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Xi Jinping peut se féliciter des excellentes relations avec Vladimir Poutine

Temps de lecture : 8 min

Que dit la rencontre entre les présidents chinois et russe des rapports entre leurs pays?

Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, au Kremlin, à Moscou, le 21 mars 2023. |  Pavel Byrkin / Sputnik / AFP
Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, au Kremlin, à Moscou, le 21 mars 2023. |  Pavel Byrkin / Sputnik / AFP

Xi Jinping a été prolongé en octobre dernier dans ses fonctions de secrétaire général du Parti communiste chinois. Début mars, il a été maintenu comme président de la République populaire de Chine. Il est donc désormais en mesure de se consacrer à mettre en valeur la diplomatie chinoise en proposant des solutions à certains conflits.

Ainsi, l'Arabie saoudite et l'Iran avaient rompu leurs relations depuis sept ans. Le 10 mars, la Chine les a amenés à se réconcilier. Cette avancée a été rendue possible par les bonnes relations que Pékin entretient avec l'Arabie saoudite et –contrairement aux États-Unis– avec l'Iran. La Chine a donc montré qu'elle est capable de réussir un arbitrage international.

Après ce succès, Xi Jinping décide de s'occuper de la relation de la Chine avec la Russie. Le 20 mars, il effectue un séjour de trois jours à Moscou. Cette visite avait d'abord été envisagée en mai prochain. L'avancer de deux mois a pu apparaître comme un soutien à Vladimir Poutine au moment où la Cour pénale internationale venait d'émettre un mandat d'arrêt à son encontre pour crime de guerre.

Lorsqu'au début de sa visite, Xi Jinping arrive dans un salon du Kremlin et s'assoit non loin de Vladimir Poutine, il arbore un sourire qui dénote le plaisir évident qu'il a à retrouver celui qu'il nomme son «vieil ami». Une telle appellation est rare chez Xi Jinping, habitué à une neutralité polie dans l'expression de ses sentiments. De son côté, le président de la Fédération de Russie n'est pas en reste d'amabilités chaleureuses envers son «camarade Xi». Puis au cours du diner, les deux dirigeants trinquent à la «prospérité» des peuples russes et chinois. Le lendemain, ils ont des entretiens que l'agence de presse chinoise Xinhua qualifie de «sincères, amicaux et fructueux».

Une histoire commune mouvementée

Au-delà des mots employés, les deux présidents savent que les pays qu'ils dirigent ont eu au XXe siècle une histoire commune mouvementée. Pendant soixante-dix ans, Moscou a été le centre du pouvoir communiste. Mao Zedong, devenu le leader du pouvoir chinois en 1949, y a effectué un premier voyage de deux semaines en 1950. Il représentait une Chine à l'économie très faible et devait s'incliner devant l'autorité absolue de Staline. Celui-ci, après la Seconde Guerre mondiale, lui avait recommandé une entente avec le nationaliste Tchang Kaï-chek. Mais Mao avait préféré mener une guerre civile contre ce dernier et l'avait finalement emportée.

En 1957, après la mort de Staline, Mao Zedong retourne à Moscou à l'occasion de la Conférence mondiale des Partis communistes. Ce sera la deuxième et dernière fois qu'il sortira de Chine. À la tribune de cette réunion internationale, le nouveau leader de l'URSS, Nikita Khrouchtchev, entame la déstalinisation et n'hésite pas à critiquer les méthodes de son prédécesseur. Pour Mao, de telles mises en cause sont irresponsables. Il en parle avec le Français Maurice Thorez et l'Albanais Enver Hodja, deux responsables communistes qui sont parfaitement d'accord avec lui. La conversation, enregistrée par des micros cachés dans les murs par le KGB, ne sera dévoilée qu'après la chute de l'URSS.

Dans les années qui suivent, des désaccords multiples surgissent entre Pékin et Moscou sur les formes de l'aide russe à la Chine. Khrouchtchev fait un voyage à Pékin sans succès. Et, en 1960, la rupture est officialisée entre les deux grands pays communistes de l'époque.

