Politique

La grosse erreur politique d'Emmanuel Macron sur la motion de censure

Temps de lecture : 3 min

[TRIBUNE] Le président a manqué de stratégie. L'adoption de cette motion aurait pu sauver son quinquennat.

Emmanuel Macron s'exprime lors d'une conférence de presse après un sommet européen, à Bruxelles, le 24 mars 2023. | Ludovic Marin / AFP
Emmanuel Macron s'exprime lors d'une conférence de presse après un sommet européen, à Bruxelles, le 24 mars 2023. | Ludovic Marin / AFP

Si la motion de censure avait été adoptée lundi 20 mars, c'eut été une porte de sortie honorable pour Emmanuel Macron. Ce n'est pas lui, mais sa Première ministre, Élisabeth Borne, qui aurait dû se retirer. Au lieu de cela, le rejet de la motion –à neuf voix près– sonne le glas du quinquennat. Il condamne le président à l'inaction, quoiqu'il en dise.

Posons un instant l'hypothèse d'une adoption de la motion de censure. Le gouvernement aurait été contraint de présenter sa démission au président, et le président de l'accepter. L'occasion se serait alors présentée à lui de nommer un nouveau Premier ministre et de nouveaux ministres, pour un nouveau contrat de gouvernement. Un nouveau départ, en somme.

Il aurait pu tenter de construire une majorité de raison et de compromis, en agrégeant des centristes (le député de la Marne Charles de Courson, à l'origine de la motion de censure transpartisane, en Premier ministre?) et des députés et sénateurs Les Républicains (LR), parmi ceux qui avaient soutenu la réforme.

Dans cette situation, les opposants les plus radicaux auraient été débranchés par un retrait de la réforme, ou plutôt par sa suspension. Un nouveau cycle législatif restant possible, avec un projet amendé évidemment. C'eut été reculer? Oui, mais pour gouverner ou laisser gouverner, en créant un apaisement, un rassemblement et en ne donnant pas spécialement de légitimité pour gouverner à la rue, à la foule, à La France insoumise (LFI), au Rassemblement national (RN).

Ce n'est pas qu'Emmanuel Macron manque d'intelligence; il manque d'humilité. Ce trait de caractère le dessert en pareille circonstance; plus grave, il est néfaste aux Français.

Le président aurait certes perdu une part d'initiative, aurait dû dire adieu au pouvoir vertical, mais il serait passé pour bon démocrate sous une forme –lui qui adore se comparer à plus grand que lui– de «Je vous ai compris».

Au contraire, la non-censure ne lui laisse ni ce choix ni ce rôle. Il a de toute façon perdu la main, perdu la confiance des citoyens, et ceci sans gagner l'indulgence de l'opinion publique, sans rendre à nouveau crédible sa parole, qui prône pourtant l'ouverture, le «avec vous», le «en même temps».

Il a en réalité tout perdu et pourtant, il proclame qu'il a gagné. Quel aveuglement. Et dire que quelques députés macronistes auraient suffi à faire basculer le sens du vote si eux-mêmes et leur mentor avaient été un peu avisés. Ce n'est pas qu'Emmanuel Macron manque d'intelligence; c'est qu'il manque d'humilité. Ce trait de caractère le dessert en pareille circonstance; plus grave, il est néfaste aux Français. Le pays est devenu ingérable, la crise de confiance dans les représentants (président, ministres, parlementaires) a creusé un canyon là où il n'y avait encore qu'un fossé.

Pire, son intervention télévisée du mercredi 22 mars est celle d'un chef d'une majorité (de droite) introuvable, et en rien celle du chef d'État qu'il devrait être, celle du président de tous les Français.

Alors bien sûr, le président conserve les armes constitutionnelles qui sont les siennes. Mais il ne peut guère les utiliser qu'à ses dépens... et aux dépens de la démocratie, malheureusement.

Un remaniement? Quel sens cela aurait-il puisque le gouvernement «a gagné».

Un changement de méthode? Le coup (de comm') a déjà servi en juin 2022, plus personne n'y croit. Et puis, franchement, changer de méthode sans changer d'équipe? La censure aurait justifié de telles actions; son rejet les rend inadaptées.

Un référendum? Une seule question aurait un sens: demander au peuple s'il approuve ou refuse la réforme. Pourquoi aller jusqu'à l'organisation d'un référendum quand on connaît d'avance la réponse, et qu'on a le pouvoir de satisfaire le peuple sans délai? Et puis, comment y survivre? Ce serait un plébiscite contre la personne du président.

Emmanuel Macron a joué à «qui gagne perd» et à «qui perd gagne». Seulement, à la fin du jeu, tout le monde perdra.

Reste la dissolution. Après une censure, c'eut paru comme naturel, dans la logique constitutionnelle: retourner au peuple pour qu'il désigne de nouveaux représentants. Mais sans la censure, pourquoi dissoudre? D'autant qu'on a, paraît-il, la majorité? En cas de dissolution, il est évident que la majorité toute relative d'aujourd'hui serait réduite à une minorité absolue.

Et quid du RN? Quid de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes)? L'opération serait à haut risque. Alors que le vote de la censure, lui, aurait permis de nommer un nouveau gouvernement, de chercher une majorité élargie et, si dans un an par exemple, la preuve avait été faite que ça ne marchait pas mieux, alors la dissolution aurait pu être une solution raisonnable, et moins au désavantage du président et de ses troupes.

Mais non! Au lieu de cela, Emmanuel Macron a joué à «qui gagne perd» et à «qui perd gagne». Seulement, à la fin du jeu, tout le monde perdra. Il portera alors une lourde responsabilité devant l'histoire ou, à tout le moins, devant ses contemporains, devant ses concitoyens.

Newsletters

Guerre en Ukraine: des adolescents embauchés pour la propagande russe

Guerre en Ukraine: des adolescents embauchés pour la propagande russe

Des journalistes mineurs travaillent pour les chaînes de désinformation.

Le macronisme n'est pas du néolibéralisme, c'est du pragmatisme libéral

Le macronisme n'est pas du néolibéralisme, c'est du pragmatisme libéral

Pour la réalisatrice Justine Triet, le gouvernement d'Emmanuel Macron appliquerait une politique néolibérale contre l'intérêt commun. À y regarder de plus près, cette définition laisse sceptique.

Vivement lundi: la décivilisation

Vivement lundi: la décivilisation

La décivilisation, c'est quoi? C'est le cul-de-sac de la pensée, le gros intestin de la politique, mais sans sa fonction salvatrice d'évacuation, une constipation de l'esprit en somme.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio