Égalités / Culture

Unique en France, un Musée des féminismes devrait enfin ouvrir ses portes à Angers

Temps de lecture : 6 min

Le lieu devrait voir le jour en 2027 à la bibliothèque universitaire du campus de Belle-Beille, dans la préfecture du Maine-et-Loire.

Des personnes visitent l'exposition retraçant l'histoire du féminisme en France, le 20 mai 2010 au Centre des archives du féminisme d'Angers, qui sortait pour la première fois ses réserves à l'occasion de ses dix ans. Alain Jocard / AFP
Des personnes visitent l'exposition retraçant l'histoire du féminisme en France, le 20 mai 2010 au Centre des archives du féminisme d'Angers, qui sortait pour la première fois ses réserves à l'occasion de ses dix ans. Alain Jocard / AFP

Les fumeurs, la galoche et le corbillard ont un point commun. Tous ont, en France, un musée qui leur est dédié. Il était donc temps que le féminisme puisse avoir le sien. Jusqu'à présent, malgré les 3.000 musées recensés, aucun n'était consacré à cette thématique.

Ce sera bientôt chose faite avec ce Musée des féminismes qui devrait bel et bien voir le jour à la bibliothèque universitaire (BU) d'Angers, située sur le campus de Belle-Beille, quartier situé à l'ouest de la préfecture du Maine-et-Loire. «Quelques années après #MeToo et avec le foisonnement actuel des essais et de podcasts féministes, c'est le bon moment», justifie Nathalie Clot, conservatrice et directrice des bibliothèques et archives de l'université d'Angers.

Et si l'intérêt semble incontestable, la localisation peut paraître un peu incongrue: pourquoi ne pas avoir choisi Paris? Pour comprendre cette décision, il faut remonter le fil qui a présidé à la création de ce musée.

«Ça faisait longtemps que les gens demandaient à visiter»

Ce projet doit beaucoup à la rencontre de deux volontés. D'un côté, on retrouve Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'université angevine et historienne spécialiste de l'histoire des femmes, du genre, du féminisme et de l'antiféminisme. C'est en grande partie grâce à elle que les Archives du féminisme ont été implantées à Angers il y a une vingtaine d'années.

«À l'époque, la France venait de récupérer les archives de Cécile Brunschvicg qui avaient été raflées par les Allemands [et restituées par la Russie en février et novembre 2000, ndlr], relate Nathalie Clot. Cécile Brunschvicg était l'une des premières sous-secrétaires d'État, sous le gouvernement Léon Blum [de juin 1936 à juin 1937, ndlr]. À ce moment-là, les femmes n'avaient pas le droit de vote... Personne ne trouvait ça très intéressant, mais Christine Bard, elle, a tout de suite vu l'importance de ces documents et elle a initié le Centre des archives du féminisme à la bibliothèque universitaire d'Angers.»

Depuis, de nombreux fonds y ont été déposés, comme les archives personnelles d'Yvette Roudy, membre du Parti socialiste et ministre des Droits de la femme entre 1981 et 1986 sous la présidence de François Mitterrand; ainsi que celles de la Fédération nationale du planning familial.

«Tout ça, c'était dans les réserves. On les communiquait uniquement aux chercheurs. Et ça faisait longtemps qu'il y avait des gens qui demandaient à visiter», explique Nathalie Clot. Il y avait bien eu un précédent projet, formulé en 2002, auquel Christine Bard avait pris part. Il s'agissait d'un musée sur l'histoire des femmes, à Paris, et dont le principe avait été approuvé par Bertrand Delanoë, le maire de l'époque. Pourtant, le projet n'a jamais vu le jour.

Une tribune qui porte ses fruits

Mais tout vient à point à qui sait attendre et la chance va tourner en 2022, avec l'attribution d'une enveloppe de près de 10 millions d'euros pour rénover la BU du campus de Belle-Beille. «Ça faisait longtemps qu'on se disait qu'il nous fallait un centre d'interprétation, mais nous n'avions pas de financements, poursuit Nathalie Clot. Avec ce nouveau budget, nous avions enfin les moyens de faire un vrai espace muséal.» Sur les 6.000 mètres carrés qui composent la bibliothèque universitaire, 10% devraient être consacrés au nouveau musée de l'histoire des féminismes.

Parallèlement à cette avancée, Magali Lafourcade, magistrate et secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, écrit une tribune dans Le Monde en mai 2022. Elle y exhorte à la construction d'un musée consacré à l'histoire des luttes et des conquêtes féministes. «À ce moment-là, il y a le recul sur l'accès à l'IVG aux États-Unis avec la révocation de l'arrêt Roe v. Wade. Pour moi, c'était une régression. Je me suis donc dit qu'il fallait faire un musée des conquêtes féministes et de l'émancipation des femmes, que ce soit dans un lieu institutionnalisé. L'idée était d'en faire une espèce de standard, via le musée, pour que ce soit difficile de revenir en arrière, après», se rappelle Magali Lafourcade.

