En moins d'une semaine, on a quelque peu assisté à un chambardement bancaire, avec pas moins de trois faillites aux États-Unis, une altération lourde du bilan d'une importante banque européenne, des dizaines de milliards de dollars de dépôts qui ont fondu comme neige au soleil. Pourtant, tous les officiels avaient l'air de dire que rien ne pouvait se passer, que le système bancaire international était protégé et régulé. Que s'est-il alors passé? Une panique collective illogique?
Chutes en cascade
Tout a commencé le mercredi 8 mars avec la mise en liquidation de l'agence Silvergate, spécialiste dans la cryptomonnaie. Celle-ci a subi les foudres de la crise des monnaies alternatives, à la suite de la faillite de la plateforme FTX. Pris de panique, les déposants ont souhaité récupérer leurs mises en cédant une partie de leur épargne sous forme de cryptomonnaies. La valeur totale des dépôts est passée, en quelques semaines, de 13,2 milliards de dollars fin septembre 2022 à 6,3 milliards au 31 décembre.
Par effet domino, c'est ensuite la Silicon Valley Bank (SVB), spécialisée dans le financement des entreprises de la tech, qui a été emportée. Sa faillite a été annoncée après un vent de panique nettement plus rapide, qui a conduit la majorité des clients à récupérer leurs dépôts –42 milliards de dollars le jeudi 9 mars, en l'espace de seulement vingt-quatre heures– et à vendre leurs placements. La banque s'est retrouvée sans aucune liquidité et a été conduite à annoncer une mise en liquidation.
Dans le sillage de la SVB, c'est une autre banque, la Signature Bank qui s'est retrouvée dans l'œil du cyclone, victime de la panique collective. Malgré l'intervention de la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale états-unienne, chargée de garantir les dépôts, la faillite a été confirmée le dimanche 12 mars.
Dans le même temps, et côté européen, c'est au tour de la deuxième plus grande banque suisse d'être inquiétée, Crédit Suisse. Alors que l'ambiance collective et la confiance n'étaient pas au rendez-vous, Crédit Suisse a été victime d'une perte de foi, notamment après les déclarations du président de la Banque nationale d'Arabie saoudite (SNB), son principal actionnaire, précisant qu'il ne compterait pas recapitaliser la société en cas de défaillance. Son titre décote alors en Bourse, perdant 24% en une seule journée. La banque sera finalement sauvée in extremis, après un prêt de 100 milliards de francs suisses accordé par la Banque nationale suisse (BNS, la banque centrale du pays), puis un rachat par sa concurrente UBS.
Quelle est l'origine systémique de cette terrible semaine?
Globalement, on pourrait s'imaginer que tous ces éléments, mis bout à bout et arrivant au même moment, soient liés entre eux et se sont enchaînés par un effet de propagation propre à n'importe quelle crise économique. Ces faillites et soubresauts bancaires auraient un doux parfum de crise. Seulement, c'est un petit plus complexe et ça ne serait finalement que l'illustration d'une panique collective, déjà étudiée depuis longtemps par les économistes.
Selon l'économiste Éric Heyer, directeur du département «analyse et prévention» de l'OFCE, interrogé samedi 18 mars sur France Inter, le cœur du problème serait à la fois la remontée des taux d'intérêt, décidée à la fin de l'année 2022 pour lutter contre l'inflation, et la propagation d'une panique bancaire non maîtrisée du fait d'une trop faible régulation sur le sol nord-américain.
Premier élément, les taux d'intérêt. Avec les politiques monétaires non-conventionnelles de relance décidées en 2009, avec la baisse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Fed, parfois à des niveaux proches de 0% voire négatifs, la prise de risque a été altérée. Éric Heyer décrypte: «Le taux est un rendement, une mesure du risque. Si le taux est nul, la perception du risque est nulle et conduit à des investissements peu rémunérateurs, dangereux, incertains.» On va donc emprunter à des taux faibles pour financer des investissements à rendement faible.
Les clients préfèrent donc placer leurs billes ailleurs. Ce qui altère les bilans des banques, qui éprouvent alors d'importantes difficultés, pouvant aller jusqu'à la faillite.
Seulement, avec la remontée des taux, dans le but de lutter contre l'inflation galopante, une dichotomie s'installe entre la valeur des rendements, faible, et le coût élevé des remboursements de l'emprunt. Les déposants sont conduits ou incités à retirer leurs fonds des banques par désintérêts des placements peu rémunérateurs. Également au micro de France Inter, Patrick Artus, économiste à la banque Natixis, le rappelle: «Crédit Suisse a perdu 40% des dépôts de ses clients depuis 2022 [...], ce sont 130 milliards de francs suisses [130,8 milliards d'euros, ndlr] qui sont partis de la banque.»
