Société

Répondre à la violence du 49.3 par la violence de la rue serait une faute morale majeure

Temps de lecture : 4 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Être en désaccord avec la réforme des retraites n'est en rien un bon pour laisser la violence s'installer à travers le pays.

Ne jamais rien céder à la violence. | Koshu Kunii via Unsplash
Ne jamais rien céder à la violence. | Koshu Kunii via Unsplash

Il y aura comme il y a déjà eu la semaine passée des Abribus qui voleront en éclat. Des poubelles incendiées. Des vitrines défoncées. Des murs défigurés. Des dégradations en tout genre. Le quotidien d'une violence qui en France semble être devenue la norme. Comme si cela allait de soi. Comme s'il n'existait aucun autre moyen pour se faire entendre. Comme si la violence demeurait la seule et unique réponse à ce qu'on considère à tort ou à raison comme une réforme inique.

Pour ne pas avoir à le répéter dans les semaines à venir, la violence n'est jamais la solution. La violence ne résout rien, elle ajoute du désordre à la confusion, de la confusion à une situation qui n'en manque pas déjà. Elle exacerbe inutilement les passions, jette le discrédit sur la nature de la cause défendue, fragilise la démocratie au point de l'amener à vaciller. Elle se prétend légitime là où elle n'est que subversion destinée à renverser l'ordre établi, à défaire dans la rue ce que le Parlement, dans la stricte limite de ses attributions, a accompli.

Non pas qu'il faille absolument souscrire à cette réforme, mais d'imaginer un seul instant qu'à la violence supposée du 49.3 doit répondre la violence de la rue est non seulement un leurre mais une faute morale, un rapiècement de l'idée qu'on puisse se faire la République en général. Détruire du mobilier urbain n'a jamais servi à rien si ce n'est à donner au pouvoir en place l'occasion de substituer à la question sociale celle du maintien de l'ordre et de ses enjeux.

Pourtant, en France du moins, la violence a bonne presse. On lui trouve mille excuses, un vrai charme, un lointain ressouvenir de la période révolutionnaire, l'incarnation d'un certain génie français, d'une gaillardise tout gauloise; une sorte d'aura qui serait celle d'un peuple rebelle par nature. Mais qu'est-ce qu'une rébellion quand elle se destine à semer le désordre, à piétiner les fondements même de la démocratie sinon une sorte de coup d'état prétendument populaire?

Chanter La Marseillaise dans l'hémicycle, y brandir des pancartes, huer la Première ministre comme si l'Assemblée nationale était un amphithéâtre d'université, n'a d'autre visée que de décrédibiliser la parole publique pour mieux asseoir la légitimité de la rue, laquelle par je ne sais quelle onction républicaine, serait toujours animée des meilleures intentions. À d'autres!

La gauche qui vitupère, qui caquète, qui se perd en insultes et vociférations n'est pas la gauche, elle n'est que l'exaltation d'une poignée de militants, un regroupement d'adolescents attardés pour qui la victoire finale ne peut être affaire de compromis ou de consensus mais de défaite en rase campagne, d'un absolutisme du désordre prélude au triomphe de ses idées. Ici, l'aboiement sert de raisonnement, l'outrance de règles communes. On ne se donne même pas la peine de débattre, on verse dans la caricature tous azimuts, dans cette apoplexie ordurière du langage qui est toujours la marque des sots et des incrédules. Et on donne son absolution à la violence dans la mesure où elle découlerait d'une violence qui par essence serait par mille fois plus brutale, celle de l'État et de ses attributs.

La presse, notamment la presse écrite, n'est pas en reste. Quoi de plus sidérant que d'assister désormais à ces grandes messes médiatiques où, à la une de nos journaux les plus sérieux, on se fait fort de relayer en temps réel les secousses qui traversent le pays? Comme dans un multiplexe où l'on suit but après but l'évolution d'une journée de championnat de football, voilà qu'on recense ici la destruction d'un autobus, là la mise à sac d'un magasin, plus tard encore, la charge des manifestants, la riposte des forces de l'ordre, toute la panoplie des violences urbaines dont on tient le décompte comme s'il s'agissait d'un concours de vertus.

La France est devenue prisonnière de sa violence. On a l'impression que sans elle, sans ses excès, sans sa dramaturgie imbécile, la fête ne serait pas totale. Il manquerait quelque chose, un soupçon de grandiose, de tellurique, de quoi laisser sa marque dans l'histoire. Et tant pis pour les riverains qui découvrent abasourdis, une fois le calme revenu, le spectacle d'une rue transformée en champ de bataille.

On pourra toujours prétendre que le gouvernement, par la méthode choisie, son obstination, son inflexibilité, aura permis à la violence de s'exprimer. Qu'il en est unique responsable. Ce serait ne rien entendre au fonctionnement de nos institutions. Que ces dernières soient désuètes ou dépassées est un autre débat mais elles sont là avant tout pour garantir la continuité de la République face aux périls qui la menacent. Elles sont le rempart devant les extrémismes qui des deux côtés de l'échiquier, en parfaits frères ennemis mais néanmoins siamois, aiguisent leurs couteaux –sans loi, il n'y a plus de loi qui vaille.

On peut parfaitement trouver à redire à cette réforme, on peut la rejeter en bloc, on peut –on doit?– s'y opposer avec la plus grande des véhémences mais cette désapprobation ne peut être prise comme prétexte pour régler ses différends avec le pouvoir en place. Elle doit demeurer dans le strict champ de manifestations pacifiques qui, plus elles seront nombreuses et joyeuses, plus elles seront à même de faire reculer son application.

Il n'y a rien de plus fort, de plus imposant qu'un cortège infini de manifestants qui défilent dans le calme. Ce sont des processions laïques qui clament leur désaccord tout en demeurant fidèles à des principes bien établis, de ceux qui forgent les consciences nationales: le respect des institutions, le rejet de toute violence, et surtout, la foi en la démocratie, dans le vote qui demeure au fond la seule sanction à la hauteur de son indignation.

La seule.

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