Crise financière... Tout de suite les grands mots!
Quelques banques américaines font faillite, une banque suisse déjà en difficulté depuis plusieurs années trébuche, et l'on agite le spectre d'une crise financière mondiale! Ces événements doivent certes être pris au sérieux, mais ils n'auraient pas créé autant d'émotion, si les financiers n'avaient pas auparavant péché par un incroyable excès d'optimisme.
Tous les économistes un peu sérieux le répètent sur toutes les radios et les chaînes d'actualité depuis quelques jours: les Français n'ont pas à craindre pour l'argent qu'ils ont déposé à la banque, le système bancaire français est solide. Évidemment, les déclarations de ce genre laissent toujours un peu sceptique. Avant toutes les catastrophes économiques et financières, il y a toujours des gens très sérieux qui viennent vous dire que vous ne risquez rien, que les craquements que vous pouvez entendre ici ou là ne mettent pas en péril votre sécurité et que la situation est sous contrôle. Et dans la crise de confiance que nous traversons, la parole des dirigeants et des experts est systématiquement remise en cause.
Pourtant, si l'on analyse les faits qui se sont produits ces derniers jours aux États-Unis et en Suisse, on a quelques bonnes raisons de penser que le discours officiel repose sur des bases solides. Les difficultés rencontrées par plusieurs établissements ne sont pas à ignorer, mais les mesures nécessaires ont été prises et les risques de contagion à notre système bancaire sont extrêmement faibles.
L'hiver des cryptomonnaies est toujours en cours
Première victime, dont on parle peu car elle est déjà oubliée: Silvergate. La Silvergate Bank est née en 1988 à La Jolla, quartier résidentiel très agréable de San Diego (Californie), au bord du Pacifique. Pendant longtemps, elle s'est surtout consacrée au crédit immobilier. Puis, en 2013, ses dirigeants ont eu l'idée de s'intéresser aux cryptomonnaies et particulièrement au bitcoin.
Cette initiative lui a fort bien réussi, au point que la banque a pu s'introduire en Bourse en 2019. Son système de paiement en temps réel, Silvergate Exchange Network (SEN), qui permettait aux plateformes spécialisées dans les cryptomonnaies de réaliser des échanges de devises entre elles, a été un grand succès. Le revers de la médaille était sa dépendance à la santé de l'univers des cryptomonnaies. La chute de FTX en novembre 2022 lui a été fatale.
De 12 milliards de dollars (près de 11,2 milliards d'euros) au troisième trimestre 2022 –le montant de ses dépôts avait commencé à reculer avant même le déclenchement de l'affaire FTX–, il est tombé à 3,8 milliards en décembre. Début mars, la banque a dû admettre de graves problèmes, ce qui a provoqué la fuite immédiate des plus gros clients qui restaient. Le vendredi 3 mars, elle a suspendu le fonctionnement de son système SEN. Et le mercredi 8 mars, elle a annoncé qu'elle allait arrêter son activité; son cours de bourse, qui atteignait jusqu'à 160 dollars fin avril 2022, est tombé à 2,05 dollars le 17 mars.
Cette défaillance a marqué les esprits, mais elle n'a aucun caractère systémique –terme que l'on emploie pour désigner un événement de nature à ébranler l'ensemble du système financier. Depuis la terrible chute du bitcoin au printemps 2022, on parle de l'hiver des cryptos. Le printemps, plusieurs fois annoncé, n'a pas encore réussi à s'installer. La valeur de l'ensemble des cryptomonnaies est revenue autour de 1.000 milliards de dollars, mais elle avait un moment frôlé les 3.000 milliards et on pouvait craindre que des sinistres dans ce domaine ne se répercutent sur l'ensemble du système financier.
La question d'un risque systémique ne se pose plus actuellement, mais il faudrait éviter que le problème ne se pose de nouveau à l'avenir, si les cryptos trouvent un nouveau souffle. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, il n'est question que de la régulation de ce secteur et les autorités américaines déconseillent aux banques classiques d'entrer sur ce marché.