La relation se complique un peu plus, en 1966, lorsque Mao Zedong lance en Chine la Révolution culturelle qui dénonce violemment tout ce qui peut être accusé d'aller à l'encontre de l'idéal prolétarien. L'ambassade d'URSS subsiste à Pékin mais la Chine donne à l'artère qui y mène le nom de «rue contre le révisionnisme soviétique». Quelques librairies pékinoises continuent de vendre des dictionnaires sino-russes. Mais leur prix est bradé par rapport à celui des ouvrages de traduction du chinois en d'autres langues. Dans le menu de certains restaurants de Pékin subsiste du caviar venant de Russie. Là aussi, il ne coûte presque rien et d'ailleurs, personne n'en achète.

Il y a dans leur relation une part de compréhension évidente, voire de connivence.

Dans cette période, les dirigeants russes autour de Léonid Brejnev observent attentivement cette Chine où la Révolution culturelle s'accompagne de nombreux désordres et règlements de comptes. Ils s'intéressent en particulier aux essais de bombe atomique effectués par leur ex-allié chinois dès 1964. Et en 1967, quand la Chine teste une bombe à hydrogène, on commence à s'inquiéter en URSS. D'autant qu'en 1969, à la frontière nord de la Chine, sur les bords du fleuve Oussouri, de vifs combats opposent des militaires russes et chinois. Quelques mois plus tard, à Washington, le Pentagone a la surprise de recevoir un message des autorités militaires soviétiques lui demandant comment il réagirait si l'URSS envoyait une bombe atomique sur la Chine. Ayant manifestement réussi à être au courant de cette démarche, des diplomates chinois vont prendre contact avec la Maison-Blanche.

Pékin et Washington ne se parlaient plus depuis que Mao Zedong et le Parti communiste avaient, en 1949, pris le pouvoir en Chine. En 1971, dans une discrétion totale, Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale du président Nixon, va faire deux voyages en Chine. Il écrira dans ses mémoires à quel point il a été impressionné par le niveau de connaissance des dossiers internationaux de Mao Zedong et de son Premier ministre Zhou Enlai, alors qu'ils étaient largement isolés de la diplomatie mondiale. En janvier 1971, Henry Kissinger revient à Pékin avec cette fois-ci Richard Nixon, le président des États-Unis. Face à l'URSS, un rapprochement américano-chinois débute.

Quant à la relation entre l'URSS et la Chine, elle se détend et, en mai 1989, Mikhaïl Gorbatchev, le chef de l'État soviétique, est invité à effectuer une visite officielle à Pékin. Mais c'est le moment où la place Tian'anmen commence à être occupée par une foule d'étudiants et Deng Xiaoping, qui dirige alors la Chine, est contraint de faire entrer Mikhaïl Gorbatchev dans l'Assemblée nationale par une porte dérobée –ce qui, d'un point de vue chinois, est une véritable perte de face. D'autant plus que la pérestroïka –cette libéralisation politique qu'incarne alors l'URSS de Gorbatchev– rencontre une certaine popularité à Pékin, y compris chez des membres du gouvernement chinois. Mais ce n'est pas du tout la ligne pour laquelle va opter Deng Xiaoping, qui choisit d'écraser dans le sang les revendications démocratiques des occupants de la place Tian'anmen.

Des raisons de rapprochements entre les deux pays

À partir de là, la Chine entame une marche vers la montée en puissance de son économie. À l'époque, elle est encouragée par l'Occident, persuadé, à tort, qu'une Chine plus riche deviendra forcément démocratique. En fait, le régime chinois va prendre nettement ses distances par rapport aux options économiques du communisme, mais pas avec son organisation politique. De son côté, la Russie rompt en 1991 avec les principes du communisme; mais Vladimir Poutine semble être nostalgique de ce qu'était la puissance de l'Union soviétique. Quant à Xi Jinping, comme tous les cadres du Parti communiste chinois, il a suivi, dans les débuts de sa carrière, des stages de formation où la relation sino-soviétique et les leçons à en tirer tenaient une place importante. Le dirigeant chinois et son homologue russe partagent un même fond de culture marxiste et mesurent l'importance de tous les renversements de positions qui se sont produits dans les deux pays.

En 2013, lorsqu'il est devenu président de la République chinoise, Xi Jinping a fait son premier voyage officiel à Moscou pour y rencontrer Vladimir Poutine. Il y a dans leur relation une part de compréhension évidente, voire de connivence. S'ajoutent à cela quantité de raisons de rapprochements entre leurs deux pays. En matière diplomatique, la Chine et la Russie sont deux pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies, ils adoptent souvent des positions communes et préfèrent s'abstenir plutôt que de se condamner l'un l'autre.

