Sulfureuse il y a encore quelques années, la consommation de cannabidiol (CBD) s'est largement imposée dans les esprits et les pratiques des Français. Selon un sondage IFOP réalisé en juin 2022, ils sont 65% à en avoir déjà entendu parler. Et parmi eux, 17% en font usage de manière ponctuelle ou plus régulière, afin d'apaiser le stress et l'anxiété, améliorer le sommeil et/ou soulager des douleurs chroniques.
Malgré le prix souvent élevé des produits et une efficacité qui peine à être démontrée, le marché se porte bien avec une estimation de croissance annuelle de +21,2% entre 2021 et 2028. Du supermarché à la pharmacie, de la boutique spécialisée à la vente sur internet, il est impossible de passer à côté de cette tendance lourde. Et il est particulièrement aisé de se procurer des produits à base de CBD sous de multiples formes: fleurs, huiles, gommes, infusions et même chocolats.
«Un mélange complexe de multiples composés»
Parmi ces différents produits, l'huile de CBD représenterait près de 50% des ventes à l'échelle mondiale. «Cette forme est privilégiée par les personnes plus âgées qui souffrent d'anxiété, de troubles du sommeil ou de douleurs», explique le Pr Nicolas Authier, médecin psychiatre, chef des services de pharmacologie médicale et de médecine de la douleur du CHU de Clermont-Ferrand, directeur de l'Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA) et auteur de Le petit livre du CBD.
Mais face aux promesses du secteur, à l'explosion de l'offre et à un bouche-à-oreille souvent positif, les consommateurs français d'huile de CBD sont aujourd'hui pour la plupart dans une sorte de lune de miel avec ce produit. «En France, nous sommes encore dans une phase d'immaturité», témoigne Faten Saleh, fondatrice de Hummies, une marque française de chanvre bien-être. «Les consommateurs n'ont pas encore les bonnes grilles de lecture et les bons référentiels pour faire leur choix. Et ils ont tendance à manquer de vigilance quant à la traçabilité de leurs huiles», ajoute-t-elle.
«Même les vendeurs ne savent pas toujours exactement ce qu'ils commercialisent ou alors ils simplifient beaucoup leurs explications. En réalité, ces huiles sont une sorte de soupe, un mélange complexe de multiples composés», complète Nicolas Authier.
«Le choix de l'huile végétale utilisée dépend de chaque marque. Certaines utilisent de l'huile de chanvre, d'autres optent pour de l'huile de coco. Personnellement, j'ai préféré l'huile d'olive.»
Alors, que contiennent exactement les petites fioles? Tout d'abord, qui dit huile de CBD, dit huile. Mais on devrait sans doute dire huile au CBD. En effet, elles sont fabriquées par extraction de molécules issues de la plante de cannabis (le chanvre), qui sont ensuite diluées dans une huile végétale. Pourquoi de l'huile? Simplement parce que le CBD est ce qu'on appelle lipophile, c'est-à-dire qu'il ne se mélange pas à l'eau et qu'il a besoin d'une matrice, le corps gras dans lequel il est dissout, pour être assimilé par l'organisme.
Lors de l'usage, une ou quelques gouttes de cette huile sont prélevées du flacon et déposées directement dans la bouche pour être avalées. Il est parfois recommandé de la conserver quelques minutes sous la langue (usage sublingual, un peu comme les comprimés orodispersibles du médicament antispasmodique Spasfon lyoc), afin de potentialiser les effets et les rendre plus rapides. Mais pour Nicolas Authier, cela relève davantage du folklore que d'autre chose.
Cette matrice grasse est donc une huile végétale: huile d'olive, de coco ou de chanvre –cette dernière, désormais utilisée en cuisine, ne contient pas de CBD. «Le choix de l'huile végétale utilisée dépend de chaque marque, souligne Faten Saleh. Certaines décident d'utiliser de l'huile de chanvre, de manière à avoir une forme de cohérence. D'autres optent pour de l'huile de coco qui a un goût neutre. Pour Hummies, j'ai préféré l'huile d'olive qui a le mérite de pouvoir se conserver longtemps et qui correspond à mes aspirations en matière de provenance.»
