Présentée en grande pompe par Elon Musk peu après son rachat de Twitter, fin octobre 2022, l'offre payante Twitter Blue devait permettre au réseau social de diversifier ses sources de revenus et le rendre moins dépendant de la publicité, qui représente 90% du revenu total qu'il génère. Mais quatre mois après son lancement, le constat est sans appel. Le service premium peine à s'imposer. Pire, il semble même faire un énorme bide.
Moins de 300.000 comptes, dont plus de la moitié basés aux États-Unis, auraient souscrit à cette nouvelle formule d'après des documents internes à la plateforme qui ont fuité récemment, soit à peine 0,1% des utilisateurs actifs de Twitter. Un chiffre dérisoire qui permettrait à l'entreprise californienne d'engranger environ 29 millions de dollars par an –à peine 1% de ses revenus–, bien loin de ce qu'espère le nouveau propriétaire pour remettre à flot son nouveau jouet. Une raison qui explique probablement le silence du «Chief Twit» à ce sujet et le licenciement récent d'Esther Crawford, l'architecte du programme d'abonnement.
Avec cette formule, qui a fait couler beaucoup d'encre au cours des derniers mois, Elon Musk pourrait bien avoir terni l'image de l'oiseau bleu pour rien. Et cette obsession risque même de lui coûter plus cher que ce qu'elle ne va lui rapporter.
Un lancement raté
Lorsqu'il officialise ce projet au début du mois de novembre 2022, le milliardaire et propriétaire de Tesla annonce vouloir renverser la table et tirer un trait sur le fonctionnement passé de Twitter. Pour convaincre les utilisateurs de souscrire au service premium, Elon Musk sort de sa manche ce qu'il estime être sa carte maîtresse: l'ouverture de la certification à tous ceux qui la souhaitent et qui paient, sans vérification d'identité.
Le petit badge bleu –jusqu'alors accordé au compte-gouttes aux entreprises, organisations et comptes notoires– devient accessible à n'importe quel abonné Twitter Blue. Un changement majeur pour le réseau social numéro un sur l'actualité et les débats de société, notamment très prisé des médias, élus et journalistes pour lesquels la certification –qui garantissait jusque-là au moins l'identité– est importante.
Très vite, plusieurs critiques ont été émises par de nombreux observateurs, notamment le risque d'un accroissement de la désinformation et des usurpations d'identité. Ces craintes se sont matérialisées quelques heures seulement après la mise en place de Twitter Blue. Des milliers d'internautes ont ainsi souscrit à l'offre, obtenu le badge bleu et en ont profité pour modifier leur profil à des fins de trolling. Résultat: des comptes d'anonymes ressemblant comme deux gouttes d'eau à ceux des grandes marques ou de personnalités ont pullulé, obligeant Elon Musk à mettre en pause plusieurs jours le déploiement de la version premium.
Des fonctionnalités peu attractives
L'une des raisons principales qui explique pourquoi l'actuelle version de Twitter Blue peine à convaincre est à chercher du côté de l'offre. En effet, les fonctionnalités premium proposées ne sont pas à la hauteur du prix demandé. En plus de la pastille bleu de certification (auparavant réservée à certains comptes et gratuite), les abonnés peuvent modifier la couleur de l'icône de l'application, joindre une image NFT en photo de profil, modifier un tweet jusqu'à trente minutes après l'avoir posté, retirer un tweet en cours d'envoi, télécharger des vidéos en full HD, personnaliser à la marge l'interface, subir moitié moins de publicité ou encore opter pour la double authentification par SMS (auparavant gratuite).
Un panel d'options loin d'être suffisant pour convaincre l'utilisateur lambda de payer 8 euros par mois hors taxe –9,60 euros avec la TVA, et seulement depuis le web–, soit près de 115 euros par an, l'équivalent du prix annuel des offres basiques de Netflix ou de Spotify. En fait, la plupart des options n'intéressent qu'un public très restreint. Et l'ensemble n'est guère plus attractif que ce qui était déjà proposé dans l'ancienne formule premium de Twitter, à 3 euros par mois hors taxe.
L'image de Twitter écornée
Les multiples polémiques d'Elon Musk et sa propension à personnifier Twitter ont très largement impacté l'image du réseau social, déjà passablement dégradée ces dernières années, depuis son rachat fin octobre. Et Twitter Blue n'a rien arrangé, bien au contraire. Boudé par l'immense majorité des utilisateurs, le service payant a surtout trouvé grâce auprès de la twittosphère confusionniste, voire conspirationniste, qui a vu dans la possibilité d'obtenir facilement un badge bleu un bon moyen de crédibiliser son travail –souvent de désinformation– et de le rendre «officiel».
Ainsi, des comptes ouvertement complotistes sont désormais certifiés et bénéficieront bientôt de la prochaine mise à jour de Twitter Blue: une modification de l'algorithme offrant un accroissement de la visibilité des publications des abonnés payants.
Si cette mise à jour pourrait convaincre –ou plutôt contraindre– plus de personnes de souscrire au service premium pour éviter l'invisibilisation, elle aura aussi pour effet d'accroître l'ampleur des fake news sur le réseau social et la confusion des utilisateurs en recherche d'informations. Un phénomène qui pourrait accélérer la désaffection des annonceurs pour Twitter. Si ces derniers, déjà très refroidis par les sorties et la politique d'Elon Musk, réduisent à l'avenir un peu plus leur présence, cela aura pour conséquence d'accroître les difficultés financières du réseau social.
Twitter Blue pourrait donc s'avérer être un deal perdant-perdant... À moins que le nouveau propriétaire revoie sa formule et parte de la base, à savoir les utilisateurs, pour bâtir un service payant populaire. C'est à cette condition qu'il parviendra à atteindre son objectif, à savoir révolutionner le modèle économique d'un réseau social qui est aujourd'hui quasi uniquement financé par la publicité.