Sur le plan militaire, les marines chinoises et russes participent régulièrement à des exercices communs en mer de Chine ou bien, comme ce fut le cas récemment, au large de l'Afrique du Sud, en coordination avec des bâtiments de ce pays. Autre exemple de rapprochements sino-russes beaucoup moins organisés: la Sibérie et les provinces orientales de la Russie ont tendance, depuis une dizaine d'années, à dépendre de plus en plus de leurs relations économiques avec la Chine. D'autant que de nombreux Chinois qui s'y sont installés.

Quant à la coopération économique, elle est d'autant plus importante depuis un an que les États-Unis et les pays européens, en raison de la guerre en Ukraine, ont significativement réduit leurs approvisionnements en produits russes. Certes, jusqu'ici, Pékin a toujours affirmé ne pas fournir d'armement à son voisin. Depuis une dizaine d'années, ce sont essentiellement des machines-outils, des composants électroniques ou des produits pharmaceutiques que la Chine exporte vers la Russie; tandis que celle-ci lui vend des minerais et surtout du gaz que les pays occidentaux ne lui achètent plus.

La guerre en Ukraine, une question stratégique

Le 21 mars, Vladimir Poutine a dit à Xi Jinping que «les entreprises russes sont en mesure de répondre à la demande croissante de la Chine en énergie». Selon lui, l'objectif est de livrer à la Chine au moins 98 milliards de mètres cubes de gaz russe et 100 millions de tonnes de GNL russe d'ici à 2030. En 2019, un premier gazoduc avait été inauguré, reliant la Sibérie au nord-est de la Chine. Un deuxième qui traversera la Mongolie est actuellement en construction. Dans la situation économique où elle se trouve, la Russie vend toute cette énergie à un prix nettement plus bas que les cours mondiaux, ce qui satisfait bien sûr les acheteurs chinois.

«Appeler à un cessez-le-feu qui ne comprend pas le retrait des forces russes du territoire ukrainien soutiendrait, dans les faits, l'entérinement des conquêtes russes.»
Antony Blinken, secrétaire d'État américain

À Moscou, Xi Jinping ne pouvait pas ne pas aborder la question de la guerre que la Russie mène en Ukraine. La Chine a présenté un plan de paix le 24 février. Et au cours de la rencontre Xi Jinping-Poutine à Moscou, un texte russo-chinois a été publié dans lequel «les deux parties soulignent que pour régler la crise ukrainienne, les préoccupations de sécurité de tous les pays doivent être respectées, qu'il convient d'empêcher la confrontation entre blocs et d'éviter de rajouter de l'huile sur le feu. Elles signalent également qu'un dialogue responsable est le meilleur moyen de trouver des solutions appropriées. À cette fin, la communauté internationale devrait soutenir les efforts constructifs pertinents.» Les «préoccupations de sécurité» concernent donc l'Ukraine comme la Russie et les «efforts constructifs pertinents» sont manifestement ceux de la Chine.

Pékin a annoncé son intention de prendre contact prochainement avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et celui-ci répète qu'il est prêt à négocier avec Vladimir Poutine; tandis que Vladimir Poutine salue «la volonté de la Chine de jouer un rôle constructif dans le règlement» de la question ukrainienne. Mais ce qui pourrait résulter d'une négociation de paix initiée par la Chine laisse sceptique, notamment la diplomatie américaine. Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, dit apprécier toute initiative diplomatique en vue d'«une paix juste et durable» mais il met en priorité la préservation de «la souveraineté et l'intégrité territoriale» de l'Ukraine. Et il précise qu'«appeler à un cessez-le-feu qui ne comprend pas le retrait des forces russes du territoire ukrainien soutiendrait, dans les faits, l'entérinement des conquêtes russes».

De retour à Pékin, le président chinois a de quoi se féliciter des excellentes relations qu'il vient de réactiver et d'amplifier avec Vladimir Poutine. Ce dernier a également pu apprécier les égards de son puissant ami chinois qui, d'ailleurs, l'a invité à venir prochainement à Pékin. Mais pour Xi Jinping, une question reste entière: comment enclencher une négociation sur un arrêt des combats en Ukraine? Dans cet objectif, les diplomates chinois ont probablement déjà préparé des arguments destinés à dénoncer les États-Unis et les pays occidentaux qui, comme beaucoup le pensent à Pékin, vont tout faire pour que toute tentative de médiation dans la guerre en Ukraine échoue.

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