La réunion de l'Assemblée nationale populaire qui se tient actuellement à Pékin va donner lieu à un vaste renouvellement du personnel politique chinois. Xi Jinping, président chinois depuis 2013, n'est pas concerné par cette règle de changement établie il y a une trentaine d'années et qui oblige les dirigeants à quitter leur fonction au bout de dix ans.
Lors du XXe congrès du Parti communiste en octobre dernier, il a fait voter la prolongation indéfinie de son mandat de secrétaire général. Et cette session parlementaire va lui permettre de faire de même avec sa fonction de président de la République.
En revanche, Li Keqiang va abandonner le poste de Premier ministre qu'il occupe depuis dix ans. Il n'est pas sûr du tout que ses relations avec Xi Jinping aient toujours été excellentes. Il semble bien que Hu Jintao, qui a dirigé le Parti de 2002 à 2012, souhaitait que Li Keqiang, diplômé en droit et docteur en économie, lui succède. L'un comme l'autre, ils ont été politiquement formés à l'intérieur de la Ligue de la jeunesse communiste.
À la suite de cela, Li Keqiang a fait carrière à la tête des provinces du Henan puis du Liaoning avant d'entrer en 2007, tout comme Xi Jinping, au Comité permanent, la plus haute instance du Parti communiste chinois. Mais, soutenu par divers responsables locaux, Xi Jinping l'a emporté pour la direction du parti. Et Li Keqiang est resté le numéro 2 du régime, tandis que des domaines importants, comme les finances publiques, étaient directement gérés par Xi Jinping et son entourage.
Il est évidemment impossible de dire ce qu'aurait été la politique chinoise si, en 2013, Li Keqiang avait été désigné comme chef de l'État. Aurait-il géré avec plus de souplesse la méfiance américaine face aux performances économiques de la Chine? Aurait-il imposé trois années de confinement très strict face au Covid, ou accepté d'introduire en Chine des médicaments occidentaux? Quant à la pesanteur du Parti communiste, aurait-elle imposé en tout domaine une politique comparable à celle de Xi Jinping?
En tout cas, en ce 5 mars, c'est un Li Keqiang moins puissant que ne l'étaient ses prédécesseurs Wen Jiabao ou Zhu Rongji dans les années 2000 qui s'assoit à côté de Xi Jinping à la tribune de l'hémicycle du palais de l'Assemblée du peuple.
À la quasi-unanimité
Chaque année au mois de mars, les deux chambres du Parlement chinois se réunissent dans ce qui est aussi appelé, à Pékin, le «grand hall du peuple». D'un côté, il y a la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), seulement consultative et qui accueille des représentants des divers milieux professionnels de la société chinoise.
Mais surtout, il y a l'Assemblée nationale populaire. Elle siège cette année du 4 au 13 mars et réunit 2.977 délégués. Certains sont des militaires en uniforme, d'autres portent les tenues traditionnelles des «minorités nationales» qu'ils représentent. La veille de la session, il a été annoncé qu'il y avait 790 femmes députées (26,54% du total) et 497 représentants des ouvriers ou paysans (16,69% du total).
Cette année sont également annoncées des commissions portant sur la lutte contre le harcèlement en ligne ou sur la nécessaire relance de la natalité.
Il n'est pas question dans ce Parlement de discuter ou d'amender des textes de loi. Les délégués ont –éventuellement– pu faire des remarques au préalable, mais pendant les neuf jours de la session, ils doivent écouter des discours et approuver à la quasi-unanimité les textes de lois et les orientations proposés par le gouvernement et préparés par les hautes instances du Parti. En dehors des séances plénières, les délégués se retrouvent dans différentes commissions. Certaines concernent les objectifs de telle ou telle province.
Le 5 mars après-midi, Xi Jinping est allé participer aux travaux de la délégation du Jiangsu (dont la capitale est Nankin). Une occasion pour lui de souligner que «le développement de qualité était la priorité numéro 1 dans l'édification intégrale d'un pays socialiste moderne». Cette phrase a été largement reprise dans la presse chinoise.
D'autres commissions vont être consacrées à des sujets plus vastes, comme les perspectives financières du pays, son agriculture ou son industrie. Cette année sont également annoncées des commissions portant sur la lutte contre le harcèlement en ligne ou sur la nécessaire relance de la natalité.
Un avenir incertain
En ouverture de la session, le 4 mars, les dépenses militaires chinoises de 2023 sont dévoilées: elles atteindront 1.554 milliards de yuans (218 milliards d'euros), soit une hausse de 7,2%. En 2022, cette augmentation du budget de l'armée avait été de 7,1%. Seuls les États-Unis consacrent pour la défense des sommes plus importantes, avec l'équivalent de 766 milliards d'euros.
Le lendemain, le 5 mars, au début de la séance de l'Assemblée nationale populaire, Li Keqiang s'avance vers le pupitre installé sur l'avant-scène. Pour la dernière fois, il lit le traditionnel rapport d'activité du gouvernement. Il fixe pour la Chine un objectif de croissance «d'environ 5%» en 2023. Il admet qu'en 2022, la croissance du produit intérieur brut (PIB) n'a été que de 3%.
Ce chiffre a été inférieur à l'objectif de 5,5%, et révèle un net ralentissement par rapport à la croissance de 8,4% qu'a connue la Chine en 2021. Cependant, aidé par un effet de rattrapage post-Covid et par une reprise de la consommation des ménages, le chiffre de 5% de croissance devrait être aisément atteint cette année, et les 12 millions d'emplois prévus créés.