La Silicon Valley Bank déraille
La défaillance de la Silicon Valley Bank (SVB) n'est pas directement liée à celle de Silvergate, mais les deux banques ont un point commun. Elles sont toutes les deux californiennes (la SVB a son siège à Santa Clara, dans la baie de San Francisco, au cœur de la Silicon Valley) et interviennent l'une comme l'autre dans l'univers de la nouvelle économie. La SVB est la banque des créateurs de start-up, ce qui a fait sa force –avec le développement des nouvelles technologies, elle était devenue la seizième banque américaine–, mais aussi sa faiblesse: sa clientèle est très concentrée, géographiquement et sectoriellement.
Ces start-up qui ont réussi à attirer l'intérêt des investisseurs ont amassé de grandes quantités de capitaux, qu'elles ont déposés chez elle. Mais avec la remontée des taux d'intérêt, le marché des capitaux est devenu plus difficile: au lieu d'en attirer de nouveaux, ces entreprises ont consommé ceux qu'elles avaient précédemment accumulés. La SVB s'est trouvée à court de liquidités pour faire face à ces retraits. Elle dû vendre à perte des obligations du Trésor et des titres adossés à des crédits hypothécaires, dont la valeur avait reculé du fait de la hausse des taux.
Jeudi 9 mars, la banque a lancé une augmentation de capital de 2,2 milliards de dollars. Loin de rassurer ses clients, cette annonce a déclenché un vent de panique: ce sont 42 milliards de dollars qu'ils ont voulu retirer ce jour-là. Dès lors, le sort de la SVB était scellé. Le vendredi 10 mars, sa fermeture a été décidée et sa gestion a été reprise par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), qui garantit les dépôts à hauteur de 250.000 dollars.
Mais pour la clientèle d'entreprises de la SVB, ce montant est faible. Les pertes encourues risquaient d'être considérables et d'entraîner des défaillances en série. Dès le dimanche 12 mars, le département du Trésor, la Réserve fédérale et la FDIC ont publié un communiqué commun affirmant que les clients pourraient récupérer l'intégralité de leurs dépôts. Lundi matin, le président Joe Biden lui-même est intervenu pour rassurer directement les Américains et leur garantir qu'ils pourraient avoir accès à leur argent «quand [ils] en [auraient] besoin».
Signature Bank chute aussi
Cette intervention en urgence des plus hautes autorités fédérales s'imposait. Ce même dimanche 12 mars, les Américains apprenaient en effet qu'un autre établissement, Signature Bank, vingt-et-unième banque américaine par le montant de ses actifs, venait aussi de passer (partiellement) sous le contrôle de la FDIC. Le communiqué commun publié ce 12 mars précisait que les clients de Signature Bank pourraient eux aussi avoir accès à l'intégralité de leurs dépôts.
Dans le petit monde des cryptos, certains croient voir dans la fermeture de Signature Bank une action destinée à porter un nouveau coup à l'industrie des cryptomonnaies.
Cette banque new-yorkaise, qui a été longtemps celle de la famille Trump (Ivanka, la fille du futur président des États-Unis, avait même été nommée en 2011 à son conseil d'administration), n'avait pas que l'immobilier comme terrain d'action. Depuis quelques années, elle s'était tournée vers les cryptomonnaies. Dans la semaine qui a précédé sa fermeture, elle avait récupéré beaucoup de clients qui fuyaient la Silicon Valley Bank…
Cette opération de sauvetage des clients de Signature Bank pose d'ailleurs beaucoup de questions: aucun signe précurseur n'avait été observé. Selon l'agence Bloomberg, la banque faisait l'objet d'une enquête pour blanchiment d'argent. Dans le petit monde des cryptos, certains croient voir dans sa fermeture une action destinée à porter un nouveau coup à l'industrie des cryptomonnaies.
Les grandes banques au secours de First Republic Bank
Pour clore au moins provisoirement ce chapitre des turbulences dans le système bancaire américain, un nouveau communiqué commun des autorités monétaires et bancaires états-uniennes a été publié jeudi 16 mars, pour révéler que onze banques étaient venues apporter pour 30 milliards de dollars de liquidités à First Republic Bank. Encore à plus de 120 dollars à l'ouverture du marché le 7 mars, le cours de la banque de San Francisco était tombé à moins de 20 dollars dans la journée du 16; deux agences de notation, Fitch et S&P Global, ont abaissé leurs notes attribuées à First Republic Bank en soulignant qu'elle avait beaucoup de dépôts non assurés et que les déposants concernés était susceptibles de vouloir changer très rapidement de banque.
