Amis, membres de la famille ou conjoints: nous sommes souvent mal à l'aise lorsque nos proches vivent une période de deuil. Malgré la complicité et l'intimité, le deuil demeure une source de gêne, de maladresses et constitue parfois un sujet tabou pour l'entourage de la personne endeuillée.
Comment réagir face à sa détresse? Quels mots employer? Quels gestes adopter? Ces comportements, pourtant naturels dans d'autres circonstances, deviennent plus hésitants et conduisent même parfois à un silence radio, par peur de commettre une erreur blessante.
«Je ne savais pas quoi faire»
Jean-Michel, 65 ans, s'est retrouvé embarrassé lorsque son meilleur ami a perdu sa mère à la fin du mois de février. «Dans ces situations, je ne sais pas comment réagir, je ne trouve pas les mots, surtout à l'oral, donc j'ai préféré ne pas l'appeler directement et simplement lui envoyer un texto, justifie-t-il. De manière générale, j'évite de parler aux gens au moment du choc du décès parce que c'est frais, la personne peut être en sanglots. C'est une manière de respecter le chagrin; je ne veux pas être intrusif et, en plus, moi ça va me perturber.»
La réaction par message est souvent adoptée par les proches de la personne endeuillée. Lorsque Nina, 28 ans, a appris le décès du père de son amie d'enfance, c'est également par SMS qu'elle lui a apporté son soutien. «Je lui ai dit que j'étais disponible pour elle si elle avait besoin de moi, raconte la jeune femme. Je me suis sentie émue aux larmes et assez démunie, je ne savais pas quoi faire. Ce n'était pas le premier décès dans mon entourage, mais j'avais géré les précédents avec mes parents. Là, c'était la première fois que je devais gérer seule, en tant qu'adulte.»
La perte d'un être cher chez un membre de son entourage renvoie à ses propres pertes futures et à l'angoisse de la mort.
Incapacité à trouver les bons mots, même pour s'adresser à des gens très proches; sentiment d'impuissance… Si le deuil pourrait sembler plus facile à appréhender lorsqu'il touche l'entourage intime, c'est parfois le contraire qui se produit.
Selon Jean-Michel, c'est justement le degré d'intimité qui explique ce malaise: «Plus la personne est proche, plus les choses sont dures à dire parce que l'on partage sa peine. Nous sommes plus décontenancés, déboussolés. Paradoxalement, je pense que les réactions et les paroles seront plus justes, plus libres aussi, parce que l'on se connaît bien.»
En psychologie, c'est ce que l'on appelle le phénomène de projection. La perte d'un être cher chez un membre de son entourage renvoie à ses propres pertes futures et à l'angoisse de la mort. «Il y a obligatoirement des projections de sa propre situation en tant que proche, de ce qui peut nous arriver, et aussi de sa propre mort, souligne Valérie Chemoul, psychologue clinicienne à Lille. Lorsque l'on est en âge de perdre ses propres parents, on projette forcément sur soi dans la relation avec la personne qui a perdu les siens.»
Des comportements à bannir?
Anne, 60 ans, a perdu sa mère en juin 2022. Si elle reste très compréhensive des attitudes de ses proches («Je comprends qu'ils puissent être maladroits, le deuil est très personnel pour la personne qui le vit mais aussi pour ses proches»), certaines formules lui ont déplu:
«Les “Ne te laisse pas aller”, “Il faut du temps” ou “Je suis désolé” sont des automatismes complètement vides qui n'ont aucun sens selon moi. Pour une personne qui n'est pas très proche de moi, je préfère dans ce cas le classique “Je te présente mes condoléances”.»
De l'avis général, ces formalités, souvent employées lorsque l'on ne sait pas quoi dire, sont à proscrire. Impersonnelles, formatées ou parfois même dénigrantes, elles ne témoignent pas d'empathie, pas plus qu'elles n'offrent de réconfort à la personne endeuillée. Malgré son malaise face aux situations de deuil, Jean-Michel préfère accepter son embarras et personnaliser les messages qu'il envoie à ses proches.