Li Keqiang analyse ensuite les difficultés rencontrées par la Chine quand il déclare: «Le développement économique de la Chine s'est heurté à de multiples facteurs inattendus, tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, comme l'épidémie.» Cependant, il considère que «l'économie chinoise connaît une reprise solide» et insiste sur un angle politique: «Sous la forte direction du Comité central du Parti, nous avons efficacement coordonné la prévention et le contrôle des épidémies et le développement économique et social.»
Le chef de l'État veut montrer la distance qui le sépare aujourd'hui du Premier ministre sortant.
En même temps, le Premier ministre prévoit des moments difficiles. Il expose notamment que «les incertitudes extérieures augmentent, l'inflation mondiale demeure à un niveau élevé, les moteurs de croissance de l'économie et du commerce au niveau mondial s'affaiblissent, les tentatives d'endiguement venues de l'extérieur ne cessent de s'intensifier». Il relève aussi toutes sortes de points négatifs comme le chômage, l'insuffisance de la demande ou les dysfonctionnements du marché de l'immobilier.
Li Keqiang ne va parler ni des États-Unis, ni de la Russie, ni de la guerre en Ukraine. Mais il fait allusion à Taïwan en indiquant: «Nous ferons avancer le processus de réunification pacifique de la patrie.» Cette année, il n'a pas accusé le gouvernement de Taipei de mener des «activités sécessionnistes».
Brièveté et distance
Ce discours a duré une cinquantaine de minutes, alors que les autres années, il est arrivé à Li Keqiang d'approcher les deux heures. Mais une autre chose a étonné les correspondants de presse présents dans les tribunes qui leurs sont réservées: ils ont remarqué que pendant que le Premier ministre s'exprimait, Xi Jinping avait parlé à plusieurs reprises avec son voisin. Ce comportement inhabituel laisse entrevoir que le chef de l'État veut montrer la distance qui le sépare aujourd'hui du Premier ministre sortant.
Déjà en octobre dernier, à la fin de la réunion du congrès du Parti communiste, une scène filmée par de nombreuses caméras de télévision a fait sensation: l'ancien président Hu Jintao, qui était assis à la tribune officielle, a été soulevé de sa chaise par deux gardes qui l'ont emmené en coulisse.
Or, après avoir semble-t-il tenté de protester, il a eu le temps de poser rapidement sa main sur l'épaule de Li Keqiang. Celui-ci, pétrifié, n'a pas fait le moindre geste de solidarité envers son ancien protecteur. Il a même évité de le regarder.
Li Qiang doit normalement être nommé Premier ministre de la Chine à la fin de l'actuelle session du Parlement chinois.
Sur le plan de la politique chinoise, cette session du Parlement chinois va avoir pour rôle principal d'officialiser le prolongement des fonctions présidentielles de Xi Jinping. Le 13 mars, un vote le désignera une nouvelle fois comme président de la République populaire de Chine. Mais il est aussi important pour lui de renforcer son pouvoir.
Les manifestations de novembre dans de nombreuses villes chinoises en protestation contre la politique anti-Covid ne l'ont pas affaibli. Il a su réagir rapidement, en supprimant tout simplement cette politique. Le nombre exact de morts que cet abandon a probablement provoquées n'a pas été rendu public. Et il n'est pas prévu que le sujet des suites du Covid en Chine soit abordé au cours de la session de l'Assemblée.
Des réformes à venir
En revanche, une série de réformes du système financier chinois vont être présentées. Xi Jinping a annoncé qu'il s'agissait d'un «plan ciblé, intensif et de grande envergure, touchant à des intérêts profondément enracinés». Dans cet objectif, de nombreuses compétences du gouvernement –c'est-à-dire le Conseil d'État– vont probablement être transférées vers les instances du Parti communiste. Il sera ainsi plus facile pour les conseillers de Xi Jinping de les contrôler. Cette orientation est l'inverse des réformes qui avaient été initiées il y a une quarantaine d'années par Deng Xiaoping.
Par ailleurs, de nombreux politiques et hauts fonctionnaires vont être remplacés, le plus souvent pour avoir atteint l'âge de la retraite. La composition du gouvernement va être considérablement renouvelée. Et à la Banque de Chine, le gouverneur Liu He va être remplacé par He Lifeng, connu depuis longtemps pour être un proche de Xi Jinping.
Ces dernières années, celui-ci a réussi à marginaliser nombre de représentants de factions politiques qui ne lui étaient pas dévouées. Il n'a donc désormais plus à composer avec d'autres groupes que le sien pour nommer des responsables politiques. En 2012, Li Keqiang avait été imposé par Hu Jintao comme Premier ministre. Cette fois-ci, Xi Jinping nomme des personnalités qui lui doivent leur carrière.
Li Qiang est classé dans cette dernière catégorie. En octobre, il a été nommé en deuxième position au Comité permanent du Parti communiste, juste derrière Xi Jinping. Il était secrétaire général du Parti à Shanghai, et beaucoup pensaient que la gestion chaotique du contrôle du Covid dans cette ville l'an dernier bloquerait sa carrière. Il n'en est rien, et Li Qiang doit normalement être nommé Premier ministre de la Chine à la fin de l'actuelle session du Parlement chinois. S'il n'a pas d'expérience gouvernementale, il a au moins l'avantage d'être un proche du président chinois.