On dit d'elle qu'elle «dézingue», qu'elle «fracasse» ou encore qu'elle lance des «hostilités» ou un «duel». Le vocabulaire de la confrontation et du clash est abondant pour qualifier les sorties médiatiques de l'ancienne garde des Sceaux Rachida Dati. Les réseaux sociaux raffolent de ses petites phrases lancées sur un ton autoritaire, parfois sentencieux.
De Marlène Schiappa, alors secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes en janvier 2019, au futur député Rassemblement national Julien Odoul, le soir du premier tour de l'élection présidentielle 2022, en passant par les membres du parti d'Emmanuel Macron qu'elle qualifie de «traîtres de gauche et traîtres de droite» au lendemain du premier tour des élections régionales de juin 2021, beaucoup ont subi ses piques. Quelques mots suffisent souvent à Rachida Dati pour mettre à terre ses adversaires politiques en étant assurée d'être ensuite citée à foison sur la toile.
- Marlene Schiappa : "M.Hamon, vous avez reçu 6% des suffrages"
— La Tribune des Pirates (@___TDP) January 24, 2019
- Rachida Dati : "On est tous passé par des 6%, ca va peut-etre vous arriver un jour, faut etre humble la dessus"#LEmissionPolitique pic.twitter.com/CltZqNAPip
Rachida Dati On fire sur BFMTV
— Josselin (@jo_redachef) April 10, 2022
« Oh c’est bon ! » lâche t-elle à @JulienOdoul #BFMTV #Presidentielle #Elysee2022 #presidentielle2022 pic.twitter.com/ufTRph36RK
Dans le jargon, on appelle cela une «punchline». Ce mot, né dans l'univers du rap, a été récupéré par la politique et les médias. Mais comme le précise Daniel Adjerad dans son livre intitulé Punchlines: «L'apparition des formats courts sur internet et d'une plateforme comme Twitter ont rendu possible des alliances, parfois monstrueuses, entre “punchlines” et sphère médiatique.»
La politique perçue comme un combat
En avril et juin 2022, en marge de la présidentielle et des législatives, les internautes trépignaient d'impatience lors de chaque soirée électorale. Car ces soirs-là, Rachida Dati faisait la tournée des plateaux et offrait des sorties médiatiques qui seront bientôt qualifiées de «cultes».
La véritable star de la soirée électorale du second tour, évidemment c'est elle 🙃 pic.twitter.com/JsPJ4Y5x8D
— Quotidien (@Qofficiel) April 24, 2022
Certains comptes Twitter –parfois pilotés par des membres du parti Les Républicains– s'occupent même du service après-vente de chacun de ses passages télé. C'était le cas par exemple des comptes «Les punchline (sic) de Dati» (@Dati_Punchline) ou «Reine Rachida» (@rachidalaqueen).
« Vous feriez mieux de baisser d’un ton ! » #RachidaDati récidive et met encore KO Clémentine Autain😂 #legislatives2022 pic.twitter.com/TZsxNOqFlL
— Les punchline de Dati (@Dati_Punchline) June 12, 2022
Directrice de recherche au CNRS (laboratoire Cerlis, Centre de recherche sur les liens sociaux) et spécialiste en communication médiatique et politique, Isabelle Veyrat-Masson explique: «Il y a des personnages qui sont naturellement des fabricants de punchlines. Ce qui frappe chez Rachida Dati, c'est une liberté de ton et une forme d'insolence.»
Celle qui est maire du VIIe arrondissement de Paris pour un troisième mandat –réélue dès le premier tour lors des dernières élections municipales en mars 2020– est un personnage qui laisse rarement indifférent. Les utilisateurs de Twitter raffolent de ses piques assassines et assourdissantes. «Les médias classiques se calent de plus en plus sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux, souligne Bruno Cautrès, enseignant et chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). On sait qu'aujourd'hui, ce qui se passe sur Twitter sera regardé et pourra influencer le contenu de l'information.»
Mais pourquoi ces «punchlines» font-elles autant d'impression et fascinent-elles à ce point les réseaux sociaux? «C'est une question de vocabulaire, selon Isabelle Veyrat-Masson. Un phénomène ancien qui s'appelait citation, “grande phrase” ou “petite phrase” est maintenant qualifié de “punchline”. C'est toujours quelque chose qui renaît avec un vocabulaire différent selon l'époque; la nôtre est celle des réseaux sociaux. On a admis que la politique était un combat et les réseaux sociaux ont montré une capacité à faire preuve de virulence dans les discussions. La punchline a un caractère agressif, il y a cette idée de “punch”. Plutôt qu'être emblématique d'une idée, elle va être emblématique d'un coup porté.»