«J'assume pleinement de ne jamais trouver les mots dans ces situations, explique-t-il. Alors j'essaie de réfléchir vraiment, de me mettre à la place de la personne qui va recevoir mes paroles, et je dis exactement ce que je suis en train de penser. Par exemple, je peux commencer par “Comment trouver les mots”. Pour mon ami dont la mère est décédée, j'ai décidé de ne pas écrire que je partageais sa peine parce que l'on se connaît si bien que ce n'était pas nécessaire: il le savait.»
Ce silence est d'ailleurs plébiscité par Anne, qui a préféré rester seule quand sa mère est partie. «Ce qui me gêne, c'est de trop parler. Parfois, les gens ne savent pas quoi dire donc ils en font des tonnes avec leurs formules et les conseils qu'ils donnent. C'est l'enfer.»
Si des formules préfabriquées soulagent rarement la personne endeuillée et instaurent même une distance, l'injonction à aller mieux n'aide pas non plus. Selon Valérie Chemoul, le respect du deuil de l'autre est essentiel: «Essayer absolument d'être positif n'est pas d'un grand soutien. La plupart des mes patients qui viennent consulter après un deuil me disent que leurs proches ne peuvent pas se mettre à leur place. Surtout, l'endeuillé peut éprouver un sentiment de colère. Les phases de deuil peuvent durer plus ou moins longtemps, il faut le respecter.»
«La première chose, c'est de demander à la personne comment elle se sent et pas comment elle va.»
Quant à parler du proche disparu, les avis divergent. Anne ne voulait pas du tout l'évoquer et n'en ressentait d'ailleurs pas le besoin, même avec les personnes extrêmement proches d'elle. «Je préférais être seule ou avec ma fille, puisque c'est ensemble que nous avons vécu tout le processus avant le décès, relate-t-elle. La tristesse et les émotions sont incommensurables, comment partager ça? Cette détresse, j'avais envie de la vivre toute seule. C'est mon histoire.»
Pour Nina, dont l'amie d'enfance a perdu son père, il reste important de parler du défunt, en respectant la volonté de son proche: «Je pense que dans les semaines après l'enterrement, les gens oublient rapidement, alors que les personnes endeuillées peuvent avoir besoin de parler du défunt. Selon moi, il faut essayer de poser des questions à son proche sur la personne disparue, savoir s'il a envie d'en parler et ne pas en faire un sujet tabou en pensant que ça va remuer le couteau dans la plaie.»
Tout dépend en fait de la personne et de sa manière de vivre son deuil. La psychologue Valérie Chemoul rappelle qu'il n'y a pas de généralités et conseille d'écouter son intuition. Mais pour elle, une chose est sûre, «il ne faut jamais forcer s'il y a une réserve à parler du proche disparu».
Comment être présent pour ses proches?
Réconforter un proche endeuillé reste quelque chose de très personnel. Pas de mode d'emploi: à chaque relation ses façons de soutenir la personne qui subit une perte. Pourtant reviennent souvent les mêmes mots: être présent pour son proche, être là.
Concrètement, cela signifie surtout d'être à l'écoute, selon Valérie Chemoul: «La première chose, c'est de demander à la personne comment elle se sent et pas comment elle va, car la réponse est forcément “Mal”. Cela peut ouvrir la conversation. Surtout, il faut dire à la personne: “Si tu as besoin de moi, je suis là.”»
Nina, quant à elle, a opté pour une présence quotidienne pour son amie, à travers des messages. «C'étaient des choses toutes simples comme “Je pense à toi” ou “Je t'embrasse”, détaille-t-elle. Je voulais lui montrer que j'étais là si besoin, mais sans trop la déranger. Ensuite, elle était libre de me répondre ou pas, sans aucun problème pour moi.»
Un rituel que la psychologue approuve: «La personne endeuillée peut décider de s'en emparer ou pas, mais ça lui permet de se raccrocher un peu aux branches si elle le souhaite, au lieu d'avoir l'impression de se noyer, analyse la spécialiste. Ce rituel va ensuite passer de tous les jours à tous les trois jours, puis à toutes les semaines et à plus rien quand ça va mieux.»
