L'histoire méconnue des pigeons voyageurs de l'armée de terre
Société / Culture

L'histoire méconnue des pigeons voyageurs de l'armée de terre

Temps de lecture : 6 min
Paul Boyer Paul Boyer

Perchés sur la colline du Mont-Valérien, 200 de ces volatiles sont toujours entretenus par le 8e régiment de transmissions. Employés pendant les guerres, ces fiables messagers aux incroyables capacités sont aujourd'hui entraînés pour des concours.

Au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine).

En juin 1916, quand le fort de Vaux (près de Verdun) était encerclé par les Allemands, les derniers espoirs des défenseurs français reposaient sur la réussite de la mission d'un héros ailé nommé Le Vaillant: un pigeon chargé de livrer l'ultime appel à l'aide du capitaine Sylvain Raynal. Certes, le fort n'a pas tenu. Mais, en parvenant à livrer le fameux message, le volatile a marqué les esprits. Cité à l'ordre de la Nation, il a également inspiré le film d'animation Vaillant, pigeon de combat!.

L'histoire est passionnante mais un peu datée, direz-vous. Pas tant que cela: 200 pigeons voyageurs vivent toujours derrière les murs de la forteresse du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine), bâtiment historique du 8e régiment de transmissions offrant une vue à 360 degrés sur la capitale.

Dans le dernier pigeonnier militaire d'Europe, un homme perpétue la tradition de la colombophilie militaire –cette science s'intéressant à l'utilisation des pigeons voyageurs en période de conflit: le sergent Sylvain, 42 ans, y soigne ces oiseaux, les entraîne et veille à leur reproduction.

Le sergent Sylvain entraîne 200 pigeons voyageurs au sein de 8e régiment de transmissions de l'armée de terre, au Mont-Valérien. | Paul Boyer

Aujourd'hui, les volatiles n'ont plus vraiment de rôle opérationnel, bien qu'ils puissent «servir en cas de black-out national». «Nous les gardons surtout pour les concours et par tradition», résume le militaire. Toutefois, «durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ces pigeons voyageurs étaient largement employés par l'armée de terre. Ils transmettaient des messages de la plus haute importance.»

Des oiseaux qui dépotent

Au beau milieu de la forêt du Mont-Valérien, des gazouillements continus viennent troubler le calme ambiant. Plusieurs volières sont disposées de part et d'autre d'un vieux bâtiment en bois. Pigeon de vitesse, de longue distance... Chacun de ces oiseaux y a sa spécificité, qui pourra être mise en avant lors des concours auxquels ils participent.

Chaque matin, le sergent Sylvain ouvre la volière des pigeons de course pour l'entraînement. En quelques secondes, une vingtaine de créatures ailées s'élancent en groupe en direction de Paris, avant de revenir à leur point de départ en à peine quelques minutes. Ces oiseaux peuvent voler jusqu'à 70 km/h. «Ils savent ce qu'ils doivent faire, je les ai éduqués pour ça. Et ils reviennent toujours grâce à leur sens de l'orientation», précise le militaire en treillis, tout en nourrissant des volatiles restés au sol.

Les pigeons de l'armée sont capables de parcourir de très longues distances sans pause, à une vitesse élevée et sans jamais se perdre en route. | Paul Boyer

En effet, les pigeons voyageurs élevés par l'armée de terre ont un sens de l'orientation très poussé. Grâce à leur oreille interne et à leur excellente mémoire, ils reviennent toujours à leur point de départ. Leurs capacités respiratoires leur permettent quant à elles d'effectuer de longues distances sans pause. En 1931, un pigeon voyageur a ainsi parcouru les quelque 12.000 kilomètres séparant Saïgon (aujourd'hui Hô Chi Minh-Ville) de la ville d'Arras en vingt-trois jours –un record.

Des étoiles dans les yeux, le sergent Sylvain observe les volatiles rentrer au pigeonnier. Petit-fils de colombier, ce militaire originaire du Nord-Pas-de-Calais a reçu ses premiers pigeons à 8 ans. «J'ai toujours vécu avec des animaux, mais j'ai tout de suite été passionné par cet oiseau. Il est gracieux et son histoire est unique», raconte-t-il timidement.

En fin de matinée, après l'entraînement quotidien, il parcourt les volières pour vérifier que ses pigeons sont en bonne santé. Dans ces grandes cages, il faut se frayer un chemin à travers les plumes et les déjections encore fraîches. Au fond de l'une d'elles, une femelle aux longues plumes blanches est blessée à la tête. «Un mâle l'a attaquée, visiblement. Elle saigne encore», détaille le sergent en récupérant doucement l'animal, avant de se diriger avec précaution vers l'infirmerie militaire pour la soigner. Après avoir désinfecté la plaie, il la panse, puis installe la pigeonne dans une cage individuelle pour qu'elle puisse se reposer.

À midi, c'est l'heure de la vaccination obligatoire des pigeons contre la paramyxovirose, une maladie virale très contagieuse qui peut être transmise aux humains. Le militaire enfonce minutieusement une seringue dans la poitrine de plusieurs oiseaux. «Et voilà ma belle... C'est fini», chuchote-t-il, oubliant presque notre présence.