Pour résumer, les clients ne sont donc plus intéressés par le faible rendement du dépôt et préfèrent placer leurs billes ailleurs. Ce qui altère durablement les bilans des banques, incapables de faire face à leurs créanciers ou à leurs clients, par une absence de réserve de liquidités nécessaires. Les établissements bancaires éprouvent alors d'importantes difficultés, pouvant aller, pour certaines, jusqu'à la faillite.
La faute à la panique bancaire… et aux réseaux sociaux
Rajoutez à cela une panique collective, par un effet de propagation, et vous vous retrouvez avec un cocktail explosif. Déjà, dans les années 1930, l'économiste anglais John Maynard Keynes mettait en garde contre les risques de méfiance collective, pouvant conduire à des prophéties autoréalisatrices. Selon lui, la perception conjoncturelle des agents était primordiale et un simple grain de sable dans les rouages de l'économie pouvait provoquer de terribles chambardements.
Il suffit de regarder ce qu'il s'est passé depuis les faillites de Silvergate, Silicon Valley Bank et Signature Bank. Tout le monde a paniqué, sans qu'il y ait un réel problème de solvabilité. C'est même un effet qui a été renforcé par les réseaux sociaux, par Twitter notamment, avec une multiplication insensée des tweets sur la probable faillite, sur une altération artificielle des risques systémiques.
The SVB thing is exacerbated by the fact that such a huge chunk of their users are on Twitter all day. Amplifies the panic in a way that hasn’t really happened historically, and would be unlikely to happen if they served a less thinkboi segment.
— Jay Ganatra (@JayRGanatra) March 9, 2023
Par une simple perception du risque altérée, les déposants ont souhaité retirer leur argent, vendre leurs titres, se débarrasser de leurs placements.
Run on the bank! 🏃🏻♀️
— Kim Dotcom (@KimDotcom) March 12, 2023
Get your money out.
First thing on Monday.
US banks are in trouble.
FED emergency meeting.
Deposits may get locked.
Possible withdrawal limits.
When markets collapse your bank deposits that US banks use to invest may be in danger. Cash is king. Get out now!
D'après la presse américaine, nous avons peut-être assisté à «la première panique bancaire créée par les réseaux sociaux» («the first Twitter fueled bank run»), en reprenant ces propos tenus par Patrick McHenry, représentant Républicain et président de la commission sur les services financiers de la Chambre des représentants.
#NEW: Chairman @PatrickMcHenry on recent regulatory actions regarding Silicon Valley Bank:
— Financial Services GOP (@FinancialCmte) March 13, 2023
“I have confidence in our financial regulators and the protections already in place to ensure the safety and soundness of our financial system.”
👇 Read more 🔗 https://t.co/EoF3Jm8691 pic.twitter.com/TllLdTHPTX
Les banques, pas assez armées et sans suffisamment de liquidités, n'ont pu que fermer leurs portes, sans solution de secours. Les experts suggèrent qu'à l'ère des réseaux sociaux, le comportement psychologique derrière une panique bancaire –la peur massive des déposants de perdre leur épargne– peut être amplifié, et ainsi devenir viral plus rapidement que la réponse des régulateurs bancaires.
C'est d'ailleurs ce que veulent à tout prix éviter les autorités européennes. En France, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire n'arrête pas de répéter qu'il n'y a «pas d'alerte spécifique», «pas risque de contagion», que «les banques (françaises) sont solides» et ne risquent rien, que «notre système bancaire est [également] solide», que les dépôts sont assurés, que les clients n'ont pas à s'inquiéter. Invitant même les investisseurs à «se calmer».
Tout est psychologique ici. La panique bancaire n'a aucun fondement, si ce n'est la perception que nous nous faisons de la réalité. Si nous nous imaginons que la faillite couve, nous allons nous ruer sur nos dépôts, inquiets qu'ils perdent de la valeur. Et effectivement, la prophétie se réalise: les banques font faillite et la crise arrive.
À l'inverse, si malgré les soubresauts, on maintient notre confiance dans les organismes financiers, les dépôts sont maintenus et la crise n'apparaît pas. Qu'il y ait ou non un réel problème structurel. Tout n'est qu'une histoire de confiance, comme l'avait rappelé Keynes à son époque. Ce qui compte, finalement, c'est juste d'avoir confiance.