Pour soulager son ami endeuillé par la perte de sa mère, Jean-Michel a préféré jouer la carte de l'humour. «Je le connais tellement bien, je sais que notre arme c'est de déconner ensemble. Quand je l'ai eu au téléphone, c'était fluide, on a pu rire. Je considère que quand quelqu'un a de la peine, je ne peux rien y faire, alors je préfère le distraire en restant malgré tout à l'écoute si je ressens qu'il en a besoin.»
La spécialiste conseille aux personnes endeuillées de consulter, mais en laissant peut-être passer un peu de temps.
Pudique, le sexagénaire a également rappelé à son ami qu'il pouvait le joindre à n'importe quel moment, même la nuit. Si les paroles de réconfort et l'écoute peuvent en effet être importantes pour la personne endeuillée, les gestes ou la présence le sont parfois tout autant.
«J'ai reçu de très beaux messages qui transmettaient des sentiments sincères, se souvient Anne. Ce qui m'a marquée également, ce sont des étreintes qui m'ont fait beaucoup de bien. Parfois, il n'y a pas grand-chose à dire et la seule présence est très réconfortante.»
Enfin, une question qui revient souvent dans les situations de deuil est celle d'une attention, d'un cadeau à faire à son proche en souffrance, notamment à l'occasion de l'enterrement. Si les fleurs sont souvent de mise, Nina et ses amis ont voulu personnaliser leurs présents. «On a choisi un bouquet dans des couleurs non cérémoniales pour qu'elle puisse le ramener chez elle. On a aussi fait un don à la clinique où son père avait été traité pour son cancer. Et une lettre, qu'elle pourra relire dans les moments douloureux si elle le souhaite.»
Un réconfort limité
Malgré tout, le réconfort que peuvent apporter les proches reste limité. Accompagner une personne en deuil demeure compliqué et dépend toujours d'elle: rien ne peut accélérer les choses. «Certains deuils peuvent devenir pathologiques et notamment s'enkyster dans la phase dépressive, reconnaît Valérie Chemoul. Cela peut se détecter lorsque la personne tourne en rond, quand rien n'avance, quand ce sont toujours les mêmes ressentis, comme si elle était bloquée. Mais il n'y a aucun délai prédéfini au bout duquel il faut s'inquiéter, car chaque personne prend un temps différent pour faire son deuil.»
La spécialiste conseille aux personnes endeuillées de consulter, mais en laissant peut-être passer un peu de temps. Parmi ses patients, elle constate en effet que ceux qui consultent rapidement, au bout d'un ou deux mois, viennent à la demande d'un proche et non de leur propre initiative.
«Avoir une écoute pleine et entière à long terme est très difficile et très énergivore.»
Surtout, les limites du soutien se matérialisent par l'impossibilité de se mettre à la place de son proche endeuillé. Les patients de Valérie Chemoul ne cessent de le lui rappeler: «Mes proches ne sont pas dans ma tête, ils ne peuvent pas savoir ce que je ressens.»
Ce frein à l'aide qu'elle pouvait apporter, Nina l'a bien ressenti. «Dans ces moments-là, on sent toujours qu'on n'en fait pas assez, admet-elle. On aimerait faire plus, mais on veut aussi respecter l'espace que notre proche nous donne.» Jean-Michel concède lui aussi que le soutien a ses limites: «On ne peut jamais connaître le degré de chagrin de nos proches. Alors j'essaie d'être à l'écoute ou de divertir, mais si je sens que mon proche n'est pas réceptif, que puis-je faire? Je pense que j'essaierais d'insister un peu si cet état persistait.»
Enfin, les limites concernent également les proches eux-mêmes, qui sont parfois dépassés par la souffrance de la personne endeuillée. «On peut se sentir débordé si trop de choses, trop d'émotions sont déposées par un proche en deuil, constate Valérie Chemoul. On peut alors recadrer, expliquer “Tu me charges trop” ou “Je ressens trop de charge émotionnelle et je ne peux plus gérer”. Avoir une écoute pleine et entière à long terme est très difficile et très énergivore.»
L'essentiel reste ainsi de communiquer, tout en demeurant compréhensif et à l'écoute face à la souffrance de la personne en deuil.