L'aide de JPMorgan Chase, Citigroup, Goldman Sachs, Morgan Stanley et autres sera-t-elle suffisante pour rassurer les clients de la banque californienne, comme l'espèrent les autorités? Si on peut remarquer qu'elle a permis à son cours de remonter à 23,03 dollars en clôture le vendredi 17, l'action de First Republic, qui avait déjà perdu 80% de sa valeur en huit séances, reculait encore de 15,7% dans les premiers échanges de la séance officielle, lundi 20 mars.
Le podcast New Deal – Comment la faillite de la Silicon Valley Bank sème la panique sur les marchés
En Europe, aujourd'hui, la seule véritable interrogation ne porte que sur le Crédit Suisse. Mais il s'agit là d'un vieux dossier. Le cours boursier de la banque helvétique n'est qu'une longue dégringolade depuis le sommet atteint en 2007 à plus de 80 francs suisses (CHF), tout juste marquée par quelques tentatives de rebond. Fin février, avant que ne commence le feuilleton bancaire américain, il n'était déjà plus qu'à 2,85 CHF.
À la clôture de la Bourse de Zurich, le mercredi 15 mars, il était à moins de 1,70 CHF. La Banque nationale suisse (BNS) et l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) ont alors publié un communiqué, dans lequel elles affirmaient que la Suisse n'était pas du tout dans la même situation que les États-Unis, qu'il n'y avait pas de risque de contagion, que le Crédit Suisse satisfaisait à toutes les exigences en matière de fonds propres et de liquidités et, que en cas de besoin, des liquidités seraient mises à sa disposition. De fait, quelques heures plus tard, on apprenait qu'il pourrait disposer de 50 milliards de francs suisses (soit à peu près autant d'euros).
Le Crédit Suisse racheté, les cours indéniablement à la baisse
Ces annonces ont permis une remontée du cours en bourse du Crédit Suisse le jeudi 16 mars jusqu'à 2,02 CHF. Mais le vendredi, une nouvelle baisse le ramenait à 1,86 CHF. Des informations ont alors commencé à circuler selon lesquelles la banque centrale faisait pression sur UBS, l'autre grande banque suisse, en bonne santé, elle, pour qu'elle prenne le contrôle du Crédit Suisse. Comme on peut le supposer, les dirigeants d'UBS n'ont pas manifesté un enthousiasme débordant et leurs premières propositions de prix n'étaient guère généreuses.
Les banques qui ont su se couvrir contre les risques de dépréciation des emprunts à taux fixes qu'elles ont achetés ne courent aucun risque. La SVB ne l'avait pas fait; elle en paie le prix maintenant.
Dimanche 19 mars, un accord a toutefois pu être trouvé sur une reprise par UBS pour un montant modeste de 3 milliards de francs suisses, sachant que le gouvernement apporterait de son côté une garantie de 9 milliards. Et, pour assurer le retour au calme, six grandes banques centrales –la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d'Angleterre, la Banque nationale suisse, la Banque du Japon et la Banque du Canada– ont annoncé, dans la foulée, une coopération renforcée pour assurer le bon fonctionnement des échanges de devises.
Il n'est pas certain que toutes ces mesures suffisent à rassurer les investisseurs. Ces péripéties bancaires ont en effet fortement pesé sur l'ensemble des marchés financiers. Au cours de la semaine du 13 au 17 mars, la Société générale a perdu 17% et la BNP 14%. Pourtant, elles ne rencontrent aucune difficulté particulière et la dernière citée, qui est aujourd'hui la première banque européenne, a même terminé 2022 –année marquée par la remontée des taux d'intérêt dans la zone euro– avec un bénéfice net record de plus de 10 milliards d'euros.
C'est encore la faute de Trump...
D'une façon générale, on constate que les grandes banques américaines et européennes ne rencontrent aucun problème. Il est vrai que la hausse des taux d'intérêt est une période sensible. Mais les banques qui ont su se couvrir contre les risques de dépréciation des emprunts à taux fixes qu'elles ont achetés ne courent aucun risque. La SVB ne l'avait pas fait; elle en paie le prix maintenant.
