Politique

Derrière la motion de censure, une nécessaire réflexion sur les institutions

Temps de lecture : 4 min

Le gouvernement est sauf (pour l'instant), mais l'impasse demeure.

Un important dispositif antiémeute est déployé pour empêcher les manifestants d'accéder à l'Assemblée nationale, le 17 mars 2023, à Paris. | Amaury Cornu / Hans Lucas / AFP
Un important dispositif antiémeute est déployé pour empêcher les manifestants d'accéder à l'Assemblée nationale, le 17 mars 2023, à Paris. | Amaury Cornu / Hans Lucas / AFP

Qui se souvient encore du slogan d'Emmanuel Macron en 2022? «Avec vous». C'était il y a moins d'un an. Depuis, un par un, les événements sont venus démentir cette promesse. Jusqu'à la motion de censure transpartisane, qui a failli, à quelques voix près, congédier le gouvernement. Pour la première fois depuis 1962.

«Avec vous», oui, mais avec qui? Assurément, pas «avec» les syndicats, dont l'unanimité contre la réforme des retraites est restée intacte. Pas non plus «avec» la droite, qui n'a pas su soutenir d'un bloc la mesure dont elle rêvait pourtant depuis des lustres. Pas non plus «avec» les Français, massivement et constamment opposés au projet gouvernemental, selon les enquêtes d'opinion.

En ce printemps 2023, les promesses d'une «nouvelle méthode» macronienne, plus horizontale, plus à l'écoute, semblent déjà appartenir aux archives de l'INA.

Mais en politique, si les paroles s'envolent, les institutions restent. Or, la crise actuelle fragilise aussi ces dernières.

Le pire de la IVe et de la Ve

En quelques semaines, nous avons vu un exécutif nerveux utiliser une procédure parlementaire expresse, puis dégainer le vote bloqué au Sénat, avant de déclencher l'article 49.3. Bref, le pire de la Ve République.

Mais en quelques semaines, nous avons aussi assisté à de pitoyables esclandres parlementaires, des marchandages, des combinazione entre partis pour faire tomber le gouvernement. Bref, le pire de la IVe République.

En un mot, la période a offert les défauts du présidentialisme à outrance et les défauts du parlementarisme dévoyé. Qui, parmi nos responsables politiques, peut aujourd'hui s'en déclarer vainqueur? Personne. La plupart des analystes estiment que l'impasse dans laquelle nous nous trouvons profitera d'abord au Rassemblement national.

Pourtant, si les Français réclament plus de social et moins de verticalité à la sauce Ve République, cela devrait ouvrir un boulevard à La France insoumise. LFI promet le retour de la retraite à 60 ans et promeut une VIe République parlementaire. Or, si l'on voit l'impasse de Macron, on peine à distinguer le boulevard de Mélenchon.

À moins que l'agressivité manifestée dans l'hémicycle par de nombreux députés LFI aient pour effet de crédibiliser, par contraste, le RN? Si tel est le cas, les partisans de Jean-Luc Mélenchon n'échapperont pas à une remise en question.

Les proches d'Emmanuel Macron non plus. Certes, au commencement de la crise actuelle, il y a une audace. Soulignons-le: sous la République actuelle, jamais une réforme des retraites n'avait été menée avec une majorité relative.

Balladur, Fillon, Ayrault… Tous disposaient de la majorité absolue, ce qui rend l'exercice beaucoup moins périlleux –même si les cortèges n'en sont pas moins fournis.

En ignorant la prudence élémentaire, Emmanuel Macron a bloqué son deuxième quinquennat. Sous le regard interloqué de la presse étrangère: «Si la démocratie française était dans un état plus sain, la réforme des retraites aurait déjà été abandonnée», note un éditorialiste du quotidien britannique The Guardian.

Quelles solutions pour en sortir?

Jusqu'ici, le président a négligé une bonne partie des cartes que la Constitution lui place dans les mains: dissolution, référendum… Il a préféré sortir de sa manche des «jokers» de sa conception: «grand débat national», «convention citoyenne». Une série d'artifices qui a apaisé les tensions, et même permis quelques menues avancées sur le fond. Mais qui a surtout remis à plus tard la «grande explication». La voici sous nos yeux?

Soulignons cette aberration, à laquelle nos rétines sont en train de s'habituer: ces jours-ci, l'Assemblée nationale vote sous protection policière. La mairie du IVe arrondissement à Lyon a été vandalisée, les sous-préfectures de Sarlat (Dordogne) et Die (Drôme) ont été visées par des incendies. Des députés sont menacés, des permanences prises pour cibles. Aujourd'hui celle de Les Républicains, hier celles d'autres partis, demain celles de quiconque exprimera une position jugée insupportable par les adeptes de la menace par pavé interposé. Ajoutons à cela les brutalités policières, les nasses, qui assomment ces dernières heures les cortèges non déclarés.

La dernière enquête du Cevipof ne dépeint pas autre chose: 72% des Français n'ont pas confiance dans le gouvernement. 69% n'ont pas confiance dans l'Assemblée nationale. 68% n'ont pas confiance dans l'institution présidentielle. 65% n'ont pas confiance dans le Sénat. Tous ces chiffres sont en forte hausse depuis un an.

Dès lors, le débat sur les institutions ne pourra plus être évité en 2027. Il va même s'engager une première fois ces prochains mois, puisqu'Emmanuel Macron veut les réformer. Mais au vu du contexte actuel, l'espoir d'atteindre un consensus est aussi réaliste que d'attendre un mea culpa chez Donald Trump.

Attention, néanmoins, aux fausses évidences et à la méthode Coué. Une VIe République, avec le pouvoir à l'Assemblée nationale, serait-ce la solution miracle?

Aujourd'hui, si un tel régime existait, quel serait le résultat? Avec la tripartition de l'offre politique (macronistes / Nupes / RN), aucune majorité ne se dégagerait pour gouverner.

Au vu du rapport de force, l'attelage le plus probable pourrait être une coalition centre-droite-extrême droite. Un scénario qui semble d'abord relever de la science-fiction… mais qui n'a rien d'imaginaire. Il est même à l'œuvre actuellement dans plusieurs pays européens. En Italie, la presse parle d'ailleurs d'un gouvernement «centro-destra» (centre-droit), avec à sa tête Giorgia Meloni, qui fut admiratrice de Mussolini. Et en Suède, où le gouvernement conservateur-libéral est soutenu par le parti nationaliste Les Démocrates de Suède.

Une réalité à ne pas occulter avant de commencer à rédiger l'épitaphe de la Ve République.

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