On retrouve d'autres phytocannabinoïdes que le CBD
Notre huile contient ainsi du CBD en quantité variable. «Il est fréquent que la concentration proclamée ne corresponde pas à ce qu'il y a exactement dans le produit vendu», prévient Faten Saleh. Elle note qu'aux États-Unis, ce sont près de 50% des vendeurs qui affichent des concentrations surévaluées. L'huile contient également d'autres substances initialement présentes dans la plante. D'abord, d'autres phytocannabinoïdes que le CBD, comme le cannabichromène (CBC), le cannabicyclol (CBL) ou le cannabivarol (CBV). Ils pourraient avoir des effets spécifiques et bénéfiques en eux-mêmes, mais cela est encore mal étudié.
On retrouve également, à tout le moins dans les huiles qui affichent les mentions «large spectre» et «spectre complet», le tétrahydrocannabinol (THC), un autre phytocannabinoïde et qui est la substance psychotrope du cannabis. Mais, et c'est la condition pour être vendu légalement, ce THC est présent dans des proportions minimes: moins de 0,3%. Il ne risque donc pas de faire planer le consommateur.
Il arrive que certains fabricants ajoutent d'autres substances aux huiles, comme de la mélatonine, pour un usage favorisant l'endormissement, ou des extraits d'autres plantes (basilic, curcuma, menthe, mélisse, verveine, maca, ashwagandha, etc.), destinées là encore à optimiser les effets spécifiques voulus.
À cela s'ajoutent des terpènes, parfois déjà présents dans la plante de cannabis et préservés dans le produit fini, parfois ajoutés ensuite. Il s'agit d'hydrocarbures naturellement présents dans les végétaux, dont une des propriétés fondamentales est de donner à la plante ses propriétés odoriférantes. «Les personnes qui ont déjà fumé du cannabis apprécient souvent retrouver son arôme particulier dans l'huile de CBD. Cela participe de son effet», explique Nicolas Authier. D'autres aimeront au contraire retrouver des arômes plus citronnés, floraux, musqués ou encore piquants, liés à la présence de terpènes comme le myrcène, le linalol ou le limonène.
Pour Faten Saleh, ces terpènes ne servent pas qu'au goût. «Même si le goût et l'odeur sont la première perception de la présence des terpènes, ce sont des molécules actives qui ont chacune des bénéfices propres. Dans le cas de Hummies, les terpènes choisis l'ont été pour leur bienfaits supposés et non pour leur goût.» Certaines huiles comportent aussi des arômes ajoutés, pour faire passer une saveur jugée désagréable.
Garder certaines précautions
Évidemment, il n'est jamais exclu de retrouver des métaux lourds et autres substances peu désirables, d'autant plus qu'il n'est pas nécessaire pour les vendeurs d'huiles de CBD de se soumettre à des normes. Il sera alors préférable de privilégier les fabricants et vendeurs qui affichent les certificats d'analyse de leurs produits.
Et puisqu'un consommateur averti en vaut deux, rappelons avec Nicolas Authier qu'il existe parfois des interactions entre l'huile de CBD et certains traitements. «Certains produits peuvent entrer en interaction avec d'autres médicaments prescrits aux individus, annuler leurs effets ou ralentir leur élimination.»
De plus, l'usage de CBD est déconseillé pendant la grossesse ou dès lors qu'on souffre d'une maladie des reins ou du foie. Il peut également exister des effets indésirables, comme des troubles digestifs ou de la somnolence. Dès lors, le spécialiste conseille de faire un test pendant un mois, afin de voir si l'on éprouve une efficacité ou pas.
Enfin, Nicolas Authier insiste sur l'importance de consulter dès qu'on est anormalement anxieux, déprimé, douloureux ou en cas de troubles du sommeil: «Il ne faut pas passer à côté d'un diagnostic.»