Des punchlines à l'image de sa personnalité
«La punchline n'est pas performative, elle fabrique plutôt la personne, décrypte Isabelle Veyrat-Masson. On ne va pas forcément retenir ce qui a été dit mais on pourra retenir une certaine forme de courage et une insolence.» En la matière, la figure de Rachida Dati fait preuve d'une constance infaillible. «Chez elle, je ne pense pas que ce soit une posture feinte, ajoute Bruno Cautrès. Elle a toujours développé une forme de communication très spontanée, dans laquelle elle dit les choses de manière franche. Et contrairement à d'autres, elle a le mérite de la cohérence. Elle est loyale à son parti et a un réel ancrage partisan. Si l'on remonte dans le temps, cette manière de communiquer existe chez elle depuis longtemps.»
« Mais Ugo, vous n’allez pas vous faire applaudir sur des conneries pareilles. Arrêtez. Non mais c’est con ! Moi aussi je peux faire dans la caricature. »#RachidaDati on fire aux #AMFIS2022😂 pic.twitter.com/3hmFVfZEkj
— Les punchline de Dati (@Dati_Punchline) August 27, 2022
Lorsqu'elle devient porte-parole de Nicolas Sarkozy pour sa campagne présidentielle de 2007, elle a construit son parcours hors du sérail de la politique classique. «Elle fait partie de cette génération de femmes politiques –comme Rama Yade– que Nicolas Sarkozy a mises en avant. Ces personnes ont un solide bagage professionnel. Mais elles ne sont pas issues du même moule politique et du même parcours que d'autres en politique, notamment au niveau social ou académique. Leur légitimité a ainsi pu être remise en question par certaines personnes au sein du monde politique.» Isabelle Veyrat-Masson abonde également dans ce sens: «Son insolence lui vient sûrement de son origine sociale, c'est sa force.»
Rachida Dati est la deuxième d'une fratrie de douze enfants, issue d'une famille modeste et de l'immigration. Ministre de la Justice entre mai 2007 et juin 2009, elle a été la première femme maghrébine à occuper un poste régalien en France. Alors, même si elle évite souvent d'évoquer son parcours –social ou académique–, celui-ci reste tout de même exceptionnel au sein de sa famille politique. «À un moment donné, la droite parisienne a douté de sa capacité à la représenter. Et c'est par les élections qu'elle a conquis sa légitimité.»
L'image de «combattante» est ainsi celle par laquelle Rachida Dati serait identifiée dans l'imaginaire collectif, selon Bruno Cautrès. «Quand on la voit faire ses passes d'armes contre Anne Hidalgo au Conseil de Paris, il y a sûrement, au-delà des prises de position sincères, une volonté de réactiver l'image de combattante qui est la sienne.»
De la difficulté de se faire entendre dans les médias
Du «Vous n'avez pas le monopole du cœur» de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 à l'anaphore du «Moi président» de François Hollande en 2012, les «petites phrases» ont toujours fait partie du débat politique. Néanmoins, dans un dispositif médiatique de plus en plus friand de ces formules qui sauront faire parler d'elles, la parole politique peine à se faire entendre.
Sur les plateaux, la prime est parfois donnée à celles et ceux qui sauront être de «bon clients», c'est-à-dire réussir à imprimer leur message en quelques mots simples et forts. «Si on prend un peu de champ, c'est une marque de l'air du temps, explique Bruno Cautrès. Dans un moment où il y a de plus en plus de canaux d'information et de diffusion et où la parole politique semble en perte de vitesse, il y a une volonté des personnalités politiques de s'exprimer à travers des métaphores qui pourront parler au plus grand nombre.»
Mais si la punchline tente de capter notre attention, elle peut parfois se retourner contre celui ou celle qui la lance. Ce fut le cas lorsque Valérie Pécresse annonça vouloir «ressortir le Kärcher de la cave» en janvier 2022, lors de la campagne de la dernière présidentielle. «C'est une manière d'utiliser un symbole fort [Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur en juin 2005 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), ndlr] pour rappeler son attachement à une famille politique… Le problème dans tout ça, c'est que Nicolas Sarkozy ne lui a clairement pas rendu la pareille, c'est le moins que l'on puisse dire!»
L'importance de plus en plus grande que nous accordons à la punchline dans la sphère politique et médiatique pourrait ainsi nous interroger d'un point de vue démocratique. «Dans les débats, les règles de la civilité sont de moins en moins respectées, alerte Bruno Cautrès. On est face à une parole politique de plus en plus décrédibilisée et démonétisée. Il y a un risque que le politique devienne simplement un “entertainer”.»