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Santé mentale: attention à l'autodiagnostic sur les réseaux sociaux

Temps de lecture : 6 min

La démarche présente certains risques et n'empêche surtout pas de consulter.

Les contenus en lien avec la santé mentale se multiplient sur les réseaux sociaux. Mieux vaut prendre garde aux personnes que l'on suit... | mikoto.raw Photographer via Pexels
Les contenus en lien avec la santé mentale se multiplient sur les réseaux sociaux. Mieux vaut prendre garde aux personnes que l'on suit... | mikoto.raw Photographer via Pexels

Ce n'est pas dans un cabinet médical qu'elle a compris pour la première fois qu'elle avait un «problème psychique». À 25 ans, Carolyne –aujourd'hui diagnostiquée par sa généraliste– souffre d'un trouble anxieux généralisé, ainsi que d'une dépression. Avant de consulter, la jeune femme a eu recours à l'autodiagnostic. Comprendre: «Le diagnostic de sa maladie, réelle ou supposée, effectué par le sujet lui-même en dehors d'un avis médical», d'après le dictionnaire Larousse. Bipolarité, dépression, autisme, stress post-traumatique... Des personnes en souffrance se diagnostiquent ainsi elles-mêmes des maladies mentales.

Un phénomène qui se retrouve de plus en plus sur TikTok, Instagram, Twitter ou encore Facebook, où chacun partage son expérience personnelle et ses conclusions –pas toujours exactes– à l'aide de hashtags: #ADHDAwarness, #bipolardisorder, #autismacceptance… Des pages de mèmes consacrées à certains troubles ont même éclos sur Instagram.

C'est donc seule derrière son écran que Carolyne a compris que ses ressentis n'étaient pas insignifiants. «J'ai principalement utilisé les réseaux sociaux pour mon autodiagnostic», raconte-t-elle. À ce moment-là, ses signes d'anxiété, présents dès l'école primaire, n'avaient pas encore donné lieu à un diagnostic médical. Elle avait pourtant bénéficié d'un suivi psychologique dans son enfance. «Ne pas pouvoir mettre de mots sur ce que je ressentais, ça me donnait l'impression que c'était futile. Je pensais être simplement faible, stressée ou triste.»

Mettre des mots sur des maux

Un sentiment d'illégitimité que la société renvoie souvent directement aux personnes atteintes de maladies mentales. Nassim, 30 ans, pense souffrir d'une dépression et d'un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). «On me prend pour un flemmard, déplore-t-il. On me dit: “Fais un effort, mets toi un coup de pied aux fesses.” Je me sens mal, je me réveille et je me couche avec la boule au ventre ou à la gorge, je souffre de pertes de motivation, j'ai des moments de “blocages”, où je ne peux juste rien faire.»

Grâce à des recherches sur internet, des tests en ligne, puis à des témoignages sur Instagram, Nassim a compris que quelque chose clochait. «Je reste prudent. Je ne dis pas que j'ai forcément un TDAH, mais je me questionne et ça y ressemble énormément.» Le fait de pouvoir s'identifier à des personnes souffrant des mêmes symptômes a été un soulagement. «À la fois, c'est angoissant de se dire: “C'est vraiment une maladie, il va falloir aller consulter.” Et à la fois, c'est rassurant d'être plus au fait de son état.»

Faute de moyens financiers pour consulter un psychologue, ce barman à temps partiel n'a pas encore fait la démarche. Mais c'est aussi parce que les blocages liés à son mal-être l'en empêchent.

Pour certaines personnes en souffrance, c'est le manque d'accessibilité aux soins qui est en cause. Il est plus facile de s'autodiagnostiquer que de remuer ciel et terre pour trouver le bon spécialiste en plein désert médical, comme le souligne Carolyne, qui vit en Haute-Loire: «Il est compliqué d'avoir des médecins disponibles et qui correspondent à ce que l'on cherche.»

«Par écran interposé, c'est plus facile de parler de problèmes psychiques et psychologiques, souvent perçus comme “honteux”. C'est très ancré dans notre société de ne pas en parler.»
Carolyne, 25 ans

La jeune femme a donc trouvé ses premiers éléments de réponse sur Facebook, grâce à un post sur un groupe consacré à la musique, il y a une dizaine d'années. «Il s'agissait d'une playlist pour lutter contre les crises d'angoisse. J'ai découvert dans les commentaires ce que c'était. J'ai mis les mots sur des choses que j'avais déjà ressenties et face auxquelles je ne savais pas comment réagir.» Ensuite, elle s'est informée et a trouvé des clés de compréhension pour son anxiété, grâce à des vidéos sur YouTube, des posts sur Facebook ou des tweets.

Libération de la parole

Pour Carolyne, l'anonymat possible sur les réseaux sociaux permet de libérer petit à petit la parole autour des questions de santé mentale. «Par écran interposé, c'est plus facile de parler de choses “honteuses”. Les problèmes psychiques et psychologiques sont souvent perçus ainsi. C'est très ancré dans notre société de ne pas en parler.»

