«On ne peut pas être et avoir été», dit l'adage. Pourtant, en France, les anciens présidents de la République conservent quelques reliquats de leur gloire passée. Aux «ex», le Trésor public alloue ainsi des bureaux (ameublement et charges inclus) situés dans des quartiers cossus de Paris, des collaborateurs, des frais de déplacement et de réception.
Ces dépenses annuelles atteignent plus de 750.000 euros par ancien chef de l'État. Les derniers chiffres connus, qui datent de 2019, faisaient état de 866.000 euros pour Nicolas Sarkozy (contre 827.891 euros en 2018) et 756.000 euros pour François Hollande (804.377 euros l'année précédente).
Une somme à laquelle il faut ajouter les coûts liés aux dispositifs de sécurité. «Un million d'euros par an et par président», calcule René Dosière, spécialiste des finances publiques et ancien député apparenté socialiste. La République dépense donc près de quatre millions d'euros, chaque année, pour ceux qui l'ont présidée. Aux grands hommes la patrie reconnaissante. Et généreuse. Trop?
Des hommes d'État devenus hommes d'affaires
Si le budget lié à la sécurité (gardes du corps, escorte, etc.) paraît peu contestable en raison de la menace terroriste, le reste de l'addition peut faire tousser. D'autant que les retraités de l'Élysée sont loin du dénuement.
Le journal Libération a récemment révélé les revenus de Nicolas Sarkozy: entre 2013 et 2019, il a engrangé en moyenne trois millions d'euros par an. À peine sorti de l'Élysée, l'ancien «omniprésident» s'est mué en «omniconsultant»: il siège au conseil d'administration de multiples entreprises, entre deux conférences à l'international. Sans oublier les droits d'auteurs liés à ses livres.
Le bilan financier est beaucoup plus modeste chez François Hollande, mais pas négligeable. «Entre 11.000 et 12.000 euros mensuels» de retraite, estime l'ancien «président normal», désormais à la tête de sa fondation La France s'engage.
Au moment où l'État traque les dépenses superflues, ne faudrait-il pas reconsidérer ces privilèges? Ou, au moins, les conditionner aux revenus des bénéficiaires –à l'image de la plupart des aides sociales?
Certes, les comptes de l'État ne s'en trouveraient pas bouleversés. Deux millions d'euros (le coût des deux ex-présidents, hors sécurité), cela représente… 0,0013% du déficit public français. Il faudra trouver ailleurs les mannes espérées.
Mais il y a là une affaire de symbole. Pourquoi le contribuable devrait-il régler le loyer d'hommes d'État devenus hommes d'affaires?
«Ces avantages n'existaient pas auparavant. Sous la IIIe république, Gaston Doumergue a fini sa vie à Tournefeuille, dans le sud-ouest, sans aucun subside!»
Ces privilèges renvoient à la sacralisation de la figure présidentielle sous la Ve République. «Comme s'il existait une sorte de mandat à vie, de pérennité par-delà l'élection», remarque l'historien Jean Garrigues, qui y voit «un aspect quasi monarchique». Il n'est pas inutile de préciser que la création de cette enveloppe pour les anciens présidents remonte à 1985, sous François Mitterrand… Lequel ne fut pas le président le moins monarque.
«Ces avantages n'existaient pas auparavant, poursuit Jean Garrigues. Sous la IIIe république, Gaston Doumergue a fini tranquillement sa vie à Tournefeuille, dans le sud-ouest, sans aucun subside!»
Mais la désacralisation de la politique rend ces avantages moins naturels. Ils se sont d'ailleurs érodés au fil du temps. En 2016, François Hollande les a restreints. Au bout de cinq ans passés hors de l'Élysée, les anciens présidents n'ont plus le droit qu'à trois collaborateurs (contre sept auparavant) et doivent dénicher des locaux plus petits. Ou prendre à leur charge une partie de l'hébergement. Ainsi, Nicolas Sarkozy paye désormais «la moitié» de son loyer, assure son entourage à Libération. «C'est le sens de l'histoire», juge Jean Garrigues.
Les retraités les plus actifs de France
Cette dotation publique paraît désormais surannée. Elle est conçue comme une obole que verse la République à ses serviteurs, à leur couchant. Une allocation aux grands hommes, reclus, retirés, silencieux. Une subvention pour l'écriture de mémoires, en somme.
Or, nos présidents ont désormais une deuxième vie. La politique n'est plus une vocation exclusive, qui chasse tout engagement ultérieur. Elle n'est plus un sacerdoce, qui exclut de goûter à d'autres carrières. Les députés macronistes ont illustré cette évolution. Certains d'entre eux, venus du privé, y sont retournés au terme de leur mandat (2017-2022). Un mandat public perçu non pas comme un aboutissement, mais comme une ligne supplémentaire sur le CV. En 2015, Emmanuel Macron dénonçait d'ailleurs le «cursus honorum» des élus, trop conventionnel selon lui.
Affaire de mentalité, affaire de génération. Jadis, les ex-présidents restaient actifs dans la vie publique (Valéry Giscard d'Estaing a rédigé le traité constitutionnel européen) ou parapublique (Jacques Chirac a couvé son musée des Arts premiers). La persistance d'un lien avec la République, y compris financier, trouvait là une justification.
Désormais, la «trahison» au profit du secteur privé n'est plus ressentie comme un blasphème républicain. À l'image de toutes les carrières, celle de la politique se fait moins linéaire. Voilà pourquoi il faut remettre en cause ce «régime spécial» de retraite pour nos anciens présidents.