Il m'est très difficile d'écrire sur Israël, surtout ces derniers temps. C'est un pays que je connais sans vraiment le connaître, que j'aime sans avoir eu jamais envie d'y habiter, que je respecte tout en déplorant sa dérive nationaliste, laquelle me désole et me révolte tout à la fois. Malgré tout, je suis et demeure un juif de la diaspora chez qui l'identité juive est plus affaire de culture, de mémoire, de traditions que d'emplacement géographique.
Ce qui ne m'empêche nullement de considérer Israël comme un élément essentiel de mon paysage mental. D'éprouver envers lui comme une tendresse impossible à réfréner, un élan venu du cœur où se mêlent la grandeur des temps bibliques, la souffrance de l'exil, l'ombre de la Shoah, cette intranquillité inhérente à ce peuple si particulier. Et la fierté d'être le chaînon d'une histoire qui malgré ses heurts et ses malheurs continue encore à s'écrire.
Mais tendresse ne veut pas dire admiration ou soutien inconditionnel. Il est bien évident que si Israël cessait d'être une démocratie pour épouser les contours d'une nation autocratique où des factions nationalistes teintées de religiosité viendraient dicter sa conduite à la justice, automatiquement, il perdrait à mes yeux cette singularité juive qui le rend si cher à mon cœur. Le judaïsme n'appartient pas aux religieux ni à l'État d'Israël stricto sensu, il les surpasse de mille coudées tant son champ d'expertise, sa richesse philosophique et littéraire, la profondeur de sa pensée, vont au-delà de la simple exégèse des textes bibliques.
Être juif n'est pas affaire de croyance ou pas en un être supérieur, c'est une manière d'être au monde, de se tenir à la fois hors de l'histoire et en même temps en son centre, de demeurer en toutes circonstances une sorte de vigile, de scrutateur des affaires humaines, de sans cesse brandir le flambeau de l'éthique et de la conscience afin de faire briller autant que possible l'espérance de la connaissance.
Un Israël confié aux mains des religieux associés à des mouvements nationalistes mortifères –mortifères, ils le sont toujours– signerait la fin d'Israël comme patrie universelle des juifs. Il deviendrait une secte d'illuminés chez qui l'exercice rigoureux de la foi l'amènerait à oublier l'essence même de l'être juif, ce désir de se montrer à la foi fidèle aux enseignements de la Torah tout en demeurant parfaitement libre de s'en émanciper. Enlevez à la nation juive ceux qu'on nomme «juifs de Kippour» et il vous restera une bande de zélés plus ou moins pacifiques qui pensent que le salut de leur âme passe par l'utilisation d'une double vaisselle.
L'être juif n'est jamais fixé. Il va et il vient, il questionne et interroge, il scande son doute à travers l'incandescence d'une pensée qui refuse de connaître le repos. S'il devait se fixer en un endroit, sur une terre où le fait religieux supplanterait l'aspiration à demeurer métaphysiquement sans attache, il perdrait alors de sa raison d'être. Il nierait le caractère frondeur de son identité, il se figerait en une doxa si rigide qu'elle établirait entre les juifs croyants/pratiquants et ceux attachés à une relation plus distante avec le Créateur, une rivalité capable d'aboutir à un véritable schisme, prélude à un éclatement irréversible.
Il faut être de tout cœur aux côtés des Israéliens qui, samedi après samedi, manifestent pour scander leur opposition à cette déréliction autoritariste, cette tentative de transformer Israël en un régime où la référence à la Torah primerait sur l'exigence du droit et de ses attributs. On ne transige pas avec la Loi, encore moins quand on se réclame dépositaire d'un peuple qui n'a cessé de vivre pour et à travers elle. On ne s'amuse pas à rogner les pouvoirs de la Cour suprême juste pour s'assurer qu'elle ne soit pas un obstacle à vos ambitions messianiques ou autres furies nationalistes.
Ceux qui ont «tué» Yitzhak Rabin veulent désormais tuer Israël.
Aussi dérisoire que puisse apparaître cette formule, nous ne les laisserons pas faire.
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