Il faut rappeler à ce propos que cette banque californienne ne serait certainement pas en faillite aujourd'hui, si Donald Trump n'avait pas fait relever de 50 milliards de dollars à 250 milliards le montant des actifs à partir duquel les banques passent sous la surveillance de la Réserve fédérale. Le nombre d'établissements contrôlés directement par la banque centrale états-unienne est ainsi passé de 38 à 12. Et ce n'est pas parmi ces douze-là que l'on trouve les banques qui ont aujourd'hui des difficultés…
Quant au risque de contagion entre les États-Unis et l'Europe, on voit mal par quel canal cette contagion pourrait se faire. En 2008, des titres financiers complexes, dont on avait alors mal mesuré le caractère toxique, avaient essaimé depuis les États-Unis dans les portefeuilles de tous les établissements financiers du monde. Ce n'est pas le cas aujourd'hui et les règles prudentielles ont été nettement renforcées, surtout de ce côté-ci de l'Atlantique.
Un accident n'est jamais à exclure, mais les éléments dont on peut disposer à l'heure actuelle ne permettent pas de conclure à la survenue d'une crise financière en Europe. Dans les périodes agitées, les entreprises jugées à risque sont rapidement emportées dans la tourmente. Cela a été le cas du Crédit Suisse, mais la réaction a été rapide et, normalement, la crise ne devrait pas aller plus loin sur notre continent.
Les financiers ont été trop rapidement optimistes
Pourquoi alors toutes ces inquiétudes? Parce que le monde financier, conformément à ses habitudes, n'a pas voulu voir la réalité en face. À la fin de l'année dernière, alors que les banques centrales de la plupart des pays développés étaient entrées dans une phase de hausse rapide des taux d'intérêt, les économistes évoquaient des risques de récession.
Cela n'avait pas empêché les marchés boursiers mondiaux de commencer à anticiper la phase suivante et de remonter très vite. Au début de l'année 2023, on a vu la Chine mettre un terme à sa politique de zéro Covid et travailler à la relance de son économie. Les risques de récession se sont éloignés et les marchés boursiers ont encore connu une nouvelle période de hausse, avec de nouveaux records à Paris et à Londres.
Pourtant, ainsi que l'ont rappelé lundi 20 mars le secrétaire général et le chef économiste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la reprise actuelle est fragile. La guerre en Ukraine n'est pas finie et, même si les prix de l'énergie ont nettement reculé, ils restent élevés. La lutte contre l'inflation reste «l'enjeu numéro un» et les banques centrales doivent continuer à relever leurs taux directeurs. Or, ces phases de hausse des taux ne sont pas indolores.
Même si les banques européennes y sont préparées (celles des pays où l'on pratique plus qu'en France le crédit à taux variable voient même leurs recettes progresser fortement) et ne sont pas directement menacées, des problèmes risquent de surgir dans d'autres secteurs de l'économie. On voit, par exemple, que le coût plus élevé du crédit immobilier a des effets rapides. Ainsi, en France, selon la Fédération des promoteurs immobiliers, les ventes de logements neufs ont chuté de 40% au dernier trimestre 2022.
Des taux d'intérêt qui montent, et montent, et montent...
En criant au loup, beaucoup de financiers espèrent que les banques centrales vont arrêter de durcir leur politique monétaire et que la hausse des marchés va pouvoir reprendre. Mais jeudi 16 mars, la BCE, en pleine tempête sur les valeurs bancaires, n'a pas hésité à relever ses taux directeurs de 50 points de base. Et il est fort probable que la Réserve fédérale relève encore les siens de 25 points de base mercredi.
Pour la suite, tout dépendra de l'évolution des chiffres de l'inflation, mais il n'est pas sûr que la baisse soit aussi rapide que le souhaiteraient les autorités monétaires. Ainsi, pour la France, l'Insee prévoit une hausse des prix à la consommation qui atteindrait encore 5,4% à la fin du premier semestre (hors alimentation), tandis que la croissance du PIB resterait modeste: 0,1% au premier trimestre, 0,2% au deuxième.
Dans ce contexte toujours difficile, de mauvaises nouvelles peuvent encore venir perturber les marchés s'ils sont tentés de reprendre trop tôt leur marche en avant.