Tous les oiseaux sont vaccinés contre la paramyxovirose, une maladie très contagieuse, qui peut aussi contaminer les humains. | Paul Boyer

Une fois les soins terminés, le colombophile prépare le repas de ses protégés qui suivent un régime adapté aux concours de vol de vitesse –«avant les compétitions, ils ont besoin de graines riches en protéines». Les bichonner est une nécessité. D'autant plus que ces bêtes valent très cher, jusqu'à 2.000 euros pour certaines espèces.

«Les premiers drones de l'armée»

En plus des entraînements pour les compétitions et des soins, le sergent Sylvain gère le musée de la colombophilie militaire, également au Mont-Valérien. À l'intérieur, des photographies retracent l'histoire de ces pigeons voyageurs, de l'Antiquité aux guerres mondiales. Des messages portés par ces oiseaux-soldats y sont encore précieusement conservés. «C'est inestimable, ce qu'il y a dans cette pièce. Les civils ne réalisent pas à quel point les pigeons nous ont permis de sauver des vies durant les périodes de conflit, insiste le militaire. C'est une histoire méconnue, d'où la nécessité de préserver ce musée.» Le colombier militaire du Mont-Valérien fait partie de ces lieux chargés d'histoire.

C'est en 1870, pendant la guerre franco-prussienne, qu'est né le service colombophile. Dans un Paris assiégé, les pigeons étaient réquisitionnés pour communiquer avec l'extérieur. Quittant la capitale des messages attachés à leur pattes, ils récupéraient ensuite des informations de la plus haute importance à Tours, avant de faire le trajet inverse. Puis, pendant la Première Guerre mondiale, les pigeons ont régulièrement fait des allers-retours entre le front et l'arrière, permettant à de nombreux généraux de connaître l'avancée des soldats.

Aujourd'hui, les volatiles n'ont plus vraiment de rôle opérationnel, bien qu'ils puissent toujours «servir en cas de black-out national». | Paul Boyer

Les plus grandes prouesses de ces héros de l'ombre datent de 1944. En pleine Seconde Guerre mondiale, les Anglais larguaient des centaines de pigeons voyageurs dans les forêts normandes. Une fois sur place, les résistants français récupéraient discrètement ces volatiles pour glisser, dans les tubes accrochés à leurs pattes, des renseignements sur les positions allemandes. Les pigeons reprenaient ensuite leur vol en direction de Londres. Une fois les coordonnées récupérées par les Anglais, les bases ennemies étaient bombardées par l'aviation alliée. Une partie du musée est ensuite consacrée aux guerres d'Indochine et d'Algérie, pendant lesquelles les militaires français ont aussi largement utilisé des colombiers mobiles.

Si avec l'apparition des nouvelles technologies au sein de l'armée de terre, ces pigeons voyageurs ont moins la cote, «ils ont tout de même été les premiers drones de l'armée», estime Patrick Coiffier, historien spécialiste des guerres mondiales et auteur de Pigeons soldats – 1914-1918. Passionné par les pigeons-soldats, il a rédigé son livre grâce à des archives de l'Imperial War Museum de Londres, dans lequel il s'est rendu plusieurs fois.

Dans l'ouvrage, il est précisé qu'au début du XXe siècle, l'Allemand Julius Neubronner, apothicaire de métier, utilisait déjà des pigeons voyageurs pour livrer des prescriptions aux patients. En 1907, il a également eu l'idée d'équiper ses oiseaux d'un harnais et d'un petit appareil photo ultra-léger. «Cet homme a inventé le premier drone, s'enthousiasme l'historien. Ses pigeons prenaient des photographies des villes à plusieurs centaines de mètres de hauteur.»

Aujourd'hui, plusieurs nations et groupes armés sont toujours intéressés par les capacités hors normes de ces volatiles. En 2011, la Chine a acheté 10.000 pigeons voyageurs; en 2016, la Jordanie signalait l'utilisation de ces oiseaux par l'autoproclamé État islamique. Le contrôle des messages et des positions ennemies en temps de guerre est toujours d'actualité. En 2019, l'historien militaire américain Frank Blazich a même titré un de ses articles «À l'heure de la guerre électronique, recrutez des pigeons».

Les plus grandes prouesses de ces héros de l'ombre datent de 1944. Mais ils sont utilisés par l'armée française depuis 1870. | Paul Boyer


Pendant la période hivernale, ces pigeons de l'armée de terre ne participent à aucune compétition. Ce n'est qu'au début du mois de mai qu'ils pourront se mesurer à leurs semblables lors de courses qui ont lieu dans tout l'Hexagone. D'ici là, le sergent Sylvain continuera de les chouchouter et de les entraîner pour que cette tradition survive le plus longtemps possible. Faire autre chose? Inenvisageable pour le sergent. «J'y suis dès 7h30 du matin, je rentre chez moi le soir et j'ai hâte d'y revenir le lendemain.»

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