Manon Beaudoin est présidente de l'AFTPB, l'Association française pour le trouble de la personnalité borderline, et psychologue spécialisée dans la prise en charge de ce trouble. Elle reconnaît l'intérêt des plateformes sociales, utilisées comme un outil, dans le parcours des malades. «C'est bien qu'on puisse avoir accès à des informations. Se reconnaître potentiellement dans un diagnostic permet ensuite d'aller voir un professionnel», souligne-t-elle.

La déstigmatisation de la santé mentale, que la spécialiste observe en France «depuis trois ou quatre ans», amène davantage de personnes autodiagnostiquées dans son cabinet. «On ressent l'impact des réseaux sociaux», affirme Manon Beaudoin.

«Beaucoup de personnes qui ont lu ce qu'est le trouble de la personnalité borderline s'identifient, mais ne le sont pas toujours. [...] Cela reste positif, car elles font la démarche de venir voir un professionnel.»
Manon Beaudoin, psychologue spécialisée dans la prise en charge du TPB

C'est précisément ce qui a conduit Carolyne chez le médecin: «Sans mon “autodiag”, je n'aurais pas consulté, je n'aurais pas su m'exprimer, j'aurais eu peur et j'aurais eu honte.» En arrivant chez sa généraliste, elle a fondu en larmes, avant de déballer tous ses symptômes. Tout en se gardant d'énoncer à haute voix son hypothèse. «Elle m'a effectivement dit que j'avais un trouble anxieux généralisé et une dépression. Elle m'a référé à une psychiatre. Je ne suis pas encore allée la voir, mais j'y compte bien.» Sa médecin lui a également prescrit un traitement: «On est déjà sur une amélioration, même si ce n'est pas parfait.»

Tous les autodiagnostics ne tombent pas forcément juste comme celui de Carolyne. «Je reçois beaucoup de personnes, notamment des jeunes, qui ont lu ce qu'est le trouble de la personnalité borderline. Ils s'identifient mais ne le sont pas toujours», explique Manon Beaudoin. Des erreurs fréquentes, donc, mais pas dérangeantes pour la psychologue. «Cela reste positif, parce qu'ils font la démarche de venir voir un professionnel. Quand on vient consulter, c'est qu'on est en souffrance.»

Une tendance sans «grand intérêt» et «négative»

De son côté, Thomas Cantaloup, psychiatre, ne voit pas l'autodiagnostic d'un bon œil. À l'échelle individuelle, il reconnaît qu'«on ne risque pas grand-chose à s'autodiagnostiquer». «On ne risque pas de s'automédiquer. On n'aura pas d'antidépresseurs ou d'antipsychotiques à la pharmacie sans prescription médicale», précise-t-il. Pour le médecin, c'est surtout l'utilité de la pratique qui est à questionner: «Ça n'a pas grand intérêt en terme thérapeutique, votre parcours de soin ne sera pas plus rapide avec un autodiagnostic. Pour obtenir un traitement, il faudra de toute façon un avis médical.»

«J'ai vu des Centres ressources autisme débordés par des consultations de jeunes qui pensent avoir des troubles autistiques, parce qu'un influenceur a balancé une liste de symptômes.»
Thomas Cantaloup, médecin psychiatre

Surtout, pour lui, «cette tendance à trop vouloir psychiatriser est négative» pour la société. Il affirme que «ça risque d'inquiéter une partie de la population qui ne se sentait auparavant pas concernée par la maladie mentale». Il craint également que «des gens qui souffrent vraiment de maladies psychiatriques sévères surestiment la gravité de leur problème de santé mentale».

Le psychiatre tire également la sonnette d'alarme quant aux demandes «pas du tout appropriées» qui peuvent découler de l'autodiagnostic. «J'ai vu des Centres ressources autisme [CRA, références régionales en matière d'autisme sur le territoire français depuis 2004, ndlr] débordés par des consultations de jeunes gens qui pensaient avoir des troubles autistiques, parce que tel ou tel influenceur a balancé une liste de symptômes», affirme-t-il.

La psychologue Manon Beaudoin met en garde contre les dérives des réseaux sociaux et d'internet en général: «Là où ça devient dangereux, c'est qu'on lit tout et n'importe quoi sur les diagnostics. On se retrouve face à une masse d'informations qui ne vont pas toujours dans le même sens.» Mieux vaut donc prendre garde aux personnes que l'on suit.

Sur Instagram, elle recommande des comptes de psychologues professionnelles comme @catherine_la_psy, @psycho_and_co ou encore @psynergy_delphinepy. Thomas Cantaloup va plus loin et estime que «le contenu à disposition sur les réseaux sociaux devrait être régulé». Son idée: faire en sorte que les professionnels de santé diplômés bénéficient d'un «marquage», pour «orienter davantage le citoyen vers des sources fiables, que ce soit pour la santé mentale ou la santé en générale».

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