienne dans l'Himalaya

Une autre raison tient à la nature même du soft power, qui repose en bonne partie sur la culture d'un pays et «émane de forces sociétales qui échappent au contrôle du gouvernement», toujours selon Joseph S. Nye. Pensons aux États-Unis: malgré ses invasions militaires parfois lancées sous de faux prétextes comme en Irak en 2003, cette puissance dispose encore d'une bonne cote d'amour sur la planète grâce à son industrie culturelle (Hollywood, pop music, Netflix, etc.), même si celle-ci se montre parfois très critique de la société ou du pouvoir américains.

Dotée d'une culture millénaire, la Chine a elle aussi un énorme potentiel de soft power. Mais le contrôle très strict que le Parti communiste chinois (PCC) exerce sur la société civile l'empêche de l'exploiter. Ses chaînes de télévision, comme CGTN qui émet en plusieurs langues, ont des audiences faméliques. Et ses opérations de propagande pilotées par des bureaucrates sont souvent mal ficelées –on vous a déjà parlé de drôles de documentaires réalisés par un cinéaste français.

Et alors que les instituts Confucius pourraient être de gentils centres culturels favorisant le rapprochement entre les peuples, ils ont été fermés dans plusieurs pays car soupçonnés de propagande, d'espionnage et de surveillance des opposants au régime… Résultat, la voix de la Chine paraît de plus en plus inintelligible sur une grande partie de la mappemonde.

La brutalité, un choix risqué

Son soft power ne faisant pas le poids, la Chine alterne désormais entre le hard power et le sharp power, nouveau concept qui définit un pouvoir basé sur la manipulation de l'opinion –par exemple en embauchant des trolls ou en cherchant à influencer les élections à l'étranger. Pas surprenant, dès lors, de la voir toujours plus proche de la Russie, le grand méchant du moment. «Pékin semble désormais estimer que, comme l'écrivait Machiavel dans Le Prince, il est plus sûr d'être craint que d'être aimé», pouvait-on lire en 2021 dans un rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Inserm).

Le cas de Taïwan en est une belle illustration. Pour séduire sa population, la Chine a produit des téléfilms reprenant des histoires classiques chinoises, promu le tourisme entre les deux rives du détroit, ou essayé de démontrer aux Taïwanais qu'ils pouvaient faire carrière en Chine –par exemple en offrant des ponts d'or aux ingénieurs ou en faisant une grande place aux artistes formosans dans ses concours télévisés de chant.

Malgré cela, le sentiment national taïwanais a progressé ces dernières années, et la Chine joue maintenant la ligne dure pour tenter de prendre le contrôle de l'île, en brandissant la menace d'une invasion ou en menant des opérations massives de désinformation en ligne.

Mais en empruntant cette voie, la Chine prend un risque: montrer au reste du monde qu'elle n'a pas les moyens de ses ambitions. C'est ce qui est arrivé dans son conflit avec l'Australie: furieuse après que le Premier ministre Scott Morrison a exigé une enquête sur l'origine du Covid-19, la Chine a répliqué en imposant des sanctions sur les produits australiens. Catastrophe pour l'île-continent, venant de son premier partenaire commercial? Que nenni: l'impact s'est avéré à peu près nul. Le géant asiatique n'a pas été en mesure de trouver d'autres fournisseurs pour certaines matières premières (fer, charbon ou gaz naturel), alors que l'Australie a trouvé d'autres clients pour ses produits agroalimentaires (comme l'orge ou le vin).

Un découplage est possible

Depuis, certains pays ont montré qu'ils n'ont plus peur de froisser Pékin, de plus en plus perçu comme un partenaire non fiable et comme un ennemi de la démocratie libérale. Certes, il ne s'agit pas de grandes puissances, mais ils montrent au reste du monde qu'un découplage avec l'usine de la planète est possible. Il y a encore un an, c'était inimaginable.

C'est un mauvais présage pour la Chine, à qui il reste tout de même un motif de satisfaction: son image reste bonne dans certains pays en développement, notamment en Afrique, où son soft power mêlant investissements massifs et séduction des élites est bien reçu. Pour combien de temps encore?

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