À la suite de cette tribune, Christine Bard contacte la magistrate. Le pont est fait. Quelques mois plus tard, naît l'Afémuse, l'Association pour un Musée des féminismes en France. «Dans cette structure, on ne veut pas faire de l'idéologie, on veut mettre en avant le côté scientifique, précise Magali Lafourcade. C'est pour cela qu'on se définit dans la préfiguration culturelle plutôt que comme féministes.»

Pourquoi implanter ce musée dans une bibliothèque universitaire?

Le destin semble donc avoir parlé et un musée devrait bien voir le jour. Pourtant, si le choix de localiser une structure dédiée aux féminismes dans la préfecture du Maine-et-Loire est justifié par la présence des Archives du féminisme, implanter un tel musée dans une BU peut interroger. Est-ce que le public sera au rendez-vous?

«Nous avons plusieurs milliers d'étudiants qui passent tous les jours les portes de la bibliothèque. Dans un musée, la moyenne d'âge est d'environ 60 ans. Chez nous, elle est plutôt à 22 ans. Pouvoir toucher les jeunes de cette manière nous paraissait intéressant, surtout qu'avec #MeToo, on sent un appétit de cette génération pour ce sujet», décrypte Nathalie Clot.

«Le projet ne s'est pas fait à Angers car il n'avait pas été jugé assez intéressant ailleurs. [...] C'est juste une solution à moindre coût. Et surtout, ici, il y a un vrai sens territorial.»
Magali Lafourcade, magistrate et une des protagonistes du projet de Musée des féminismes à Angers

Situer cette structure dans une BU peut également faire penser à un manque d'appui politique de la part de la Ville ou de l'État. «Non, je dirai plutôt que c'est une histoire de circonstances», répond la conservatrice des bibliothèques de l'université.

Magali Lafourcade complète: «Le projet ne s'est pas fait à Angers parce qu'il n'avait pas été jugé assez intéressant ailleurs. Je pense que l'intérêt est là. C'est juste une solution à moindre coût. Et surtout, ici, il y a un vrai sens territorial avec le fonds d'archives, la compétence de Christine Bard et la mobilisation de l'Afémuse. Ce n'est pas un projet pensé par le bas.»

Peu de soutiens financiers en dépit des appuis politiques

Pour autant, les soutiens financiers se font attendre. «On est très soutenu politiquement par le ministère de la Culture; par contre, je suis assez atterrée par le reste, soupire Magali Lafourcade. C'est-à-dire qu'au tout début, tout le monde était passionné par ce projet. Mais depuis, en matière de financements, il n'y a pas grand-chose pour l'instant.»

Le projet culturel et scientifique du musée n'a pas encore été rédigé. Néanmoins, quelques pistes sérieuses sont déjà évoquées. «On pense à faire un parcours permanent qui poserait les jalons et des expositions temporaires, confie Nathalie Clot. On voudrait aussi mettre en avant des objets qui racontent des luttes. Que cela résonne avec des témoignages vidéo ou audio. Être en mesure de faire un récit avec des sources très différentes.» Magali Lafourcade ajoute: «On voudrait aussi faire quelque chose dans le même esprit que Les Rendez-vous de l'histoire de Blois [un festival scientifique annuel dédié à l'histoire, ndlr], mais avec “Les Rencontres du féminisme”.»

L'association de préfiguration Afémuse a récemment récolté les fonds –par le biais d'un financement participatif– pour acquérir une œuvre du peintre et dessinateur Léon Fauret, représentant la féministe Maria Vérone à la tribune. «C'est la seule représentation connue d'un meeting féministe du début du XXe siècle», s'enthousiasme Nathalie Clot.

Le tableau a récemment figuré dans l'exposition «Parisiennes citoyennes!» du musée parisien Carnavalet, qui a affiché le passage de quelque 90.000 visiteurs. L'œuvre a été reproduite dans l'édition du 1er avril 1910 du journal illustré Femina et sous forme de carte postale. C'est ainsi que le tableau, dont la trace avait été perdue, a été retrouvé, malgré le titre erroné «Scène d'intérieur dans un café parisien». «Je trouve que ça en dit long sur l'invisibilisation», note pour sa part Nathalie Clot.

En attendant l'ouverture des portes du Musée des féminismes qui devrait avoir lieu en 2027, des expositions temporaires seront organisées. La première débutera en septembre 2024 et aura pour thème «Les féministes sont dans la rue».

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